MEHRYL LEVISSE, LA MULTITUDE DES CORPS

 

Phénoménologie de l’égo diptyque, photographie, 2012

 

Par Mona Prudhomme

 

 

C’est dans le cadre de la 65ème édition de Jeune Création, exposition d’artistes émergents, que l’artiste plasticien Mehryl Levisse, a présenté une des pièces phares de son travail. Oeuvre maîtresse comme il la qualifie, elle nous surprend par sa singularité. Tout le travail de Mehryl Levisse est photographique, le support idéal pour illustrer ses mises en scène, plus farfelues les unes que les autres. Cependant ici nous sommes face à une sculpture de Lego. Le dernier jeu nous questionne sur notre rapport aux différentes étapes de la vie. Quel sens faut-il donner à l’utilisation d’un jeu d’enfant pour représenter le réceptacle qui nous accueillera tous à la fin de notre existence?

Au mur, quatre photographies de petit format encadrées de résine, trônent au-dessus du cercueil. Chacune d’elle représente un corps ou un duo, dont les visages sont remplacés par un gros cube de Lego.

Le dernier jeu, sculpture de lego, 2012

Il semblerait que sans visages, ces corps, presque totalement nus, perdent toute identité. Les  pièces de Lego viennent étouffer leur possibilité d’expression, seule la gestuelle est là pour nous raconter l’histoire de ces personnes. Et c’est bien là le thème de Mehryl Levisse : le langage des corps, omniprésent, et codé.

Et comme si même l’enfance perdait toute innocence, l’artiste nous livre un mode d’emploi de construction de cet habitacle funèbre. 200 pages afin de concevoir minutieusement notre tout dernier lit. Le malaise devient complet lorsque l’on réalise que ce funeste projet est destiné à un corps d’enfant. Et quel beau clin d’oeil que d’exposer un cercueil sachant que le 104, centre d’art abritant l’exposition, fut un lieu de pompes funèbres jusqu’en 1997.

Pour ce qui est de la technique, l’artiste est assez peu commun. Chaque œuvre est réalisée avec une perfection maniaque, la composition est pensée afin de donner tout son pouvoir au sujet choisi. Malgré une attention au cadrage, à la composition, qui pourrait nous évoquer le travail pointu de Jeff Wall, Mehryl Levisse revendique ne pas être photographe. Et en effet, on ressent bien plus qu’une beauté photographique dans ses clichés. Il traite de façon presque obsessionnelle des thèmes tels que la religion, le moment de la fête où tout dégénère, la confection des décors d’intérieur, les rituels d’habitude, les traumatismes de l’enfance.

Mehryl Levisse fait partie de ces artistes qui savent se forger une véritable identité. Le visiteur peut être intrigué, embarrassé, étonné ou choqué face à cet univers d’une complexité originale. L’artiste sait jouer de nos références et nous entraîne dans cette ambiguïté constante d’un monde coloré, à l’allure enfantine mais dont le propos semble toujours empli d’une signification lourde de sens.

Il semble considéré son public avec une approche relevant de la sociologie.  L’artiste nous livre des clefs pour appréhender notre rapport à l’autre, notre inscription corporelle dans la société et ce grand sujet du passage de l’enfance à l’âge adulte. Cependant, malgré des images fortes, tout reste suggéré, chacun est libre d’établir sa propre interprétation.

Depuis peu enseignant à l’université de Reims sur le thème de l’usage du corps à travers la performance, la danse et l’art contemporain, Mehryl Levisse multiplie les façons de transmettre son engagement d’artiste. Ici le partage se fait par les mots, à des élèves éloignés du milieu artistique.

Si l’on peut lui reconnaître une grande qualité, c’est bien celle de savoir théoriser son œuvre, ce qui se fait de plus en plus rare dans ce monde à huit- clos qu’est l’art contemporain.

 

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