Travail Emilio

Mon travail artistique se concentre sur le concept d’éloignement en tant que prise de distance entre soi et le monde extérieur. Explorant une relation psycho-physique au croisement d’espaces réels et imaginaires, la distance prend une valeur subjective, introspective et expérientielle. Mon éloignement est à la fois un moyen d’exploration du monde et, au fond, de découverte de moi-même.

Mes sujets de prédilection sont les espaces géographiques reculés et la photographie intime à la maison. En ce qui concerne les premiers, je me concentre principalement sur la photographie de rue—lors de déambulations urbaines ou de voyages. Dans la série Déambulation et dans When the darkness falls il s’agit de photographies de rue prises à Paris pendant plusieurs années. Les séries Shqipëria et Drifting in Khorasan (en cours de production) concernent des photographies prises pendant des errances en Albanie et d’explorations psycho-géographiques au Grand Khorasan (une région historique chevauchant puiseurs pays en Asie Centrale). Dans ces séries il y a des sujets récurrents comme l’architecture, des paysages isolés, des objets, de la matière et des traces. L’être humain est anecdotique et lorsqu’il est présent il est toujours gardé à une certaine distance—sans qu’il y ait eu un contact direct lors de la prise de vue. Les ambiances ainsi photographiées reflètent une dimension intime et introspective de l’éloignement même si, parfois, elle peut se manifester dans des endroits où il y a beaucoup de personnes.

Concernant la photographie intime à la maison, il s’agit de prises de vue chez moi—ici à Paris ou en Italie. La maison représente un lieu refuge qui me permet de m’extraire du monde extérieur, de m’abstraire du réel et m’amène à procéder à des pratiques esthétiques. Le sujet des images est dans la plupart des cas très centré et bien isolé de manière à attirer le regard et l’attention du spectateur sur un détail significatif. Ce recentrement dans la composition permet également de suggérer la présence d’un corps voyant dont le regard est attiré par un détail pour lui significatif ; un corps animé par un désir de connaissance des objets se trouvant autour de lui ainsi que de son corps lui-même (cf. Merleau-Ponty 1985)—comme c’est le cas dans certaines images. Si d’une part ces détails renvoient à une réalité domestique à première vue banale, l’attention portée par un recentrement assez affirmé dans la composition permet de les charger d’une importance particulière en mettant en exergue une valeur infra-ordinaire (cf. Perec) et poétique (cf. Bachelard).

Dans la série Sans titre j’aborde la question de l’éloignement comme distance que je garde entre moi et le monde extérieur—un monde « autre » fait de personnes, choses, endroits, que je laisse dehors pour préserver une intimité à découvrir et construire chez moi. Le « chez moi » renvoie à un espace affectif que j’essaye d’habiter et de représenter. Il s’agit de photographies d’objets et pièces de mon appartement, de vues par ma fenêtre (de bâtiments, de ciel ou d’animaux), de parties de mon corps et d’un autoportrait. Dans la série Frammenti di ieri j’aborde la mémoire intime de ma maison natale. Dans la série, la représentation de la mémoire se déploie dans une ambiance presque spectrale. Il s’agit d’un agencement asymétrique d’images floues d’objets et de pièces de ma maison. Le flou a été provoqué par une mise au point manuelle intentionnellement décalée pour réduire la netteté des objets photographiées. L’asymétrie de l’agencement et le flou des images « désobjectivsent » les éléments visuels et évoquent une confusion, voire une tension, engendrée par des objets de la mémoire (cf. Aloi 2018). Par cette approche, les images deviennent picturalement plus sensibles et subjectives. Sensibilité et subjectivité trouvent une concrétude par une abstraction picturale qui brise le lien entre forme et contenu des images en défigurant l’objet photographié pour le rendre une matière sensible. La plupart des images sont réduites à des taches de couleurs ne permettant pas de comprendre l’objet photographié. En ce qui est de l’agencement, le choix d’un mur asymétrique a été fait car il renvoi à l’idée de corps et de constellation—deux métaphores de la matérialité de la mémoire.

Récemment j’ai démarré la création d’une série qui s’insère dans le cadre du travail Drifting in Khorasan mentionné en haut. Dans cette série (https://emiliochiofalo.wixsite.com/website/serie-en-cours) j’ai exploité des images prises au Tadjikistan pour créer un parcours fictionnel dans des espaces chevauchant le réel et l’imaginaire. Il s’agit principalement de photographies de paysages, de personnes et d’objet que j’ai retravaillé numériquement pour créer des solarisations et transformer les couleurs. J’essaye par cette approche de détourner les images obtenues lors de la prise de vue pour créer et explorer des nouvelles ambiances d’un monde imaginaire et, pour moi, absolument autre1 (cf. Foucault 2004).

1 La référence est ici aux « hétérotopies » de Foucault : des lieux absolument autres—utopies physiquement localisables.

Bibliographie

Aloi, G. (2018) « Painting Plants: Objectification and Symbolism » in Aloi, G. (eds.) (2018) Botanical Speculations, Newcastle upon Tyne: Cambridge Scholars Publishing.
Bachelard, G. (1961). La poétique de l’espace. Paris : Presses Universitaire de France.
Foucault, M. (2004) « Des espaces autres » in Empan, vol. 54(2), pp : 12-19.
Merleau-Ponty, M. (1985) L’œil et l’esprit. Edition Gallimard.
Perec, G. (1989) L’infra-ordinaire. Édition Seuil.

Site internet

Homepage (https://emiliochiofalo.wixsite.com/website/)

Série en cours (https://emiliochiofalo.wixsite.com/website/serie-en-cours)

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