Entretien avec Vincent Gille, chargé d’étude documentaire à la Maison de Victor Hugo

Propos recueillis par Audrey Lesage

Comment vous êtes-vous retrouvez à réaliser un projet au sein du centre de détention de Réau ?

Je suis arrivé en cours de route. Le projet a été initié et décidé par la réunion des musées nationaux, sur l’idée de son président, Jean-Paul Cluzel. Il souhaitait travailler avec une prison.

La RMN a décidé de faire une exposition dans cette prison. Il fallait une caution scientifique vis-à-vis des musées, à qui on allait emprunter des œuvres. Il leur fallait quelqu’un qui puisse servir de commissaire, dans notre jargon, on appelle ça un scientifique.

J’avais entendu dire que c’était une idée de Pascal Vion, l’ancien directeur de la prison ?

Je pense que c’est une idée commune de Jean-Paul Cluzel et de Pascal Vion, qui avaient tous les deux l’idée de faire quelque chose. L’un voulait amener des œuvres dans sa prison, l’autre souhaitait  travailler dans un établissement pénitentiaire. Comme toujours ce genre de chose venait de la rencontre et de la volonté de deux personnes, ça ne déroge pas à la règle.

Finalement, Pascal Vion est parti, et c’est Nadine Picquet qui a repris la direction du centre.

Oui, il a quitté la direction de la prison, juste au début du projet et elle a repris le flambeau.

Qu’est-ce que vous a apporté votre participation à ce projet ?

Beaucoup de travail, énormément de travail, je n’avais pas imaginé. Quand je suis arrivé, j’ai dit que je voulais bien participer au projet mais j’ai posé des conditions ; j’ai proposé une méthode. Je n’avais pas envie d’arriver avec une exposition toute faite. C’est mon métier donc des expositions je peux en faire sur des sujets divers et variés. En amener une toute faite dans la prison, ce n’était pas comme ça que j’avais envie de faire. J’avais envie que cela prenne du temps, de travailler avec des détenus et ne pas arriver avec un projet d’exposition. Si on devait travailler ensemble, je voulais que ce soit eux qui choisissent le sujet de l’exposition, et que ce soient eux qui l’organisent et la montent. Monter une exposition prend du temps, mais encore plus dans ces circonstances-là. Cela n’avait d’intérêt pour moi que si ça durait un an, voire deux ans.

Pascal Vion, à ce moment-là, m’a donné son accord. L’exposition s’est montée de cette façon, et je ne vois pas comment elle aurait pu s’organiser autrement. C’est-à-dire que je ne me voyais pas arriver avec un savoir et une pratique. Je voulais que ce soit fait ensemble. Je ne mesurais pas à ce moment-là, à quel point le faire ensemble, ça allait me donner du travail car je ne mesurais pas à quel point ils étaient handicapés dans leur accès non seulement à la culture, mais très concrètement aux bases de données des musées. Aujourd’hui, lorsque l’on monte une exposition, et que l’on doit balayer un champ très large, on travaille sur internet parce que les catalogues des musées sont sur internet, or ils n’y ont pas accès. Je n’avais pas mesuré dans quelle mesure j’allais devoir encadrer leur choix. Ce projet a demandé une énorme préparation.

Mon métier est de faire des expositions, dans ce cadre-là ou dans un autre cadre, je ne vais pas dire que c’est la même chose, mais c’est rendre des œuvres d’art accessibles dans le cadre d’un parcours et d’un discours organisés pour le plus grand nombre. Chercher des œuvres qui ne sont généralement pas exposées et les mettre à disposition d’un public. Cela est fait de manière un peu particulière mais c’est le même principe. Ni moi, ni l’ensemble de l’équipe de la RMN n’a travaillé sur ce projet différemment de ce qu’ils font sur d’autres projets.

Si on vous proposait de travailler à nouveau avec un centre de détention ?

Je n’ai pas envie que ça devienne une spécialité, ni de devenir un commissaire carcéral. Il faut laisser la place à d’autres idées, d’autres initiatives ou d’autres musées. Pourquoi pas refaire ça dans 5 ou 10 ans, mais je ne recommencerai pas cette année.

Vers quoi voudriez-vous, vous diriger ?

Dans le cadre d’une exposition que j’ai monté à la Maison Victor Hugo qui était « Victor Hugo politique » (politique de l’œuvre de Victor Hugo), je suis allé parler aux détenus de la maison centrale de ce projet-là. La rencontre a été assez forte, et ils m’ont demandé de revenir. Je reviens en 2014. Cependant ça n’a rien à voir avec ce que j’ai fait, ce ne sera pas du tout dans le même cadre, ni dans les mêmes institutions.

C’était juste une occasion qui vous a été proposée

La discussion a été forte et intéressante, beaucoup plus qu’avec les personnes avec lesquelles j’ai travaillé durant un an, et j’ai envie de poursuivre cette discussion. Une dizaine de fois dans l’année.

Quel était votre rôle exactement ? Avez-vous fait des ateliers pour leur expliquer comment réaliser une exposition ?

Mon rôle a été de me trouver au mois de septembre face à des gens que je ne connaissais pas avec l’idée que nous allions nous retrouver une fois par semaine pendant un an, ou plus. Nous ne savions pas quand l’exposition serait visible. J’étais devant des gens qui me disaient de prime abord « Les musées ce n’est pas pour nous, la culture ce n’est pas pour nous, l’art on n’y connaît rien ». Je devais faire une exposition avec eux, et d’une certaine manière mon rôle était de les guider tous au long de la construction. Du choix du sujet, au choix des œuvres, au choix du parcours, à la manière dont on les présente, à l’écriture de texte dans le petit journal. C’est un domaine assez vaste. Ça c’était une partie de mon rôle, et l’autre partie était de leur montrer par A + B que les musées sont aussi faits pour eux, et que l’art aussi. Tout ça mélangé. Jean-Paul Cluzel  a dit dans le petit journal, que je leur ai « ouvert l’œil ». Je ne leur ai pas appris, mais je leur ai donné accès à ça en leur disant qu’ils avaient autant le droit que les autres, et que leur regard était aussi légitime que le mieux sur les œuvres. Ce n’est pas parce que je sais des choses que je suis mieux qualifié pour en parler, ils savent aussi des choses. Chacun les appréhendent à sa manière. L’essentiel a été d’effacer cette distance qu’ils sentaient vis-à-vis des œuvres, réelle parce qu’elles sont loin, et symbolique.

Vous pensez que ce type de projet canalise un peu la violence ?

Le groupe avec lequel j’ai travaillé a été sélectionné par l’administration. J’ai écrit un texte sur ce que l’on allait faire, et ils se sont inscrit, et dans ces volontaires, l’administration a fait une sélection. Des critères sur lesquels je n’avais pas à intervenir. Surement ceux qui pouvait le mieux s’impliquer, et ceux qui était le moins violent. Je n’ai jamais ressenti de violence. A part peut être une fois, où ils ont commencé à parler de leur condition de détention où je les ai senti un peu plus virulents que d’habitude car on en parlait jamais. La violence existe mais elle n’est pas entrée dans ce cadre.

Pour rejoindre la salle on traversait toute la prison et on pouvait voir beaucoup de détenus avec des surveillants. Il y avait une forme de respect et de vivre ensemble entre eux.

Comment avez-vous choisit les œuvres à exposer ?

Une fois que vous avez le sujet, vous faites le parcours d’expo. Après avoir trouvé le thème du « voyage », il faut structurer un parcours. Ils ont choisi d’aller sur plusieurs continents et  j’ai proposé quelques idées dont certaines ont été refusées et d’autres acceptées. On ne pouvait pas demander n’importe quelles œuvres, mais des refus de prêt, on en a dans toutes les expositions, il ne faut pas se focaliser dessus. Il fallait demander des œuvres qui n’étaient pas montrées, qui se trouvaient en réserve, c’était ma partie, et je savais aussi que le budget de l’exposition ne permettait pas d’aller chercher une œuvre en Australie. Avec tous ces critères, j’ai choisi des ensembles d’œuvre dont il était raisonnable de pouvoir demander le prêt dans ce cadre-là. Mais, il ne s’agissait pas pour autant d’une œuvre moindre. Les œuvres que le Quai Branly ou encore le musée Guimet ont prêtés ce sont vraiment de vraies belles œuvres. Ça c’est fait selon des critères dont j’ai l’habitude. Même à la Maison Victor Hugo, nous n’avons pas des budgets gigantesques.

Comme vous n’aviez pas accès à internet, vous travaillez avec des reproductions ?

Je leur amenais un ensemble de reproduction, et ils choisissaient dans cet ensemble.

Il y avait des critères particuliers dans leur choix ?

Il y a des choses qui les touchaient plus ou moins. Choisir des œuvres à plusieurs reste compliqué. Certains préféraient des œuvres à d’autres, donc il y avait des compromis, c’était assez folklorique, mais on a réussi.

Avez-vous remarqué un changement chez les détenus entre le moment où ils avaient accès aux reproductions et au moment où les œuvres sont arrivées dans le centre ?

Bien sûr, ce n’est jamais pareil. D’une part, parce que certaines reproductions n’était pas d’une excellente qualité et d’autre part, dans ce métier il est dur d’imaginer une œuvre à partir d’une reproduction. Quand on les voit sortir de la caisse, ou exposées dans un musée, ça n’a rien à voir. Donc même si ils avaient des dossiers entiers avec toutes les photos. Quand ils ont vu les œuvres ont poussés des cris de surprise et d’admiration, de plaisir. Parce que ça n’a rien à voir, et heureusement sinon il n’y aurait pas d’intérêt à faire des expositions.

Avez-vous eu des problèmes particuliers durant le montage ? Ateliers ?

Non.  C’est un lieu de contraintes. Cette exposition a rajouté du travail à l’établissement. Les détenus et moi devions venir tous les mercredis et ils ne pouvaient pas se déplacer tous seuls. Il y a forcément un gardien avec eux, donc il y a forcément des ratés. Les gardiens l’ont fait de manière positif, et ils ont vite compris l’intérêt de ce projet.

Comment avez-vous décidé la mise en place de l’exposition ?

Ils ont travaillés avec un scénographe. Il est venu à partir du mois de mars. Il leur a expliqué le travail de scénographe. Ils sont devenus commissaires. Cette séance a été une des plus belles de l’année, elle leur a permis de comprendre que cette exposition allait vraiment se réaliser.

Jusqu’à ce travail avec Pascal Rodriguez (le scénographe), ils ne le voyaient pas et n’y croyaient pas. Ainsi, quand Pascal est arrivé avec des plans, ils ont vus des plans d’architecte et ceci leur paraissait très sérieux. A partir de là, les choses, ont changé car ils y ont crus.

Ils ont fait le travail de médiation, ils ont appris avec une conférencière de métier. Quand ils ont assisté à l’arrivée, la sortie des œuvres des caisses, et leur accrochage a été un moment magique car les œuvres dégagent quelque chose, que l’on ne ressent pas avec des reproductions. Tout cela est venu crescendo à partir du moment où ils ont vus les plans.

Certains des détenus aimeraient réitérer l’expérience ?

Ils veulent tous recommencer. Du groupe de départ, aucun n’a quitté l’atelier, mise à part deux qui ont été libérés entre temps. Ce qui veut surement dire qu’ils y ont trouvé quelque chose, car rien ne les y obligent. Et, on a appris à se connaitre et à se respecter eux et moi, un an de travail, une demi-journée par semaine, c’est un moment de cohabitation, et puis, ils ont pris goût à la chose, ils ont appréhendés d’une manière différente ce qu’est une œuvre d’art. Ils ont commencés à lire des livres d’histoire de l’art. Leur regard à changer dessus.

L’expérience les a enrichis, transformés. Il en est de même pour nous.

Comment a été perçu le vernissage, par leur famille et les détenus non participants ?

Pour ma part, je ne suis pas intervenu, ils faisaient la visite. De les voir, les uns et les autres, répondre aux questions des journalistes et d’avoir cette saisie de la chose à ce point, et de s’en considérer, à juste titre, comme les responsables et initiateurs de l’exposition, était un grand moment. Je trouve que c’était le but du jeu, et que l’on a réussi. Leur regard a changé sur ça, mais aussi sur eux-mêmes.

Et qu’est-ce que la concrétisation de ce projet vous a apporté ?

Beaucoup de bonheur le jour du vernissage. J’étais vraiment heureux pour eux. Humainement parlant, c’était assez fort. Je monte des expositions tout seul ou avec des commissaires d’exposition, on est dans le même monde, donc d’avoir dû faire l’effort d’aller vers des gens qui ne sont pas familiers à tout ça, de les avoir écouté parler d’autres choses ou parler des mêmes choses mais différemment, ça m’a plu. Quand j’avais rencontré Pascal Vion avant de commencer le projet, il m’avait clairement dit que ça allait me changer, mais c’est aussi pour ça que je l’ai fait. Je le savais.

A propos de la BD ?

Elle est sortie le jour du vernissage. On a été accompagné tout le long du parcours à partir du mois de janvier, par une jeune femme, qui travaille à la RMN,  et qui est peintre et illustratrice. L’idée était d’elle. Cette idée est arrivée assez vite de restituer le travail avec une bande dessinée. Elle est venue quasiment toutes les semaines, pour dessiner, prendre des notes, capter des conversations. Elle se mettait dans un coin, et on ne l’entendait plus. Et ça a donné une BD qui s’appelle « Hors les murs ».

L’argent qui a été récupéré par cette BD, va surement permettre de payer les impressions. Ils n’ont pas gagné d’argent sur cette exposition.

Tout le projet a été financé par un mécène, qui est la fondation Kéraço, qui a donné tout l’argent pour réaliser ce projet. Donc je pense que la RMN va continuer dans cet établissement-là, puisque la salle est aménagée.

Ce projet-là, a bénéficié de deux choses sans lesquelles il n’aurait pas pu exister. L’existence d’une salle inoccupée à l’intérieur du centre pénitentiaire pour recevoir des œuvres d’art, on ne met pas des œuvres d’art n’importe où, il faut des conditions particulières, on a aménagé la salle pour ça. Les centres qui n’ont pas de salle aménageable ne pourront pas recevoir des œuvres d’art, ou pas dans de bonnes conditions, ou pour une durée très courte. Et les musées ont bien voulu prêter car il y avait cette salle aménagée, donc ça c’est la grande chance de ce projet. Et l’autre chance, et sans ça à mon avis ça n’aurait pas fonctionné, c’est la durée. Ce projet, n’était pas un truc que l’on pouvait faire en 4 séances. Le fait que ce soit sur un an, c’est ça qui a fait que le projet a pris car on a eu le temps de parler  de l’art, des œuvres d’art, de parler d’autre chose à la limite, mais qu’on ait eu le temps de construire le projet. Si ça avait été fait en 2 mois, ça n’aurait pas eu d’intérêt, ni pour moi, ni pour personne. Il faut que ce soit sur une longue durée. Mais ça demande une organisation, une implication.

 

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