« L’art ? mon jeu à moi ». Le monde et les oeuvres de Géraud Soulhiol

Géraud Soulhiol, artiste de la scène parisienne, a principalement une démarche de dessinateur et de graphiste, mais il aime sortir de son carnet pour expérimenter des médiums différents. Sa dernière exposition, « La vue », à la galerie 22,48 m2 de Belleville, a été l’occasion de voir ses oeuvres de manière inédite, par un accrochage spécifique. Soulhiol rassemble un ensemble de pièces appartenant à différents moments de son parcours, dont on a une vision rétrospective et fascinante. On trouve des dessins fait avec du café soluble sur des sous-tasses en porcelaine, faisant partie de la série éponyme du titre de l’exposition, des dessins plus anciens qui appartiennent à des groupes comme Bosquet et Forêt et une installation video qui utilise le logiciel Google Earth. La vue nous aide à rentrer dans le monde de Géraud Soulhiol. Sa vue, toujours en plongée, renvoie à la cartographie et à la topographie, aux voyages des explorateurs et aux voyages imaginaires, comme celui, par exemple, du roman La vue de Raymond Roussel, qui a été un point de départ pour la conception de cette exposition. Il s’agit toujours d’une vision aérienne et omnisciente, celle d’un démiurge, comme l’évoque l’artiste lui-même à propos de son accrochage. Cette vision cartographique nous porte à survoler des territoires faits de ruines abandonnées, de forêt et de poteaux électriques, de montagnes russes effondrées et de stades. D’en haut, on peut regarder clairement les thèmes et les médiums chers à Soulhiol.

Le stade, monument fétiche de notre époque, est souvent l’objet de ses représentations. Dans son projet Arena, il a réalisé des maquettes de stades renversés, comme Contre-stade Vélodrôme ou Contre-stade pyramide, qui deviennent donc inutilisables et en quelque sorte plus fétiches. Il survole un territoire fait d’une myriade de stades, où il met en confrontation les symboles de différents époques. Lorsqu’il place la Cathédrale de Notre Dame de Paris dans un stade, une bataille entre deux dieux, deux symboles, deux époques se fait jour. Ces stades renversés constituent une manière de sortir de sa pratique habituelle de dessinateur pour travailler en 3D. C’est presque un jeu formel entre l’artiste et le visiteur, et une manière de réfléchir sur une architecture, peut-être la plus typique de notre époque.

Mais Soulhiol fait du stade un monument effondré et cassé, une sorte de ruine de notre époque, déclinée au futur, comme dans ses dessins de la série Arena. Face à ses oeuvres, on est toujours seul car il ne représente jamais d’être humain. L’homme est celui qui a construit les stades, les usines, les tours Eiffel (autre objet fétiche qui fascine Soulhiol) mais aussi le regardeur, sans que ce dernier ne soit jamais dessiné : ce qui inscrit une dialectique entre présence-absence. Ces ruines nous rappellent les oeuvres de Monsù Desiderio ou les gravures de Piranesi, qui élaborent une réflexion mélancolique sur le temps qui passe et qui transforme les monuments en ruine.

Si l’homme n’habite pas son univers, on trouve dans plusieurs de ses séries, des arbres et des poteaux électriques, qui constituent finalement des sortes de personnages avec lesquels il travaille, dans Bosquet, Bataille, Forêt ou Exploration. Sa dernière oeuvre est une sorte d’arborescence en papier, comme une carte géographique d’un autre monde, dont la construction devient le jeu de l’artiste.

La vision aérienne est en fait la vision utilisée dans les jeux d’enfants, quand on dessine par exemple des mondes et des batailles sur des papiers pliés en accordéon dont les pages se déroulent les uns après les autres. Le jeu devient le noyau central de l’oeuvre de Soulhiol. Sa fascination pour les explorateurs et leurs voyages, sa manière de devenir démiurge d’un monde imaginé délimitent les règles de son propre jeu. Sa manière de travailler par série a quelque chose à voir avec le jeu. Quand on est petit, souvent on passe plus de temps à créer les règles du jeu qu’à jouer et, dès qu’on a les règles, on répète le jeu. Une série se termine quand une autre se commence.

Cette thématique du jeu est encore plus évidente dans sa série Natures mortes composée de jouets en plastique fondus ensemble. Ici l’expérimentation avec des matériaux hétéroclites fait partie du jeu. Dans sa démarche, le dessin reste sa base de départ et son vocabulaire, mais il a expérimenté des techniques inusuelles comme le dessin avec du café soluble sur des sous-tasses en porcelaine (La vue et Vanités). De plus il a travaillé avec des maquettes architecturales et avec le logiciel Google Earth, qui constitue une manière de voyager dans l’imaginaire, tout en partant du réel. Il s’agit toujours de matériaux pauvres, qu’on peut facilement repérer.

A l’aide de ces différents médiums il crée une « banque d’images » qui constitue son répertoire et qu’il décline de manière différente en fonction des expositions. Dans La vue il propose un ensemble hétéroclite de travaux qui appartiennent à des moments et des séries différents, mais qui construisent l’univers de Soulhiol.

Le temps est une autre thématique importante pour l’artiste. C’est le temps du passé, des monuments et de notre histoire, mais c’est aussi paradoxalement le futur dans lequel on découvrira les ruines de notre époque. C’est le temps présent, fait de stades et d’usines, dans lequel on peut se balader en restant chez soi, face à un ordinateur. Enfin c’est le temps imaginaire construit comme une série d’univers flottants. Mais le temps c’est surtout celui du jeu qui s’arrête quand l’artiste arrête de dessiner et qui recommence lorsque le spectateur arrive face à l’oeuvre et prend lui même le temps d’y rentrer.

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