De l’intime à trois voix

C’est au coeur d’un joli patio que l’on découvre l’Espace en cours, un lieu consacré à la création artistique où la propriétaire Julie Heintz loue différents ateliers et studios.

Le sujet de l’intime autour duquel s’articulent les deux propositions artistiques prend tout son sens lorsque la nuit tombe. Le lit placé au cœur de l’intimité avec les photographies de Raphaëlle Peria fait écho à la découpe de l’œuf, évocatrice des violences faites au corps, de la vidéo du duo Kate Davis et David Moore. Chaque œuvre semble isolée, presque secrètement gardée, discrètement illuminée. De grandes fenêtres donnent sur cette cour si calme et l’obscurité grandissante nous invite à prolonger la visite, à approfondir ce voyage au cœur d’intimités plurielles.

PERIA Raphaëlle, Deux cent trente cinq nuits, 2010, photographie, 30x15

PERIA Raphaëlle, Deux cent trente cinq nuits, 2010, photographie, 10×15

Notre œil est immédiatement attiré par une composition de photos qui longe deux des murs de l’espace, tel le fil conducteur d’une histoire déjà passée. Tout amateur d’art contemporain reconnaît alors la référence à Sophie Calle dans l’oeuvre de la jeune artiste. Deux cent trente cinq nuits représente une série de lits de chambres d’hôtels capturés au réveil lors du tour du monde de Raphaëlle Peria. Avec un regard relevant d’un certain voyeurisme, nous observons les plis des draps et quelques affaires éparpillées, essayant d’attraper des informations sur le lieu bien que la photographie centre toujours exclusivement sur le lit. La présence du ou des corps se fait ressentir par un travail plastique, de dégradation légère, effectué directement sur la photographie après impression.

Durant l’observation de cette série, on se sent nous-même observé. Un miroir apposé au mur opposé de la salle reflète notre dos. Il faut s’en approcher de près pour distinguer la phrase inscrite à l’envers : « tous les miroirs sont infidèles ». C’est alors que l’on identifie la provenance d’un bruit sourd, qui nous enveloppe dès notre entrée dans l’espace d’exposition. Deux grands rideaux noirs cachent quelque chose mais apparemment ne sont pas faits pour être ouverts. Il nous faut contourner cette petite estrade pour apercevoir enfin l’objet de tant de bruit. La vidéo The cut nous donne à voir l’incision d’un œuf coulant, tournée à la façon d’un Super8. Telle la coupe de l’oeil dans le court-métrage mythique de Buñuel, le coup de cutter dans l’oeuf renvoie un sentiment peu agréable, entre dégoût et attraction.

Le duo d’artistes Kate Davis et David Moore suggère ce rapport à l’intime de façon assez violente. Perte de sang lors d’un premier rapport, fausse couche, naissance d’un enfant ou violence d’un coït non souhaité, ce jaune d’oeuf coulant évoque nombres de sujets une fois interprété dans ce contexte d’exposition.

DAVIS Kate, MOORE David, The Cut, 2010, video, 3 min

DAVIS Kate, MOORE David, The Cut, 2010, video, 3 min

Avec cette présentation De l’intime, la commissaire Anastasia Goryunova rassemble deux histoires artistiques qui se répondent et résonnent dans l’espace. Le miroir tisse un lien mais chaque œuvre reste indépendante, afin de ne pas briser le parcours du visiteur pénétrant ces intimités extérieures. Le choix d’une scénographie simple, de ce lieu nu aux murs blancs, correspond bien au propos. Le visiteur ne divague pas, son attention est happée par ces bribes de vies et de visions.

Mona Prudhomme

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