La déferlante Koons s’abat sur le Centre Pompidou

© Paris Match

© Paris Match

Un peu de clairvoyance dans ce drôle de monde, il est difficile d’écrire une critique sur Jeff Koons car l’artiste et ses joujoux semblent, presque par essence, intouchables.

Si l’on connaît déjà bien la production et le personnage de ce « grand » de l’art contemporain, il est intéressant de se prêter à un petit exercice pour appréhender cette exposition différemment. Rédigez une ébauche de critique de l’exposition avant la visite et voyez ensuite si elle est juste et ce qu’il vous faut modifier après l’avoir vu. C’est enrichissant pour réaliser à quel point la scénographie et le parti pris du commissaire influent sur la vision d’une exposition dont on peut au préalable visualiser le contenu.

Visiter l’exposition Jeff Koons au Centre Pompidou, c’est être préparé à l’entrée fracassante, à grands pas lourds et assurés, de l’ « american way of life » dans ce lieu emblématique de l’art moderne et contemporain.

« Si la France a le blues, je suis désolé de l’entendre. Ce serait merveilleux que cela change. La meilleure chose à faire, c’est d’éprouver la joie d’être, de savoir ce que nous signifions pour nous-mêmes et pour les autres. » Cette citation de l’artiste montre assez bien la tension constante qui entoure la réception de son œuvre et de cette exposition en particulier. Sans être nationalistes pour autant, nombres de critiques défendent une France critique et alerte plutôt qu’un sentiment du bonheur-à-tout-prix proche de la visite à Disneyland.

Il est assez difficile d’accorder un jugement esthétique aux œuvres. Certes un peu de fantaisie et de références enfantines nous donnent le sourire, mais quant à y voir autre chose, au-delà, cela rester un sacré défi pour le visiteur. Un jeu sur la matière, le reflet et la couleur caractérise la majorité de ses productions. Mais une fois cette contemplation passée, les œuvres répondant toutes au même univers, on s’ennuie. Aucune émotion particulière ne se dégage durant la visite, sauf peut-être pour les âmes extrêmes qui apprécient sa série Made in heaven avec la sulfureuse Cicciolina.

Le premier grand espace de l’exposition, qui se présente de la façon chronologique propre à toute rétrospective, nous livre les débuts de sa carrière où l’on observe directement son influence du pop-art tirant vers le kitsch. Ces premières séries représentant des appareils électroménagers et des affiches publicitaires, nous rappellent une forme de satire des Etats-Unis dans les pas d’Andy Warhol. Critiquer la société américaine depuis l’intérieur, en questionnant l’idée même de valeur artistique, le tout en jouant sur les codes du marché de l’art, sur le rapport controversé artisan/ artiste, voilà un propos qui est loin d’être idiot.

Alors serait-il possible de passer outre sa cote délirante qui continue à monter en flèche, nourrissant un marché de l’art toujours plus élitiste et sa personnalité de Messie qui a tout compris et réfute chaque critique avec un égo surdimensionné ? Telle est là la vraie question. Les prix de vente de ses œuvres et son attitude du businessman empli d’assurance perturbent toute objectivité sur l’exposition elle-même. Sorties de ce contexte, les œuvres sont ce qu’elles sont, pas plus mauvaises que beaucoup d’autres, au caractère osé et léger à la fois qui nous divertit un instant.

jeff1

© Brain magazine

 

Ce fut un vrai soulagement, il faut l’avouer, de constater que le commissaire d’exposition, Bernard Blistène, ne nous ait pas étouffé en ajoutant une scénographie lourde à un contenu suffisamment imposant et tape-à-l’oeil. Car on aurait pu imaginer une présentation exacerbant ce côté loufoque et se croire téléporté en pleine scène de Charlie et la Chocolaterie ! Au contraire, les différents espaces sont aérés et le parcours n’est pas trop déterminé bien que chronologique, évitant ainsi l’effet Disneystore anticipé par nombre des détracteurs de Koons.

En revanche il y a de quoi s’inquiéter oui, car si c’est ça la référence de l’art contemporain, si le marché de l’art cherche des disciples de Jeff Koons dans chaque foire alors autant dire que l’on peut renoncer… L’uniformisation culturelle américaine c’est bien la peur qui plane quant à cette exposition et la suite. Cela n’a rien de nouveau direz-vous et en effet point besoin de blâmer le Centre Pompidou qui en toute logique ne pouvait pas refuser d’exposer la star de l’art qui explose les ventes du monde entier.

Un entrepreneur plus qu’un artiste, c’est sûrement la critique la plus commune entendue. Bien que le rapprochement de ces deux mondes n’ait rien de nouveau, l’artiste est très provocateur quant au business généré par ses œuvres. Son fameux Balloon Dog est acheté 58 millions de dollars lors d’une vente Christie’s ! Mais l’artiste n’hésitera pas à également mettre en ventes d’autres exemplaires sur Ebay et même à collaborer avec la marque H&M, mécène de l’exposition, pour la fabrication de sacs à main. Il semblerait que le marché de l’art explose toutes ses limites dès que Mr Koons pointe son nez.

 © Jeff Koons, Gazing ball, 2014

© Jeff Koons, Gazing ball (Adriadne), 2014

La dernière production, qui clôture l’exposition, est de loin la plus audacieuse tout en préservant un minimum de bon goût et de sens. Les deux Gazing Ball détournent notre regard sur des statues grecques vues et revues en y plaçant un petit ballon bleu vif à un endroit incongru de la sculpture. Il est agréable de le voir s’attaquer à un modèle autre que des objets-joujoux provenant de la société américaine et ses références. Une autre œuvre qui dénote dans ce lot burlesque est la Liberty Bell, c’est presque avec soulagement qu’on l’aperçoit dans un coin où elle semble petite et maladroite malgré le fait que ce soit une grande et lourde cloche.

Rien ne sert de boycotter cette rétrospective, bien au contraire courrez-y ! Mais tâchez de garder l’oeil ouvert et l’esprit critique en alerte. Il serait dommage de tout rejeter en bloc alors qu’il est passionnant de s’attarder sur les enjeux réels d’une telle exposition.

Mona Prudhomme

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.