Sergiu Toma : Fabulation

Né en 1987 à Baia-Mare, vit et travaille à Cluj-Napoca.

 

Sergiu-Toma_The-Astronomer

The Astronomer, Sergiu Toma, 2013

 

Fabulation.

« Énorme, comme un grizzly sur ses pattes postérieures, il reste là, entre elle et la forme immobile allongée sur le divan.

– Maintenant, écoutez bien, Georges, et souvenez-vous de ce que je dis. Vous êtes plongé dans une transe profonde et vous suivrez exactement toutes les instructions que je vous donnerai. Vous vous endormirez quand je vous le dirai, et vous rêverez. Vous rêverez que vous êtes parfaitement normal… que vous êtes comme tout le monde. (…) À partir de maintenant, vos rêves seront comme ceux de tout le monde, n’ayant de sens que pour vous seul, et n’ayant aucun effet sur la réalité extérieure. »

De l’autre côté du rêve, Ursla Le Guin, p. 196

Le rêve commence. Les espaces vastes, dont les fonds unis sombres déplacent le regard vers la lumière, suspendent l’instant. Aucun souffle de vent ne troublerait l’atmosphère. Les deux peintures de grands formats proposées par Sergiu Toma pour cet espace, nous plongent dans une vision à la fois paisible, calme et déroutante. Comme figé sur la toile, The Astronomer (l’astronaute), ce jeune garçon au buste allongé sur le bord d’un canapé bleu, porte ses yeux mi-clos vers le ciel. Quel ciel ! Une constellation ! Un voyage, son voyage, dans une forêt tachetée de lucioles lumineuses, présences galactiques enveloppantes. Les corps et les perspectives deviennent palpables. Cependant, quelques détails nous échappent : un divan, une plume, des arbres, une épaule, une main, qui tendent vers l’abstraction. Par-ci, par-là, l’artiste prend soin de brouiller les pistes, construisant une tension entre réalité et fiction.

Nous prenant à témoin de ces fabrications par d’habiles jeux de composition, la technique d’immersion s’apparente à celle de la construction d’une fable : plus il y a de détails reconnaissables, d’ancrages dans le réel, plus il est facile de se sentir concerné par le récit. Dans l’espace d’exposition, en face à face avec The Astronomer, The Light at the Edge of Realm (La lumière au bord du royaume), vient affirmer le goût de ce mélange. Davantage ancrée dans l’héritage pictural occidental, Sergiu Toma cite les grands peintres de la Renaissance italienne, la technique devient quasi photographique. L’apprentissage classique duquel il tente de se détacher de part la forme (mains floutées, tentative d’abstraction) et le contenu. De prime abord, le grizzly qui trône au milieu de ce royaume semble prendre la forme d’un personnage de science fiction. Or, la créature incarne un moment rituel des fêtes de noël roumaines. Ce sujet ayant été traité dans Kranky Klaus, un travail vidéo réalisé par Cameron Jamie (2003) qui aborde un rituel ancien similaire, fait la proposition de réinventer une contemporanéité à ces pratiques, à la fois comme acte social collectif et comme performance qui peut s’inscrire dans le champ de l’art. Son travail documentaire intriquant la fable dans le réel. Deux démarches traitant du rituel et des récits pour amener le visiteur à fabuler. L’univers du peintre roumain apparaît alors plus solitaire et peu habité d’espoir.

Sergiu Toma raconte des histoires. Les récits qu’il nous expose font place à un univers singulier nuancé par une prise de risque un peu retenue. Il donne à voir son monde, une projection qui attire et reste malgré tout hermétique. Devant la toile, il reste peu de place pour se créer sa propre histoire. La force ne résiderait donc pas dans l’évocation d’un souvenir ou d’un rêve, mais plutôt dans le voyage que l’on se fabrique à partir de celui-ci, le récit agissant comme une proposition.

Irina Gimbretière

 

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