Sursaturation, Maëlic Beets

Bien qu’il débute tout juste, Maëlic Beets a déjà eu l’occasion de participer à des expositions collectives comme La nuit des talents au Loft du vieux port, ou Rature à la galerie Azile 404, à Marseille.

Ses œuvres semblent être, au premier abord, des peintures abstraites, faites sur différents supports allant du plexiglas au panneau de bois, en passant par le métal, sur lesquels il est possible de voir des coulures de peintures (monochrome ou polychrome) et parfois même des brûlures.

Tout ceci est plutôt énigmatique. Quel est l’originalité de ce travail ? Qu’est-ce que ce travail a de plus qu’un autre ? Les combustions peut-être. Ces œuvres attirent le regard, donnent envie de toucher les rugosités apparentes sur les supports, mais elles ne laissent rien paraître de l’intention de l’artiste. Il est vrai que peu d’œuvres laissent paraître l’intention réelle de l’artiste, mais le regardeur peut s’imaginer ce que l’artiste cherche à montrer. Là, il n’en est rien. Les œuvres sont quasiment hermétiques. Cependant, elles provoquent quelque chose, elles attisent la curiosité. Force est d’admettre que, si elles « parlaient » facilement, elles ne seraient sûrement pas aussi intéressantes, intrigantes. Elles n’inviteraient pas à se questionner, ne serait-ce que pour deviner la matière sous ces coulures de peintures.

L’artiste cherche à montrer la peinture telle qu’elle est, la matière qu’elle constitue une fois posée sur un support. Il a tourné son travail plastique à la manière d’une recherche scientifique, en exploitant le phénomène dit de sursaturation. Concrètement, l’artiste sature un support de peinture, pour voir comment le matériau va réagir à ce surplus, comment la matière va évoluer, va bouger, glisser. En fait, la question est de savoir comment le support va réussir à supporter le trop-plein de peinture, pour atteindre un stade stable.

De la sorte, il n’est plus un artiste qui peint sa toile et qui tente d’atteindre un résultat idéal, il est plutôt du côté du chercheur, du scientifique qui, par ses expériences, observe, cherche à comprendre les réactions, dans le but de les analyser, voire les reproduire. Il veut comprendre la réaction que la peinture entretient avec le support.

Il ne recherche pas un résultat. Il se concentre davantage sur ses expérimentations, sur la matière, sur la façon dont il serait possible de la garder en mouvement, qu’elle reste instable, qu’elle ne sèche jamais, en quelque sorte. On espère être bientôt en mesure de voir une installation qui donnerait à voir une peinture en perpétuelle réalisation, le support recrachant le surplus de peinture, qui serait réutilisé pour réimbiber le support, …

Bref, le rendu esthétique ne l’intéresse pas, il ne veut pas faire quelque chose de beau, ce n’est pas la fin de l’expérimentation qui compte, c’est tout ce qui s’est passé en amont pour arriver à ce résultat. Le résultat sera intéressant pour connaître les réactions du regardeur face à son œuvre, comment il le découvre, comment il l’appréhende.

Cependant ce point peut être problématique, car le regardeur n’a devant lui que les traces de ses expérimentations. Il faut encore à l’artiste trouver un moyen pour en rendre compte, en passant par la vidéo peut-être. Trouver une façon adéquate de présenter sa façon de travailler, pour que le regardeur puisse voir tout le processus qui a donné vie à ce qu’il voit. Ce serait aussi un moyen de révéler la matière, que le processus de sursaturation soit visible. L’artiste est toujours en recherche de solution pour que son travail puisse être compris plus aisément, pour partager ce qu’il voit pendant qu’il crée.

On peut se demander, pourquoi l’artiste ne s’aventure pas dans la figuration. Pourquoi uniquement de l’abstraction ? C’est pour lui une façon de rendre plus visible le sujet de son travail, de le mettre en avant, sans qu’il soit parasité par un dessin. La matière est la seule qui soit donnée au regard. Il veut que l’on prête attention à cette matière souvent oubliée, supplantée par la représentation.

Les objets ont tous une texture qui, par l’action du temps, par les accrocs et autres accidents, se modifie. La peinture fait ressortir cette texture, car elle est le seul médium qui permet de saturer, et de ce fait, de sursaturer un support, il permet d’avoir des aspects, des lignes, qui se figent en séchant, il peut également être brûlé, ce qui donne encore un autre aspect aux œuvres de l’artiste.

Car oui, bien que la majorité de son travail soit tournée sur la sursaturation, il ne se contente pas d’imbiber des supports divers de peinture, dans sa recherche sur la matière, il travaille aussi la combustion. Elle donne un autre aspect à la peinture, une sorte de grain apparaît, la couleur est, bien évidemment altérée. La combustion apporte une dimension supplémentaire, qui captive le regardeur. Chaque combustion étant unique tant par le mélange pigment/solvant des différentes peintures, que par le caractère « indomptable » du feu. Son imprévisibilité et sa dangerosité rendent le feu fascinant. On retrouve cet aspect dans les peintures brûlées de Maëlic Beets, car on ne peut quasiment pas expliquer la raison qui nous pousse à les observer, voire les contempler. Les sursaturations paraissent lissent face à elles. C’est cela qui est intéressant dans le travail de ce jeune artiste, c’est cette capacité qu’ont ses œuvres à nous troubler.

Plusieurs artistes ou mouvements ont inspirés l’artiste. Il emprunte au Street Art, de par l’utilisation de peinture aérosol et la façon de travailler. Il s’inspire également du travail de Robert Ryman, qui utilisa le monochrome blanc et le travail en série pour mieux donner à voir les effets des différents supports dont il s’est servi. En effet, tout comme Ryman, Maëlic Beets applique une couleur unique pour ses expérimentations, qu’il n’hésite pas à reproduire, pour en comprendre tous les enjeux. Le mouvement de l’Action Painting lui a permis de prendre en compte l’importance du geste dans la création, que la peinture retranscrit les mouvements fait par l’artiste. Il doit ainsi prendre en compte sa façon de peindre pour le bon déroulement de ses recherches.

C’est donc avec curiosité que l’on découvre le travail, ou plutôt, la recherche plastique de Maëlic Beets, et c’est  aussi avec curiosité que l’on souhaite connaître la tournure que cette dernière va prendre au fil des années. La question de la sursaturation, de ce maintien de l’instabilité est original, il doit, donc, y avoir beaucoup de possibilités concernant son évolution.

Maëlic Beets est étudiant en deuxième année de master d’art contemporain à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Auparavant, il a eu une licence Arts Plastiques à l’université de Provence Aix-Marseille, où il débuta son master.

Sarah Gautier

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