Entretien avec Sergio Verastegui

LF : Vous réalisez principalement des installations et des « situations sculpturales ». Qu’attendez-vous de la relation que vous instaurez entre vos œuvres et les spectateurs ? Vous parlez de la mise en place d’un discours, pourriez-vous en dire un peu plus ?

SV : Le discours dont je parle est pour moi quelque chose d’inhérent aux objets, aux fragments, aux restes. Ces choses des provenances diverses et ont des statuts très différents les uns des autres. Je trouve que ces éléments s’apparentent de plus en plus à des trophées ou des reliques dans ma manière de les présenter et cela me paraît cohérent.

Il y a donc un discours qui se tisse sur le pouvoir, le territoire et la mémoire, un discours sous-jacent, mais il n’est pas imposé. J’aime que l’œuvre puisse avoir une surface neutre sur laquelle le spectateur se projette, relie des points et en active le sens à partir de ce qu’il perçoit.

LF : Dans certaines de vos œuvres vous avez justement utilisé des fils pour délimiter différents fragments ou les relier entre eux. Cela fait penser à des procédés archéologiques comme le carroyage. Est-ce que cela vous a inspiré ?

SV : Oui. Les formes de l’archéologie m’intéressent dans la mesure où les vestiges ont aussi une dimension neutre avant toute interprétation et cette dimension nous permet de comprendre l’aspect narratif de l’Histoire et de tout récit. Dans l’intention de reconstituer quelque chose, les limites entre la réalité et la fiction s’effacent. Les faux souvenirs m’intéressent beaucoup. J’aime aussi cette temporalité à rebours, comme dans une scène de crime pour un détective, il faut relier des points.

LF : Dans vos œuvres, vous utilisez aussi beaucoup de « restes », des fragments que vous récupérez. A propos de l’utilisation de ces « restes », vous avez écrit : « Cette question abstraite et ouverte peut être lue comme une position en même temps historique, politique et esthétique. Une manière de se placer ici et maintenant, dans le monde actuel ». Cela semble en effet être une préoccupation importante de notre époque. Peut-on parler d’un certain engagement de votre art ?

SV : Je me suis engagé en effet avec cette question des restes. Au départ il s’agissait d’une manière de répondre à l’impasse de la question du postmodernisme. Pour moi c’était important de partir de quelque chose, et ce quelque chose je l’ai défini comme ce qui reste. Dans les entrelignes on peut lire aussi « ce qui reste à faire avec… ». Je crois que c’est d’une certaine manière aussi un positionnement face à l’Histoire, et dans mon travail on trouve beaucoup de formes qui peuvent correspondre à des métaphores de la mémoire. On y trouve aussi un grand nombre de formes résiduelles, proches de la ruine, du fragment et du déchet. Mon positionnement est également une interrogation constante sur l’idée de crise, au-delà d’une crise quelconque conjoncturelle, sur le concept de crise. Qu’est-ce qu’une crise et en quoi consiste-t-elle? Par exemple la crise d’un espace, d’une idée ou d’un corps ? La crise du sens ? J’aime les formes du passage, les formes temporaires, ouvertes, non-définitives.

LF : Vous parler d’un art auto-cannibale, qui se nourrit de lui-même, vous utilisez donc les mêmes fragments pour plusieurs œuvres ? Vos œuvres peuvent-elles ainsi toujours être continuées et recyclées ?

SV : J’ai commencé à réutiliser des œuvres pour en faire des nouvelles à partir de la récupération d’une œuvre cassée. J’ai trouvé que cette pièce avait un intérêt dans l’état de déchet dans lequel elle se trouvait, je l’ai donc gardée dans une boîte et j’ai décidé que j’avais fait une nouvelle pièce à partir de l’ancienne. Aujourd’hui je travaille en général à partir d’un stockage déjà existant, des formes inachevées, un processus interrompu et repris en permanence.

LF : De quelle manière vos œuvres existent-t-elles en dehors de leur espace d’exposition ?

SV : Je m’interroge depuis un certain temps sur le statut des œuvres dans leurs différents espaces d’existence. Notamment dans leur état lorsqu’elles sont stockées. Que se passe-t-il avec une œuvre d’art qui n’est pas exposée mais gardée quelque part?

LF : Pourrait-on y voir une réflexion autour de la mort, d’un possible « après » ?

SV : Oui il y a une réflexion autour de la mort, à travers laquelle se pose aussi la question des restes. Que faire de ces restes ? C’est le posthume.

Propos recueillis par Louise Faucheux

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