Les hasards d’une recherche – Edwin Fauthoux-Kresser

La perte du Danube

La perte du Danube

Durant les premières minutes de la performance, La perte du Danube, Edwin Fauthoux-Kresser fait la lecture d’un texte scientifique dans lequel son grand-père décrit le phénomène hydrologique de la disparition du Danube. Le ton est celui d’un professeur face à ses élèves. L’artiste emploie des noms propres, des termes scientifiques, et désigne des phénomènes qui semblent être connus de tous. Où Edwin Fauthoux-Kresser veut-il en venir ? Est-il en train de nous délivrer un vrai cours ? Le texte et le phénomène scientifique sont-ils réels ?

Soudainement, le photographe change de ton. Il n’est plus un vieux professeur barbant, mais devient un jeune aventurier passionné nous guidant dans un voyage. Il raconte alors sa recherche sur Internet après avoir tapé les mots « perte du Danube » dans Google. Ce sont d’abord ces mots, la perte du Danube, qui l’ont attiré par leur beauté poétique avant même de s’intéresser au réel phénomène hydrologique. Ce sont donc les mots et l’idée que l’on s’en fait qui prédominent d’où l’importante du titre.

Tout comme le fleuve, le photographe dérive d’images en images arrivant à des résultats parfois très éloignés du sujet originel. Pointant ici et là les différentes photographies accrochées au mur, il crée pour le spectateur une trajectoire synonyme de sa divagation sur Internet.

On pourrait s’attarder sur la réappropriation d’images tirées d’internet et présentées telles quelles par un photographe. Mais pour Edwin Fauthoux-Kresser, c’est un débat clos et acquis qu’il évacue par l’accrochage et par la présentation des images tirées sur papier fine art et simplement collées au mur. En effet, présentées ainsi, non encadrées et détruites entre chaque exposition, elles ne sont pas des objets et ne peuvent être achetées.

Dans la perte du Danube, on a l’impression d’entrer dans l’intimité de quelqu’un ; peut-être dans celle de l’artiste ? Ou de son grand-père ? En effet, les deux oeuvres, l’Instabilité des phénomènes et La perte du Danube, sont toutes deux basées sur des documents en lien avec l’histoire familiale de l’artiste, mais Edwin Fauthoux-Kresser ne souhaite pas que cet aspect de son oeuvre prédomine. C’est avant tout pour lui un intérêt personnel de recherche de ses origines à travers la figure de son grand-père à qui il ressemble traits pour traits, mais aussi à travers le Danube et de l’Autriche, pays d’origine de sa famille. Pour le spectateur, ce ne doit être qu’une manière secondaire de comprendre le moteur émotionnel de la performance de la Perte du Danube qui l’a poussé à faire cette recherche.

Dans l’Instabilité des phénomènes, la voix d’Edwin Fauthoux-Kresser s’exprimait par un texte littéraire collé au mur et rythmant les photographies. Ici, la performance est nécessaire car le spectateur a besoin d’être guidé dans cette recherche. C’est la présence physique de l’artiste qui lie entre elles ces images et qui justifie les transitions. Dans un diaporama ou sur Internet, elles ne sont que des bribes d’images sans contexte. Rassemblées, elles forment une histoire, un récit, dans lequel le photographe nous emmène. Le spectateur se laisse alors prendre au jeu et le suit au fil des digressions parfois étonnantes.

Ainsi, on comprend que le spectateur a une place centrale dans l’oeuvre d’Edwin Fauthoux-Kresser. La performance n’a pas lieu d’être si elle n’est pas jouée devant un public. Elle parait différente à chaque représentation selon le nombre de personnes présentes et leurs réactions. Certains rient, d’autres s’étonnent, certains semblent perdus. L’artiste se propose de s’adresser à plusieurs esprits, c’est-à-dire à une pluralité de personnes, mais aussi aux différents esprits qui nous habitent. L’oeuvre intéresse le spectateur selon différentes approches. Certains seront attirés par l’aspect scientifique, d’autres par la réappropriation des images, par la perte de temps sur Internet…

« L’oeuvre ouvre plusieurs pistes et à un moment, ça n’a pas de sens, ça dérape. »

Il serait difficile d’attribuer à l’oeuvre d’Edwin Fauthoux-Kresser un thème particulier. Il interroge à la fois la question du temps perdu sur Internet, des traces des images sur la toile, des hasards de la recherche, de la construction d’un discours, d’un sujet scientifique, de la disparition… Les images, pourtant rassemblées de façon hasardeuse, évoquent elles aussi des thèmes et l’on pourrait imaginer notre propre récit autour d’elles. Certains y voient l’histoire de la colonisation à travers la figure de l’indien, du drapeau et de la montagne. D’autres y voient la guerre, le temps qui passe, la conquête ou encore la mort.

« Pour moi, c’est l’endroit ou il y a de la place pour le spectateur et pour son activité de recomposition. »

Le but d’Edwin Fauthoux-Kresser n’est pas de proposer la clé finale de son oeuvre. Au contraire, il dilue une intention qui se fractionne en de multiples interprétations. C’est tout l’art de l’artiste de créer une oeuvre fragile, non fermée, poussant le spectateur à être actif et à recomposer sa propre version de l’histoire.

Anaïs Guédon

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