Entretien avec Oriane Amghar

Cet entretien s’est déroulé à Bruxelles le 19 octobre 2014 en vue de l’exposition « Jeune création » à Paris (du 29 octobre au 02 novembre 2014)

Par Marcy Petit

Racontez-nous votre première expérience ou œuvre performative.

J’étudiais la scénographie et je devais rendre un travail dont la fonction principale était de me familiariser avec le plan et la maquette. J’avais inventé un dispositif pour retourner un espace comme une peau, et je commençais à développer des discours loufoques pour l’expliquer. Quelque temps auparavant, j’avais créé un personnage, qui avait un nom, mais pas réellement d’incarnation. C’est finalement elle, Gwendolina March, qui a présenté le projet dans son laboratoire improvisé, utilisant un langage scientifio-philosophique, comme une première tentative d’échapper à ses propres limites.

 Vous avez donc créé un personnage, une sorte de costume, que vous endossez lors de vos performances. Ce personnage s’appelle Gwendolina March. Vous êtes-vous inspirée de quelqu’un en particulier pour « fabriquer » ce personnage ? Y a t-il des références cinématographiques, artistiques ou personnelles ?

Gwendolina n’a pas d’origine permanente. Elle a celle qui lui servira le plus et le mieux, à l’instant où elle performe. Ainsi, elle change d’histoire, de métier. Elle est souvent construite de l’histoire des autres, de leurs façons de bouger, de leurs tics faciaux, leurs tons. Elle se permet des énormités, des choses scandaleuses et interdites. Elle peut faire mentir la science ou l’Histoire, voyager dans le temps.

 Dans la description physique que vous faites de Gwendolina, vous accordez une grande importance et une certaine représentation de la coiffure de celle-ci. Vous employez des termes tels que « strict », « égal » ou encore « sexuel » pour décrire cette coiffure. Pourtant, à y regarder de plus près, Gwendolina ne semble pas vraiment stricte, égale et sexuelle. Quelle est cette contradiction entre son physique et son comportement ?

La perruque que je porte est toujours la même : c’est une coupe de cheveux droite, surmontée d’une épaisse frange, lisse et peignée. Je parle d’égalité pour nommer la constance : un objet factice en matière plastique voit difficilement sa forme changer. Par ailleurs, la perruque est un accessoire qui peut sexualiser un corps, une situation, par l’apport d’une fiction et d’une distance. Gwendolina oscille entre désespoir social et rencontres brillantes avec un public, un sujet.

 Il y a une performance qui m’a particulièrement intriguée. Il s’agit de la performance Tabula #0. On vous voit assise à une table et vous semblez décoller, retirer un masque de votre visage. Pouvez-vous nous parler de cette œuvre ?

Cette performance se déroule le 10 mai 2033, c’est une Gwendolina plus vieille et sûre d’elle qui est sur scène. Elle est assise à son bureau, le visage tourné de trois-quart vers le public, dans une attitude « pin-up ». Elle est venue raconter son histoire. La conférence fictive est interrompue par ce geste, à la fois symbolique et spectaculaire. L’utilisation de cet artifice est à décoder comme une diversion. Il engage alors un autre type de déshabillage, plus subtil et plus fragile au regard. Il s’agit d’un changement de ton, d’une projection dans un souvenir, d’un dénuement du discours.

 Tout ceci pose la question de l’identité de l’artiste. Considérez-vous que cela interroge l’identité ouverte ou cachée de l’artiste, ainsi que de votre individualité ?

Ce n’est pas directement ce qui m’intéresse. Plus que les questions d’identité, ce sont celles du comportement social et de l’attitude qui priment. Par ces situations créées et vécues dans mes performances, je nomme le rapport à l’autorité, la construction fluctuante du réel. Il s’agit de l’angoisse de ne jamais être au bon endroit, d’être avalé par l’absurdité.

Enfin, il y a une grande part d’éléments fictionnels qui englobent votre travail (discours, installation, situation, interaction) et ce, en particulier dans le travail que vous allez présenter lors de l’exposition « Jeune création ». Pouvez-vous nous parler de cette prochaine performance organisée, mais qui va finalement s’épanouir dans l’improvisation des situations, selon les gens, selon le moment …

Ce sera une « performance-duration », c’est à dire qui aura lieu pendant tout le temps de l’exposition. Ce sera une installation évolutive que je viendrai activer. J’organiserai méthodiquement et de façon répétitive du matériel de bureautique, des feuilles, des documents et des classeurs remplis d’infos qui seront des supports de performance-conversation. Les spectateurs devront rentrer en contact avec moi pour faire basculer la performance d’un jeu inaccessible et stérile vers un moment intime, secret. L’enjeu est de produire quelque chose d’immédiat et de matériel. Ce travail a deux titres : Le gâchis et 06 77 05 78 61. Le gâchis, ça nomme entre autres, une organisation dysfonctionnelle, inefficace. Et ce numéro de téléphone est mon numéro personnel. C’est une réponse au contexte particulier du salon, qui soulève des enjeux de conditions de monstration auxquels je ne me suis encore jamais confrontée.

le gachis (1)

Image de communication – Le gâchis et 06 77 05 78 61. Performance réalisée à l’occasion de la 65ème édition de « Jeune Création »

Pour le philosophe David Hume, l’art et la fiction sont pensés comme une fuite du quotidien. Pour le théoricien Jean-Marie Schaeffer, la fiction est vue comme « une feintise ludique partagée », c’est-à-dire une façon de créer un univers imaginaire afin d’entraîner le récepteur à se plonger dedans. En gros, dans ces deux réflexions, l’art et la fiction sont indissociables de la vie de l’homme. Pensez-vous que votre travail s’inscrive dans ce raisonnement par les différents éléments, situations que vous mettez en place ? Plus particulièrement par le matériau oral ?

À tous les égards, la vie quotidienne est fictionnalisée, qu’il s’agisse du rituel personnel ou des apprentissages sociaux. La création de l’objet « réalité » est filtrée en permanence par un système inappréhendable. Ce que vous nommez comme matériau oral est un filtre que j’utilise pour projeter et transformer.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.