art brut -collection abcd/bruno decharme

exposition du 18 octobre 2014 au 18 janvier 2015

par Raphaëlle Peria


Antoine de Galbert est amateur d’Art Contemporain tout autant qu’il est défenseur de l’Art brut, c’est pourquoi l’on ne s’étonne plus de découvrir une exposition consacrée à l’art révélé par Dubuffet, à la Maison Rouge cet automne. Bruno Decharme s’associe à Antoine de Galbert, président des lieux pour assurer le commissariat de l’exposition « Art Brut » qui rassemble environ quatre cents œuvres de plus de deux cents artistes issus de sa collection commencée il y a plus de trente ans. Pour l’occasion, l’espace de la Maison Rouge est fragmenté en douze espaces, agencés en petites salles qui se suivent. Ces espaces correspondent à des thématiques définies par Bruno Decharme qui nous entrainent dans un voyage initiatique au travers des rencontres multiculturelles qui ont permis la création de sa collection. Le spectateur saute ainsi du « Ricochet solaire » au « Royaume des chimères » pour traverser ensuite des « Anarchitectures ». Si les noms des thématiques semblent parfaitement recherchés, ils ne paraissent pas indispensables tout comme les textes de salles qui n’apportent que peu d’explications aux visiteurs. Le choix d’une disposition en espaces restreints permet quant à lui une proximité appréciable avec des œuvres souvent de petits formats. Penser Art brut pourrait évoquer l’idée de fouillis, cependant il y a une réelle cohérence dans la mise en espace des œuvres, comme si nous étions entrainés de la plus légère à la plus dense. De quelques points sur une feuille blanche, nous avançons vers une saturation du support puis de l’espace muséal, sans heurt. Le passage d’une œuvre à l’autre se fait en douceur, comme une percée vers la connaissance. Il y a d’abord le point. Puis vient la ligne. Ensuite s’entremêlent les dates, jusqu’à saturation du temps et de l’espace. Peu importe le motif qui pousse ces artistes à produire, nous sentons chez eux ce besoin de réplétion qui passe par l’écriture ou la ligne torturée, par la répétition ou l’accumulation. Comme si leurs vies en dépendaient, ils ne cessent de remplir des pages ou d’assembler des objets. Haletant, le spectateur ne sait plus ou regarder, ça fourmille de tous côtés. Pourtant pris un à un, chaque dessin est maitrisé, évocateur d’un savoir technique propre à son auteur et qui semble avoir été longtemps recherché. Alors il nous suffit de nous arrêter et de contempler pour comprendre que ces artistes en savent sans doute plus que nous sur le monde.

George Widener, Blauer Montag, encre sur papier, entre 2000 et 2010

Si l’on se penche sur l’œuvre de Georges Widener dans la salle des «  Hétérotopies scientifiques », nous entrons dans un monde où chaque jour est marqué par un événement historique. Nous nous retrouvons devant un dessin technique de bateau ou d’avion autour duquel les dates se serrent pour ne pas déborder de la page. Dans Sunday’s Crash, réalisé entre 2000 et 2010, ce sont des dimanches. Uniquement des dimanches, comprimés les uns à côté des autres. L’artiste américain atteint d’un léger autisme et du syndrome d’Asperger est capable de retenir toutes les dates du calendrier sur plus de huit mille années. Passionné d’histoire, il cherche les liens entre différentes catastrophes. Ici trente et un dimanche sont réunis pour recréer un mois de crash aérien. Le plan de l’avion est précis, les dates ordonnées, rangées, elles ne peuvent être l’œuvre d’un fou, seulement de quelqu’un qui a besoin de mettre de l’ordre dans notre monde pour mieux nous permettre de le comprendre.

Alors que la visite se poursuit dans les « Cartographies mentales », le son d’une vidéo nous attire vers un espace de projection aménagé dans la salle de réunion de la fondation. Au milieu de cette collection d’Art Brut nous faisons halte pour découvrir avec une agréable surprise, rangée derrière les vitrines, la collection des coiffes ethniques d’Antoine de Galbert dont une partie a été présentée dans l’exposition « Voyage dans ma tête » en 2010. Mais si les coiffes nous interpellent, très vite la vidéo-projection d’un film réalisé par Bruno Decharme nous rappelle. Le cinéaste ne collectionne pas seulement l’Art brut, il le filme aussi et avec une belle réussite. Entre interviews et témoignages, il nous livre un regard passionné sur ces artistes qui le fascinent.

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Henry Darger, Also free other child prisoners at same time, collage, gouache, mine plomb et encre sur papier, entre 1950 et 1960

Le film présente le travail de l’artiste allemand Hans-Jorg Georgi, que nous découvrons quelques salles plus loin après avoir croisé les incontournables petites filles de Henry Darger, étonnantes poupées jumelles qui jouent sans cesse. Dans la pénombre, une multitude d’avions se suivent attendant le visiteur, figés comme des étourneaux en murmuration. Il semblerait que ce soit la guerre, pourtant tout est étrangement calme. Seules les ombres courent sur le mur de manière effrayante, symbole de cette destruction de l’humanité que Hans-Jorg Georgi tente d’éviter. Il n’y aura pas de fin du monde, car tels des arches de Noé, ses avions futuristes sont conçus pour transporter tous les hommes, voir pour devenir eux même des hommes lorsque des têtes ou des jambes leur poussent entre les ailes. Depuis le début tout semblait un peu trop rangé, le propos curatorial prend ici de l’ampleur, il impose sa part de rêve et de féérie, emporte le visiteur vers cet ailleurs que seuls les artistes de l’art brut semblaient comprendre et que nous commençons à effleurer du doigt.

Hans-Jorg Georgi, Sans titre, cartons et scotch, dimensions variables, non daté

 

 

Les salles au sous-sol font hélas retomber ce sentiment d’émerveillement. L’espace est comme souvent ici sombre, trop cloisonné. Tout dialogue entre les œuvres semble coupé, elles ne captent plus l’attention du visiteur. C’est tout de même bouleversés et confus que nos pas nous dirigent vers la sortie près de laquelle nous jetons un coup d’œil à une vitrine où sont regroupés des livres aux titres évocateurs : Des arts incohérents ou encore L’art chez les fous. Ces artistes dits « fous » et « incohérents » sont partis de quelques lignes ou de quelques assemblages pour tenter de sauver l’humanité, ils nous sauvent en tout cas d’idées préconçues sur leur art. Entre folie et génie, il n’y a parfois qu’un seul pas.

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