exposition du 18 octobre 2014 au 18 janvier 2015
par Raphaëlle Peria
Si l’on se penche sur l’œuvre de Georges Widener dans la salle des « Hétérotopies scientifiques », nous entrons dans un monde où chaque jour est marqué par un événement historique. Nous nous retrouvons devant un dessin technique de bateau ou d’avion autour duquel les dates se serrent pour ne pas déborder de la page. Dans Sunday’s Crash, réalisé entre 2000 et 2010, ce sont des dimanches. Uniquement des dimanches, comprimés les uns à côté des autres. L’artiste américain atteint d’un léger autisme et du syndrome d’Asperger est capable de retenir toutes les dates du calendrier sur plus de huit mille années. Passionné d’histoire, il cherche les liens entre différentes catastrophes. Ici trente et un dimanche sont réunis pour recréer un mois de crash aérien. Le plan de l’avion est précis, les dates ordonnées, rangées, elles ne peuvent être l’œuvre d’un fou, seulement de quelqu’un qui a besoin de mettre de l’ordre dans notre monde pour mieux nous permettre de le comprendre.
Alors que la visite se poursuit dans les « Cartographies mentales », le son d’une vidéo nous attire vers un espace de projection aménagé dans la salle de réunion de la fondation. Au milieu de cette collection d’Art Brut nous faisons halte pour découvrir avec une agréable surprise, rangée derrière les vitrines, la collection des coiffes ethniques d’Antoine de Galbert dont une partie a été présentée dans l’exposition « Voyage dans ma tête » en 2010. Mais si les coiffes nous interpellent, très vite la vidéo-projection d’un film réalisé par Bruno Decharme nous rappelle. Le cinéaste ne collectionne pas seulement l’Art brut, il le filme aussi et avec une belle réussite. Entre interviews et témoignages, il nous livre un regard passionné sur ces artistes qui le fascinent.
Le film présente le travail de l’artiste allemand Hans-Jorg Georgi, que nous découvrons quelques salles plus loin après avoir croisé les incontournables petites filles de Henry Darger, étonnantes poupées jumelles qui jouent sans cesse. Dans la pénombre, une multitude d’avions se suivent attendant le visiteur, figés comme des étourneaux en murmuration. Il semblerait que ce soit la guerre, pourtant tout est étrangement calme. Seules les ombres courent sur le mur de manière effrayante, symbole de cette destruction de l’humanité que Hans-Jorg Georgi tente d’éviter. Il n’y aura pas de fin du monde, car tels des arches de Noé, ses avions futuristes sont conçus pour transporter tous les hommes, voir pour devenir eux même des hommes lorsque des têtes ou des jambes leur poussent entre les ailes. Depuis le début tout semblait un peu trop rangé, le propos curatorial prend ici de l’ampleur, il impose sa part de rêve et de féérie, emporte le visiteur vers cet ailleurs que seuls les artistes de l’art brut semblaient comprendre et que nous commençons à effleurer du doigt.
Les salles au sous-sol font hélas retomber ce sentiment d’émerveillement. L’espace est comme souvent ici sombre, trop cloisonné. Tout dialogue entre les œuvres semble coupé, elles ne captent plus l’attention du visiteur. C’est tout de même bouleversés et confus que nos pas nous dirigent vers la sortie près de laquelle nous jetons un coup d’œil à une vitrine où sont regroupés des livres aux titres évocateurs : Des arts incohérents ou encore L’art chez les fous. Ces artistes dits « fous » et « incohérents » sont partis de quelques lignes ou de quelques assemblages pour tenter de sauver l’humanité, ils nous sauvent en tout cas d’idées préconçues sur leur art. Entre folie et génie, il n’y a parfois qu’un seul pas.