Multiculturalité dans la création – Entretien avec Hsing-Chun, Shih

Propos recueillis par Chia Ying, Lin

Chia-Ying, Lin : Pourquoi as-tu choisi l’Italie pour continuer tes études ?

Hsing-Chun, Shih : Ma réponse officielle est parce que j’aime bien la culture du sud de l’Europe. Cette région du globe m’attire beaucoup, plus que l’Est ou le Nord de ce continent. Je voudrais être peintre, en faire mon métier et l’Italie de par son histoire riche et ses connaissances en art, me semblait être le meilleur lieu pour tenter d’y arriver. Je voulais partir de Taïwan étant donné que je n’avais pas de motivation pour la création et qu’il n’y avait pas beaucoup de monde qui faisait ce métier autour de moi. Je n’arrivais pas à trouver un groupe pour m’aider à continuer et c’est de là que l’idée de partir pour changer d’environnement m’est venue. J’ai visité plusieurs grandes villes en Italie ainsi que leurs écoles des Beaux-arts, comme à Florence, Rome, Milan, etc. et j’ai appris l’italien. Finalement, mon cœur a balancé pour cette ville si particulière qu’est Venise. Elle garde sa propre culture, parallèlement, elle est d’une envergure internationale grâce à sa notoriété et à la Biennale de Venise. Ce sont les raisons pour lesquelles je l’ai choisi.

C-Y.L.  : Tu es née en Arabie Saoudite, tu as fait une partie de tes études à Taïwan et tu les termines en Italie, à Venise. Cette situation multiculturelle autour de toi a-t-elle influencé ta création ?

H-C.S. : Certainement oui. Toutefois, mes créations ont encore aujourd’hui une forte liaison avec mon pays Taïwan, c’est le lieu où j’ai grandi, c’est ma culture. D’ailleurs, mes amis trouvent que dans mes œuvres figurent beaucoup de traces de Taïwan, de la culture extrême-orientale.

C-Y.L.  : Tu as pratiqué l’art occidental et l’art extrême-oriental pendant tes études. Penses-tu qu’ils sont vraiment différents ?

H-C.S.: Oui, beaucoup ! L’art occidental a combiné très tôt la science rationnelle, c’est-à-dire la théorie des couleurs, la perspective, etc. Par contre, la peinture extrême-orientale recherche la pensée, la hiérarchie de la composition d’images comme la peinture à l’encre de chine. Lorsque je peins en Italie, je m’inspire souvent de la pensée et de la culture extrême-orientale, ce que je ne faisais pas lorsque j’étais à Taïwan, l’ignorant à l’époque. Aujourd’hui cette culture est importante dans ma création.

C-Y.L.  : Lorsque tu crées tes œuvres, comment choisis-tu la technique, le moyen ou le matériau entre ces deux cultures ?

H-C.S. : Depuis le collège jusqu’à la licence, j’ai eu une formation en arts plastiques. J’ai appris beaucoup sur les peintures chinoises, la calligraphie, la peinture à l’encre, etc. Bien entendu, j’avais par ailleurs des cours sur l’aquarelle, la peinture à l’huile, des techniques qui viennent de l’art occidental. Beaucoup de gens trouvent un rapport avec la peinture à l’encre de chine lorsqu’ils voient mes œuvres. C’est-à-dire que l’image montre une couleur légère ou du lavis. Je trouve qu’il y a un lien avec mon expérience d’apprentissage, mon parcours. Lorsque je fais une ligne avec un pinceau, je me rappelle de la technique calligraphique, une habitude, un réflexe, et je la mélange avec d’autres techniques. Au fur et à mesure, ça devient mon style.

C-Y.L.  : En Europe, ta création a-t-elle changé par rapport à Taïwan ?

H-C.S. : Beaucoup de changements sont survenus ces dernières années ! Ma formation en licence était plutôt théorique. Je l’ai choisi parce que j’avais des doutes vis-à-vis de la création. Quand je suis arrivée en Italie, j’ai trouvé un groupe qui m’a beaucoup soutenu. Et ce soutien n’a pas de langage, c’est un soutien sans lien réel. C’est un environnement, une ambiance. Notre professeur est assez fort, il ne donne pas toujours le cours, mais il crée un environnement qui te permet de travailler, sans arrêt, en quête de la création. Je réfléchis souvent à ce que je peins et ce que je crée. Auparavant, je ne peignais pas parce que je n’avais pas d’idée. Maintenant, je comprends une chose importante c’est la notion de travail. Même si je n’ai pas d’idée, je dois continuer à bouger mon pinceau, maintenir mon cerveau en activité. L’état de l’artiste est important.

C-Y.L.  : D’où vient ta conception de la création ?

H-C.S. : A mon arrivée à Venise, je ne réfléchissais pas à ce que je devais faire et laissais mon imagination s’exprimer. Je faisais du collage et beaucoup d’expériences avec des matériaux. Je trouve que c’était un bon exercice. Et à la fin, j’ai trouvé mon propre langage visuel, mon style. Les œuvres montrent une peinture pleine de couleurs, avec moins de collages mais différents matériaux. Je pense que cette étape était importante et qu’il y a un lien entre avant et maintenant.

C-Y.L.  : Penses-tu que ton esprit créatif a changé depuis que tu peins ?

H-C.S. : Oui, pour moi la création me permet de me reconnaître mieux et je peux créer mon propre langage visuel. C’est comme si l’univers venait de se former, nous ne connaissons aucun signe, aucune écriture et aucun langage. Ensuite, par exemple, Lao zi qui écrit Tao Tö King (Livre de la Voie et de la Vertu) explique tout ce que nous ne pouvons pas toucher, c’est ‘‘Tao’’. C’est un concept abstrait. Pareillement, quand je peins, je recherche également un élément que nous ne pouvons pas expliquer, ni raconter. Il faut peut-être utiliser une couleur, un signe ou un trait. Je ne veux pas m’exprimer à travers une vraie écriture, mais avec une couleur, un trait abstrait pour fonder mon idée.

C-Y.L.  : Est-ce que ton objet principal de création , le ‘‘blanc’’,  vient de là ?

H-C.S. : Tout à fait. Je pense que le ‘‘blanc’’ peut interpréter la partie abstraite et non nécessiter une explication par l’écriture. Pour moi, le blanc représente un espace qui supporte beaucoup d’éléments primitifs, inintelligibles et inexplicables. Il est lié à ma propre expérience en Italie. Lorsque je suis venue ici, au tout début, je ne parlais pas bien italien, cette situation m’a permis de simplifier l’émotion, l’explication. Le changement de langage influence ma pensée, la simplification de l’image et le manque de la langue, les deux s’influencent l’une et l’autre. J’utilise cette notion depuis 2010, lorsque j’ai commencé à créer les œuvres à Venise. C’est devenue une sorte d’idéologie en terme de création, je pense que je continuerai jusqu’au bout. Actuellement, je profite encore de cette simplification des émotions, développant les créations autour du ‘‘blanc’’. J’ai peur que si je prolonge dans l’environnement de ma langue maternelle, je ne puisse plus créer.

C-Y.L.  : Lorsque tu visites les musées, penses-tu que les chefs-d’œuvre influencent ta création ?

H-C.S. : La réponse est certaine, même si je ne reste pas longtemps dans un musée, deux heures maximum. Il est nécessaire d’être en contact et d’assimiler d’autres œuvres pour entretenir la création, c’est même très important. En ce qui me concerne, le plus important est le musée d’art moderne. Nous ne pouvons pas nous limiter à la peinture ; d’autres domaines sont aussi importants, par exemple, l’architecture, le dessin, les bijoux. De même, il n’y a pas que l’œuvre ; le voyage ou la sensation de la vie quotidienne sont également importants.

C-Y.L.  : L’atelier de ton école joue-t-il un rôle sur tes créations ?

H-C.S. : Oui, c’est également une source d’influence pour moi. Mes collègues et l’atelier en général m’influencent beaucoup, même plus qu’une exposition. Certains d’entre eux ont déjà fini leurs études, mais ils restent dans l’atelier de l’école pour continuer la création. Certains restent dix ans, quinze ans, ou jusqu’à ce qu’ils soient reconnus. Je les observe et vois comment ils se nourrissent de mes propres œuvres, l’inverse étant vrai également. Nous ne parlons pas de l’œuvre, mais nous observons, regardons naturellement les œuvres des uns et des autres et en silence nous échangeons et complétons nos propres productions. Leur style de création m’influence aussi, cette étape est importante pour moi surtout durant les dernières années. Au début, nous nous influençions entre nous, mais cette influence est positive. Nous pourrions penser que nos œuvres finiraient par se ressembler les unes les autres, mais finalement non, elles ne deviennent pas des copies. Nous ne sommes pas à l’étape du début d’apprentissage de la peinture, comme l’enfant. Nous absorbons les nouvelles choses et nourrissons nos créations. L’apprentissage entre les collègues est important. Nous savons très bien de ce dont nous avons besoin dans notre création. Tout cela est ce que j’ai découvert avec mes collègues d’ici. Il n’y a pas de compétition, ce sont des échanges. Car ce que nous pensons prendre à quelqu’un, il ressortira toujours de notre main, avec finalement notre propre personnalité.

C-Y.L.  : Est-ce que tu crains avoir des limites dans un style ?

H-C.S. : Oui, c’est comme si un artiste rencontrait un goulot d’étranglement et qu’il recherchait une autre possibilité. Peut-être que dans cette situation je ne peindrais plus. Mais il y a deux choses de sûres. Tout d’abord je suivrai mon style accompagné de la création, sans me soucier du style qui convient au marché de l’art. Quitte à tomber dans une impasse, je préfère être fidèle à moi-même. La deuxième chose c’est que je n’arrêterais jamais l’art, c’est ma vie. Si je ne peux plus peindre, à la place je ferais de la gravure, de la sculpture ou d’autres formes encore !

C-Y.L.  : Qu’est-ce que tu voudrais partager avec le public ?

H-C.S. : En ce qui me concerne, si le public est content ou s’il est bien lorsqu’il regarde l’œuvre, cela est suffisant. (rire) J’espère qu’en effet, il n’y a pas besoin d’explication pour comprendre les œuvres. Nous les comprenons, les ressentons à travers le ‘‘langage visuel’’ et il remplace le concept, inexplicable dans la création. En bref, je ne veux pas expliquer parce que le sentiment franchit tout et parle directement aux émotions. Je n’aime pas beaucoup lorsque les artistes écrivent des théories artistiques sur leurs œuvres et qu’ils forcent le visiteur à les lire, étouffant la beauté, la pensée.

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