« Mon travail est un outil » – Discussion avec Charles Bontout

A 26 ans, Charles Bontout a été sélectionné parmi plus de 2000 candidats pour exposer avec 53 autres artistes lors de « Jeune création » du 28 octobre au 2 novembre 2014. A la suite de cet événement, Mounir Fatmi, le parrain de cette édition, a décidé de l’épauler durant un an afin de l’aiguiller dans ses choix artistiques et de l’aider à lancer sa carrière.

Entretien réalisé le 22/10/14.

Crédits photographiques : Charles Bontout http://charlesbontout.com/

Hélène Mondet : Vous êtes en train de sortir un fanzine, cela fait partie de votre pratique artistique ?

Premier numéro du fanzine "Rap-a-thon" de Charles Bontout

Premier numéro du fanzine « Rap-a-thon » de Charles Bontout

Charles Bontout : Oui absolument. D’ailleurs le premier numéro sera en vente dans l’espace librairie au 104 pendant  « Jeune création ». Sur le site il est mis à part parce qu’il sera aussi disponible en PDF un peu comme une ressource. Mais il y aura toujours l’intérêt de l’objet où je vais essayer d’avoir une belle fabrication, donc ce sera des tirages assez restreints puisque ça coûte relativement cher d’en imprimer.

Comme j’ai un travail qui est énormément basé sur le texte et aussi sur des auteurs souvent iconoclastes (que ce soit dans la philosophie, dans la théorie de l’art ou dans la littérature on va dire plus typique, romanesque), j’ai tendance à beaucoup aimer les auteurs qui font des choses très novatrices, qui transforment la langue ; et depuis que je suis jeune, voire très jeune, la musique que j’ai toujours consommée est le rap, et j’en fais un parallèle avec certains auteurs, bien que pas mal de critiques littéraires l’ont fait avant moi.

Le rap est finalement sur le fait de parler et je trouve qu’il y a une vraie invention langagière, et en particulier dans le rap américain, qui est colossal et qui est en plus exponentiel avec l’arrivée d’internet où les circuits de productions sont beaucoup plus courts. C’est une pratique littéraire d’aujourd’hui et j’essaye surtout de ne pas avoir un regard un peu paternaliste ou d’ethnologue, on peut dire justement que c’est un rapport d’égal à égal. Un numéro sera consacré soit à une sous-scène musicale, soit à un rappeur précis des Etats-Unis, le but est vraiment de me dire : « on est deux créatifs qui peuvent confronter leurs regards ». J’échange d’une manière un peu fictive avec ces gens-là, surtout que celui du prochain numéro est en prison en ce moment donc ça ne m’aide pas ! Mais le but c’est vraiment d’avoir un rapport d’égal à égal : il a une production littéraire et j’analyse ou je parle de ce que m’inspire cette production d’écriture.

Il y a des thèmes qui sont très récurrents dans le rap et qui sont parfois au niveau du message un peu primaires, mais qui sont à chaque fois symptomatiques, c’est-à-dire qu’il y a toujours une transformation même si parfois c’est très matérialiste. C’est une forme culturelle, qu’on puisse la trouver plus ou moins élevée ou qu’on soit plus ou moins en accord avec les idées véhiculées, c’est quand même une forme de culture légitime qui est très présente.

Le premier numéro s’appelle Renaissance de la tragédie et est consacré à un rappeur : Gucci Mane, le titre est un jeu de mot sur Naissance de la tragédie de Nietzsche. Une première partie sera plutôt biographique avec un résumé de toute sa prolifique production musicale, ensuite la deuxième partie compare sa production à toutes les thèses Nietzschéennes. J’ai trouvé étonnant et intéressant de mettre en rapport ces deux personnes qui sont très éloignées et de voir qu’à certains moments de vrais points de contact apparaissaient.

HM : Dans le About de votre site, vous commentez Qu’est-ce qu’on attend de NTM, Vous ne pensez pas qu’en analysant ces textes on perd de leur spontanéité ?

CB : C’est possible, le problème dans cet exercice-là c’est qu’il y aura toujours une partie qui va manquer puisque l’intérêt d’une musique est qu’une partie du langage est non verbale justement, parfois des phrases sont très basiques du point de vue de la structure mais qui, une fois scandées, donnent autre chose. J’aime aussi avoir une espèce de forme d’anticonformisme dans mon travail et d’avoir parlé de cette chanson dans ma présentation, c’était aussi une façon de montrer que ce groupe qui a eu affaire avec la justice, qui a été présenté vraiment comme le groupe rebelle par excellence avait une forme d’expression hyper classique, en particulier pour ce morceau, avec un respect incroyable pour les conventions de langage, pourtant, j’avais une cassette de NTM en primaire et ça faisait sauter mes parents au plafond ! Tout le propos général de mon travail c’est ça, une espèce de concomitance entre le monde qu’on expérimente et la façon dont on en parle, et même les règles qu’on décide de suivre ou non quand on en parle. Ce sont des thèses très abordées dans la philosophie analytique et la philosophie du langage, et pour moi, l’étape suivante de ce constat de l’isomorphisme entre le monde et le langage, c’était la littérature et justement le pouvoir de transformer. Mais j’étais déçu de constater que finalement, même un groupe de rap qui appelait la jeunesse à foutre le feu faisait un phrasé qui était quasiment de la poésie. Donc oui, une partie du propos, de l’énergie, est perdue mais ce qui m’intéresse c’est l’écriture, c’est de transposer, mais à chaque fois que je parlerai de musique, j’inviterai les gens à l’écouter parce que ça reste la meilleure expérience.

HM : Le rap ne devient-il pas de la pop-culture ?

CB : Très probablement, c’est inéluctable. Il y aura toujours un moment où ce qui va être plus ou moins iconoclaste et novateur va finir par faire école, aussi, certains rappeurs finissent par s’assagir comme Joey Starr devenu acteur et qui est même passé à la Star Academy. Mais ce qui m’intéresse dans le rap c’est qu’il y a une énergie qui est inhérente à la musique et qui réussit à se poursuivre et à se renouveler même si ça passe par des artistes différents et qu’il y a des périodes plus ou moins fastes selon les pays. Je trouve quand même que le rap français est devenu moins intéressant, bien qu’il y ait un petit regain d’intérêt ces derniers temps, mais c’est une grosse période creuse alors qu’aux Etats-Unis ça a toujours réussi à se maintenir. Cette musique a toujours été liée à la condition sociale de ses auteurs et le fait qu’il y ait encore les mêmes problèmes dénoncés par le rap qu’il y a 20 ans permet une nouvelle production tout aussi énergique et tout aussi revendicatrice que Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu datant du début des années 90. Avec beaucoup de rappeurs américains on trouve des textes très matérialistes qui sont un peu symptomatiques où on peut toujours relier quelque chose à la société, à la politique, même si ce n’est pas dit clairement, alors qu’ils ne se veulent pas du tout conscients au sens premier du terme. Rien que le fait que ça évolue vers du monosyllabique, vers du bruitage ou en tout cas vers une diction plus courte, c’est politique pour une musique qui a longtemps été très bavarde, ça devient de plus en plus violent, de plus en plus brut, peu importe ce qu’on dit.

Le deuxième numéro de mon fanzine sera très probablement consacré à un rappeur de Chicago : Chief Keef, 18 ans, repéré à 16 ans parce qu’il faisait des morceaux qui parlaient énormément de violences, de gangs, il tournait ses clips depuis la maison de sa grand-mère à cause de son bracelet électronique… Il a explosé sur internet en faisant ces chansons assez violentes, primaires, qui donnaient même une forme de glorification du mode de vie des gangs. Si on s’intéresse à sa biographie, on peut voir qu’il s’est retrouvé dans une ville, Chicago, qui est durement touchée par la crise des subprimes et qui est train de dépasser Détroit comme ville la plus violente des Etats-Unis, alors évidemment, il y a quelque chose de politique quand on s’intéresse aux paroles et à la musique d’un jeune de 16 ans qui vit dans un quartier violent dans une partie de la ville devenue très pauvre et complètement abandonnée par l’Etat. Il a une énergie énorme dont on peut dire que c’est l’énergie du désespoir et je trouve ça très intéressant de se dire « il a 16 ans, sa mère est une accro au crack, il a grandi et a été recruté dans un gang très jeune, qu’est-ce que cette personne produit comme littérature ? »

HM : Le rap est forcément une musique contestataire ?

CB : Pas forcément contestataire mais forcément politique ou en tout cas forcément considérable d’un point de vue politique qu’on le veuille ou non, ou qu’elle le veuille ou non. Même jusque dans ses retranchements les plus bling bling qui traduisent une espèce de rêve, un mélange entre fantasme et réalité avec des chiffres qui sont complètement délirants. Quand je vois Jay-Z maintenant, c’est le journal de Wall Street ! C’est toujours intéressant de voir le rapport de certains rappeurs qui vont rester toute leur vie dans un rapport un peu violent ou même dans une exhibition qui va paraître étrange et d’autres qui vont finir comme Jay-Z. D’ailleurs, une anecdote assez drôle sur lui, c’est qu’au moment du mouvement Occupy Wall Street, sa marque de vêtement avait sorti un t-shirt, qui avait repris le logo en barrant le W et en rajoutant un S et pour marquer Occupy all streets, et lui trouvait ça cool alors que beaucoup de personnes, même de sa base de fans, s’étaient insurgés en disant qu’il était complètement déconnecté des gens qu’il défendait pour finir par faire un t-shirt fabriqué en Chine qu’il vend quarante Dollars sur un mouvement contre la finance. Donc le rap a cette coexistence de choses très mainstream, très acceptables et de choses beaucoup plus dures, violentes et contestataires.

HM : Pourrait-on dire que vous êtes un artiste engagé ?

All art is propaganda, installation proposée par Charles Bontout lors de Jeune création 2014

All art is propaganda, installation proposée par Charles Bontout lors de « Jeune création » 2014

CB : Je ne me considère pas, ni moi, ni mon art comme engagé dans la mesure où ce que je dis c’est que j’ai un art qui est politique ou en tout cas qui parle de politique mais qui n’est pas politisé. Je ne voudrais surtout pas faire d’art partisan car ce serait fermer énormément de portes à l’interprétation et à ce qu’on peut faire de mon travail ; l’art peut être didactique mais je considère vraiment ce que je fais comme un outil. Un outil de compréhension du monde, un outil pour se former des opinions plutôt que quelque chose qui va donner une opinion déjà faite. Mais effectivement il y a une sorte de playlist culturelle qui va apparaître, puisque je travaille à partir de citations d’auteurs que j’apprécie et lis mais avec lesquels je partage plus ou moins d’opinions. C’est par exemple évident avec Louis Ferdinand Céline que je ne suis pas du tout proche de tout ce à quoi on peut l’associer, c’est encore une fois un écrivain pour moi très iconoclaste, absolument génial dans son œuvre romanesque, mais je me sentirais beaucoup plus proche de Charles Bukowski. Il y aura toujours évidemment une sympathie soit pour l’œuvre, soit pour les idées soit pour les deux mais j’essaye de faire en sorte que ça ne transparaisse pas trop. Je considère ces textes-là comme point de départ, comme matériau, au même titre que de la peinture. C’est plus une invitation à l’engagement qu’un engagement,  j’établis des parallèles, j’ai envie de parler de certaines choses dans le monde contemporain qui font souvent écho à ce que je lis ou ce que j’écoute. C’est ma manière de consommer la culture.

HM : On retrouve beaucoup de points communs entre votre travail et celui de Mounir Fatmi, tant par la forme que par les idées, fait-il partie de vos références ?

Ordre et progrès, Charles Bontout

Ordre et progrès, Charles Bontout

CB : Je connaissais ce que faisait Mounir Fatmi mais je ne l’avais pas en tête en créant. Ensuite j’ai vu que cette année il était le parrain de « Jeune création » donc c’est vraiment le fruit du hasard. Evidemment c’est un artiste dont j’apprécie le travail, mais qui ne m’a pas inspiré la forme des drapeaux par exemple. Les drapeaux sont relativement peu présents dans l’art contemporain, ce n’est pas un médium établi comme du print ou de l’installation, il n’y a pas une école du drapeau comme il y a pu avoir celle du néon à une époque. Le drapeau a une forme de gravité : on peut le mettre en berne, ça peut être presque romantique de créer son drapeau, c’est un objet de subversion si on fait du ready made en utilisant un drapeau déjà existant comme peut le faire Mounir Fatmi, on se met à égratigner l’image de ces Etats ou à la détourner, ça a une connotation étatique, une connotation évidemment politique, je trouve qu’il y a une symbolique assez forte et assez belle dans le drapeau. C’est vraiment une forme que je trouvais assez séduisante en tant que telle et qui s’est trouvée appliquée à certains de mes travaux quand ça avait lieu d’être.

HM : Le fait de créer des étendards est une façon d’énoncer une ligne de conduite ?

CB : Ce n’est pas forcément ma ligne de conduite, assez souvent quand j’ai fait des drapeaux, ils étaient fictifs et représentaient plus les lignes de conduite d’autres que les miennes. Pour Céline anti-monument, c’était vraiment ça, travailler sur un écrivain qui est la plus grande plaie ouverte de la littérature française et qui est à la fois très lié à l’histoire de France, d’où ces drapeaux en berne, c’est aussi le deuil de l’innocence idéologique de la littérature française qui s’est retrouvée confrontée à ces idées-là, et le deuil de l’amoureux de Céline que j’étais parce que j’avais lu tous ces romans, j’étais bien évidemment au fait de ce qu’il avait pu dire de très regrettable et très révoltant, j’ai même réussi à me procurer et à lire tous ses pamphlets, et ça m’a rendu très triste de savoir que même maintenant, je le considère toujours comme un des plus grands écrivains français, c’est un vrai traumatisme. Il y a des passages qui sont tellement insoutenables que quand bien même on adore Céline, et c’est mon cas, c’est impossible de le célébrer, c’était cette œuvre un peu paradoxale et un peu ambivalente que j’avais envie de faire. Ces drapeaux sont aussi une manière d’ériger des idées politiques ultérieures, de pays, de personnes et d’en faire des symboles, comme pour Ordre et progrès, qui était une loi destinée à soigner les homosexuels et qui a failli être adoptée au Brésil. C’est donc une ligne de conduite qui me scandalise, mais c’est aller jusqu’au bout des idées de ces gens-là, d’en faire un drapeau et dire « voilà ce que ça pourrait donner ». Effectivement, le résultat est un peu glaçant.

HM : Vous faîtes alors une interprétation des œuvres et des hommes comme avec Bukowski monument par exemple ?

Bukowski monument, Charles Bontout

Bukowski monument, Charles Bontout

CB : Oui, certainement moins critique dans Bukowski monument qui est en accord avec sa forme d’écriture et sa vie : si on veut ériger un monument pour Charles Bukowski ça ne peut pas être grandiose, ni un buste en or, il faut que un côté un peu précaire. En l’occurrence j’assume beaucoup plus son influence, c’est un personnage qui m’est bien plus sympathique que Céline. Ma ligne de pensée s’établit peut-être plus avec cette sorte de playlist personnelle de références, mais en aucun cas je me revendiquerai d’une idéologie claire. Evidemment, les citations que j’utilise sont prises dans ce que je lis, donc elles me plaisent, mais elles sont ensuite mises à disposition d’autrui : on peut les lire, on peut consulter tout le livre, on peut faire le parallèle avec ce à quoi quoi elles sont confrontées dans les différentes œuvres… C’est plutôt cet esprit-là. Tous ces auteurs sont en plus politisés à des degrés divers, certains ont des idées assez différentes, ce sont souvent des époques différentes aussi, donc il ne peut pas y avoir de ligne de pensée spécifique qui se dégage, cela restreindrait la portée de mon travail alors que j’essaye de faire en sorte qu’il soit ouvert au maximum. Il faut que les gens puissent en faire ce qu’ils veulent.

HM : Devises a un côté très autoritaire, ce travail ressemble beaucoup aux messages d’avertissement qu’on peut voir partout : sur les films, les disques, les pubs, les paquets de cigarettes…

Image de prévisualisation YouTube

CB : C’est vrai qu’on peut y voir une ressemblance, mais de manière générale tous les messages de ce type en bas des publicités ou tous les messages de mention légale, étatiques, ont ce parallèle qui s’opère. Il y avait aussi un film, une vieille série B géniale, They live (Invasion Los Angeles en français ndlr) de Carpenter, où des extra-terrestres sur Terre diffusent des messages subliminaux absolument partout, dans la presse ou sur les panneaux publicitaires et un jour le protagoniste du film trouve des lunettes qui permettent de voir ces messages. On m’a déjà dit que Devises y ressemblait beaucoup graphiquement alors que je n’avais pas encore vu le film quand je l’ai fait. J’assumerais peut-être plus cette comparaison-là, le propos est un peu le même. Mais effectivement, un effet autoritaire se créé, et justement si on arrive devant et qu’on voit ces devises sans savoir qu’il s’agit des devises de pays, la personne pourrait se dire qu’il s’agirait d’une sorte de dictature fictive qui enverrait des messages, j’aimais bien cette idée-là.

HM : En utilisant la même charte graphique pour les devises de chaque pays, vous cherchez à mettre les pays sur un même pied d’égalité ?

CB : J’avais la volonté d’annuler toutes ces devises, de les juxtaposer, de les mettre en forme d’une manière très neutre et très égalitaire, et cette succession relativement rapide produisait cet espèce d’amalgame, de galimatias de notions dont tous les pays se réclament et qui au final deviennent un peu abstraites, voire vides de sens. Énormément de pays se revendiquent de l’égalité et de la liberté, certains mots reviennent assez fréquemment et c’est assez compliqué de se dire : est-ce qu’un pays a la légitimité de se réclamer d’une notion ? Bien souvent une dictature a le mot « populaire » dans son slogan alors qu’il écrase le peuple et tellement de pays se réclament d’une même notion comme s’ils voulaient la faire leur alors qu’au final ce sont des vœux pieux parce que pratiquement tous les pays aspirent à la même chose et veulent la même chose pour leurs citoyens mais il n’y a pas de spécificité propre à chaque pays parce que tous ont à peu près les mêmes devises. Il y aura une suite de Devises qui s’appellera Devises 2 et qui sera sous la forme d’un drapeau avec un index rerum de toutes ces notions qu’on retrouve : l’égalité, la liberté, la démocratie…  Ces termes vont être classés par ordre de récurrence, donc ça fera une liste et derrière avec une carte du monde où chaque pays sera étiré vers les notions vers lesquelles il essaye de tendre. Ça donne quelque chose de formellement assez beau : une planète complètement tiraillée entre toutes ces notions, ça forme une espèce de tourbillon.

HM : Vous avez fait plusieurs vidéos qui parlent d’affaires politiques, est-ce une manière de dépeindre le monde actuel ?

CB : Oui, ou en tout cas un certain pendant du monde actuel, je ne pense pas qu’il soit fait que de ça. On est à une ère où il y a beaucoup de défiance par rapport au pouvoir politique car le monde est encore énormément influencé par la politique et l’avis du peuple, du peuple même mondial, est régi par les décisions ou les non-décisions, la puissance ou l’impuissance des politiques. Effectivement j’ai envie de parler de tout ça dans mon travail car c’est très important et dans le monde actuel c’est très compliqué de faire de l’art sans être ouvert sur le monde. Donc oui, je pense que ça dépeint une partie du monde et je choisis aussi de l’aborder sous cet angle-là : je pars d’une ironie assez grinçante en utilisant certaines affaires récentes pour exprimer une forme de scepticisme et de défiance ce qui est toujours sain. Le rôle de l’art et de l’artiste en général selon moi, c’est de poser des questions et de toujours venir semer le trouble, je pense qu’il ne faut jamais laisser les structures, qu’elles soient politiques, idéologiques ou culturelles, se sédimenter et je pense que c’est toujours bien de venir les déséquilibrer, de les remettre en question. C’est pour cette raison que j’essaye d’avoir un travail qui reste assez neutre, c’est un outil de subversion et un outil pour que les gens puissent se poser des questions et non pas  l’affirmation d’une doxa qui me plairait plus qu’une autre. Je prends souvent cette métaphore : c’est comme quand on va à la mer et qu’on ramène du sable et un peu d’eau dans une bouteille, au bout d’un moment le sable va décanter et tomber au fond, moi je pense que l’art c’est reprendre la bouteille et faire en sorte que le sable soit toujours en suspension dans l’eau.

HM : L’art n’est-il pas une forme de combat ?

CB : Si, mais pour combattre toutes les idées. Même le régime politique le mieux intentionné du monde et même si j’avais une certaine sympathie envers la  ligne politique en place, ça fait partie de mon intégrité d’artiste que de savoir penser contre moi-même. Donc je fais de l’art contre des idées, mais dans un but constructif, parce qu’encore une fois, qu’elles que soient les idées et la pensée dominante, à tous les niveaux que ce soit : politique ou culturel, il faut toujours une opposition, il faut toujours un doute et il faut toujours essayer de créer quelque chose. C’est plus un mécanisme qu’une fin, il faudra toujours donner de la subversion et du scepticisme contre tout, même contre ceux avec qui je suis d’accord.

HM : Vous parlez d’affaires politiques qui instaurent, ou ont instauré une sorte de pessimisme ambiant comme la déclaration de guerre en Irak, l’affaire Cahuzac ou encore celle de la secrétaire de Bill Clinton. Pourtant vous ironisez, est-ce que vous êtes convaincu que tout va s’arranger ? Peut-être avec une révolution ?

Mister California, Charles Bontout

Mister California, Charles Bontout

CB : Je suis à la fois optimiste et pessimiste dans le sens où je pense que de toute façon les révolutions sont toujours possibles mais elles s’épuisent, elles peuvent alors amener des choses tout aussi négatives qu’avant. Mais il peut y avoir un renouveau et c’est à ça que sert l’art selon moi, c’est vraiment cet outil un peu primaire, un peu premier de la révolution de la pensée. J’insinue le doute en permanence avec mon travail donc ce n’est ni pessimiste ou négatif mais c’est vraiment dans le but d’égratigner l’ordre établi, il faudra toujours sinon inciter, semer l’idée dans l’esprit du public.

HM : Youtube est finalement un terrain de jeu pour vous ?

CB : Oui complètement ! C’est très facile d’avoir accès à énormément de choses, on peut le dire d’internet en général, mais une communauté de création absolument incroyable s’est développée, les gens se sont mis à faire des vidéos avec un côté fait maison que je trouve très touchant. Il y a vraiment un truc très spontané, très joyeux et très optimiste justement. Même si ça ne se voit pas beaucoup, je considère mon travail comme étant très optimiste, ou plutôt volontariste.

Les formes de mes vidéos sont un peu brutes, en quelques heures je peux télécharger des vidéos, en prendre des morceaux, les modifier un peu, refaire du montage, et en quelques jours ça peut être fait. Comme c’est une œuvre qui n’est pas matérielle, on peut facilement se soustraire des contraintes techniques de production avec la vidéo, on peut travailler de manière assez légère simplement avec un ordinateur en quelques jours, ce qui n’est pas forcément le cas d’une grosse installation, ou d’un print où il va y avoir une production physique. C’est comme ça que j’ai commencé la vidéo, en me disant je faisais des travaux qui sont grands, qui sont plus longs dans leur conception, dans leur fabrication et dans leur installation, donc l’occasion de travailler en quelques jours sur un ordinateur de manière beaucoup plus fluide et rapide m’a attiré. Je peux même mettre mon travail en entier ou en extraits sur internet, envoyer une clé USB qui sera diffusée dans une exposition… Je n’avais pas envie de me contraindre et de me dire « encore une nouvelle forme ou un nouveau média, sur lequel je vais devoir passer des semaines ! » j’aime l’idée d’avoir plusieurs rythmes de production.

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