L’histoire à inventer, avec Pauline Hisbacq

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Détail de la série Natalya

Pour Jeune Création 2013, Pauline Hisbacq présentait une sélection de photogrammes guidés par les thèmes récurrents qui traversent son travail : la collecte, l’adolescence, la mise en fiction de l’archive et un regard insolite sur les pratiques de la photographie contemporaine.

Malgré une scénographie un peu brouillonne, que l’on doit à la politique d’organisation de Jeune Création 2013, Pauline Hisbacq a su retenir l’attention. En effet, le commissaire et scénographe qui est artiste et président de l’association de Jeune Création, laisse penser qu’il s’agissait davantage d’une foire d’art contemporain qu’une exposition. Quatre mètres linaires seulement, mis à disposition pour chaque artiste. Toutes les installations vidéos et sonores étant regroupées dans le même espace. Le visiteur se trouvait dans un environnement complètement parasité par les productions des un(e)s et des autres. L’initiative d’accrochage et l’adaptation de la jeune artiste furent remarquables. Avec l’expérience des expositions auxquelles elle a participé depuis 2006, son savoir faire a su donner l’envie d’en voir davantage.

Après une formation à l’École Nationale Supérieure de la Photographie et une résidence à l’International Center of Photogrphy de New-York, elle se tourne vers une utilisation des médiums « de son temps » dit-elle. Deux travaux présentés pour cette occasion, comme des « teaser », intriguent et captivent. Chacun d’eux a pour point commun une nouvelle ligne de sa pratique : la capture vidéo et l’édition.

Depuis trois ans, Pauline Hisbacq collectionne et inventorie des images qu’elle glane sur internet ou dans des films. Réunies sous le titre La Bienheureuse, ces images sont publiées une à une quasi quotidiennement sur son blog ou bien exposées dans une installation vidéo sonore. Ici, un diaporama présente une sélection d’images dialoguant avec une bande son, création originale de Raphaël Hénard à partir d’un monologue d’Ingrid Bergman sur une pièce de Cocteau. Élaboré en fonction de critères de forme ou de sens à la dernière image postée, l’enchaînement de celles-ci propose une sorte de paysage sensible. Un jeu ambigu se met alors en place entre les images et le son, ce dernier intensifiant l’ensemble.

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Image issue de la collection La Bienheureuse.

Son intérêt pour l’archive, la collection, l’appropriation des documents, plutôt qu’un travail purement photographique, s’épanouit dans la série Natalya réalisée en 2013. Saisissante, une jeune fille brune en justaucorps, prise dans des expressions de doute, de concentration, est entourée d’une foule. Les personnages, comme des indices, prennent place dans les photogrammes de différentes tailles. Ils nourrissent notre curiosité sur l’environnement de ce personnage.

Un encadrement discret, que l’on oublie, laisse de l’espace à notre imagination. Se raconter une histoire. Qui est-elle ? Une pompom girl issue d’un film américain des années 80 ? L’héroïne adolescente d’une série télévisée ?

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Détail de la série Natalya

Les photogrammes soigneusement sélectionnés font partie d’une série présentée dans son intégralité sur le site de l’artiste. Elle y déploie un fort intérêt pour la question du portrait. Le jeu avec le spectacle, la présence du public, amène à considérer l’importance du hors champ. Elle met en exergue des émotions fortes liées aux personnages. Ce que d’autres oublient, Pauline Hisbacq nous le révèle par une approche sensible.

Dans la série photographique Natalya, Pauline Hisbacq revient sur les jeux Olympiques de Moscou de 1980 pour tenter de retracer une histoire visuelle imaginaire à partir de la gymnaste médaillée d’or Natalia Shaposhnikova (notons que des traductions depuis le russe proposent également l’orthographe Natalya). Elle explore et déplace le genre documentaire en jouant des procédures narratives habituelles au récit historique linéaire. Elle imagine un nouveau paysage émotionnel depuis les archives de la performance de cette gymnaste. Isolée de la foule, en moment de pause, rejoint par le visiteur enclin à lui créer une histoire nouvelle.

Dans le rapport au documentaire et à la fiction, ce n’est pas tant l’univers sportif qui l’intéresse, mais la possibilité de montrer qu’à partir d’une réalité on peut créer de la fiction. Qu’ici, à partir d’un travail sélectif rigoureux, lui a été possible de créer un nouveau personnage ; avoir une histoire à inventer. L’artiste ne cache pas son attirance – davantage portée sur le personnage – dans les vidéos dont elle tire les photogrammes, que pour la personne en elle-même. L’intérêt porté pour Natalia Shaposhnikova vient d’un heureux malentendu. Après avoir initié des recherches vidéos sur les performances de Nadia Comaneci, la jeune artiste fut finalement prise d’affection pour cette gymnaste à la carrure plus féminine et très attachante avec qui elle l’avait confondue. La proposition de cette œuvre est de donner une autre histoire que l’originale. C’est ici que réside le rapport à la fiction. Il ne s’agit pas d’inventer un personnage mais lui donner plus subtilement une partie fictive. En travaillant avec l’image, son regard de photographe participe à ce processus. À partir de prises de vues faites par ordinateur, elle saisit un flux qui existe déjà, comme le photographe qui voit, qui cadre et qui édite. La collecte faite à partir de 3 vidéos a permis de retenir 600 images environ. Comme le photographe qui fait une sélection dans ses négatifs, 46 photogrammes composent la série définitive. D’ailleurs, l’une des finalités de ce travail de collecte, en dehors de l’exposition de tirages, est l’édition.

L’adolescence est un thème récurrent dans la pratique de l’artiste, à la fois influencée par le documentaire et la fiction. Son travail en résidence à New-York a muri d’une réflexion à partir du roman L’Attrape-coeurs de J. D. Salinger. Empruntant les genres de la fiction et du roman d’apprentissage, le récit décrit le début des années 1950. À cette époque, le concept « d’adolescent » n’existe quasiment pas. Au travers des aventures d’Holden Caufield, Salinger explore cette frontière entre l’enfant et l’adulte. Une période difficile pour le personnage qui la vit, et ceux qui l’entourent.

Lors du travail de collecte concernant Natalya, le souvenir d’Holden et d’autres « teenage movie » influençaient les sélections d’images. Sans être un geste revendiqué directement. Une façon, peut-être, d’inventer une adolescence différente que celle que l’on peut imaginer avoir eu une sportive de haut niveau. La voir hors de la compétition, capter les expressions de son visage, pour incarner dans ce corps adolescent des moments porteurs de sensations multiples, comme autant de vies possibles. Son travail nous offre un autre contexte à construire. De par l’extraction des images, la jeune artiste trouble les archétypes. On y reconnaît des codes qui permettent pourtant de raconter une nouvelle histoire. On laisse les faits relatés d’une mémoire collective de côté pour réinvestir un événement. Faire en sorte que le gymnase, pour son caractère contextuel, créé un décor pour de nouveaux récits.

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Détail de la série Natalya

L’archive et la fiction sont des sujets vivement pensés et remarquablement exposés par le collectif de curateurs Le Peuple Qui Manque, notamment lors de l’exposition « Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente. » présentée au Centre d’art et de recherche Bétonsalon à Paris en 2013 ; ou la structure Khiasma lors de l’évènement « Possessions » en 2013, qui s’impliquent fortement dans une politique des gestes spéculatifs. En sélectionnant des artistes qui prennent à bras le corps des sujets particuliers, des faits dissimulés ou oubliés dans les marges de l’Histoire. Le point commun qui lie ces démarches c’est une tentative d’ouvrir le regard vers d’autres possibles pour raconter à partir du réel. D’une façon plus douce, Pauline Hisbacq s’applique à traiter des moments mis de côté, disqualifiés, qui proposent davantage de rejouer l’histoire sensible du personnage que rejouer le regard que nous avons sur l’Histoire des jeux Olympiques.

Le travail de Pauline Hisbacq a eu un vif succès. Elle sera prochainement accueillie pour une résidence à la Villa Pérochon, le centre d’art contemporain photographique qui fait le double choix de la promotion des jeunes artistes et d’une approche de la photographie contemporaine orientée vers une considération du monde culturel plus vaste.

Ainsi de nouvelles histoires pourront continuer de nous habiter !

Irina Guimbretière

Retrouvez les propositions de Pauline Hisbacq à l’exposition TROPICO PISCO, avec Laurent Di Blase, le KIT Collectif (Caroline Cuni, Gwendoline Perrigueux, Cyril Zarcone), Véronique Serfass et Pierre Tectin, au SHAKIRAIL, 72 rue Riquet 75018 Paris, jusqu’au 9 février 2014.

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