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Il convient de revoir le dernier film de Godard, Adieu au langage pour étudier sa façon de traiter la stéréoscopie cinématographique. Il a été beaucoup dit qu’il la « maltraitait ». Mais c’est d’une invention extrême, un bricolage au sens fort, un hacking poétique. Godard explore les possibles aberrations stéréoscopiques. Deleuze, dont la philosophie relève des « mouvements aberrants » (David Lapoujade, Les mouvements aberrants de Deleuze, Minuit, 2014), a montré comment, au cinéma, les aberrations (on pourrait dire les faux-raccords) libèrent le temps du présent, de l’enchaînement, le font exister comme image (Gilles Deleuze, Cinéma 2 – L’image-Temps, Minuit, Paris, 1985, p. 54). Ces aberrations sont les écarts d’avec le naturalisme qui a accompagné la stéréoscopie depuis son invention au XIXe siècle et qui s’inscrit aujourd’hui en terme d’algorithmes de la 3D standard. Dans Adieu au langage, les moyens, les caméras se multiplient pour contester les appareils de la 3D numérique « officielle ». Sur une photo de tournage où l’on voit Godard avec le chef opérateur Fabrice Aragno, il y a cinq dispositifs. Les plans avec le chien sont faits simplement, semble-t-il, avec une caméra-téléphone binoculaire. Parfois l’image de gauche et l’image de droite sont découplées et elles inscrivent deux vues distinctes de la même scène. Les focales, les mises au point, les incidences, les réflexions sont libérées des normes d’hier et d’aujourd’hui. Il y a encore des décalages dans le temps qui font toucher à une quatrième dimension. Mais surtout, et c’est ça que j’ai observé de près et compris, l’écart et l’angle entre les deux objectifs sont variables et souvent supérieurs à la distance « naturelle » entre les yeux. Tout se passe alors comme si l’observateur, le spectateur, question d’échelle, était plus grand que ce qui est filmé. Cette distanciation à la fois optique et artistique est géniale, les personnages sont à la fois « très en relief » et perçus comme petits, comme des figurines vivantes. C’est particulièrement impressionnant dans la scène où Mary Shelley demande de l’encre à Lord Byron pour écrire son premier roman, Frankenstein. JLB

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Jean-Luc Godard et son chef opérateur Fabrice Aragno filmant Adieu au langage. Extrait du documentaire de Cécile Mella, Conversation With Jean-Luc Godard (http://cpn.canon-europe.com/content/Jean-Luc_Godard.do).
Référence prise dans l’excellent article de Bidhan Jacobs, « Découpler la visualisation 3DS : Jean-Luc Godard, Adieu au langage » http://www.lafuriaumana.it/index.php/54-uncategorised/lfu-22/290-bidhan-jacobs-decoupler-la-visualisation-3ds-jean-luc-godard-adieu-au-langage.

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Dominique Cunin, CT-Hand, application (image 3D interactive) pour iPhone, EnsadLab, 2009.

Regardons autour de nous un phénomène qui semble traverser toutes les couches sociales. Songeons aux millions de personnes qui, en l’espace de quelques mois, ont inventé et assimilé une nouvelle gestuelle, celle de poser dans leur main un objet plat, dur, lisse, sans prises. Non sans humour, Dominique Cunin, chercheur à EnsadLab (centre de recherche nouvellement ouvert à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, Paris), emprunte une image anatomique 3D de la main (obtenue par CT, computerized tomography, c’est-à-dire reconstruite à partir de coupes par résonnance magnétique nucléaire d’un sujet vivant) pour que le iPhone (ou le iPod, ou tout autre écran mobile, portable, manipulable, de cette génération) exerce sur la main qui le porte le tranchant de sa planéité de verre.

Voici ce que son auteur en dit :

« Parce qu’il est à la fois support de l’image et interface d’interaction avec elle, l’écran mobile instaure un nouveau rapport à l’image. En devenant réactive à nos gestes, l’image entre en résonance directe avec l’état physique de l’objet dans lequel elle prend forme : l’écran. L’objet représenté dans l’image tend à se confondre avec l’objet qui l’accueille. Dans un tel mouvement d’objectivation de l’image, la notion d’image-objet émerge naturellement et définit une interactivité. Ce qui permet ce nouvel état, cette fluctuation entre l’image et son support, c’est une manipulation qui passe précisément par la main. C’est d’ailleurs parce que l’écran tient dans la main, et parce qu’il y a transmission du geste de la main à l’écran que l’image-objet prend forme. Que ce passerait-il si l’écran transmettait à son tour son état à la main, en faisant d’elle un objet ? »

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Manderley, 2007
« À partir de photogrammes tirés du film d’Alfred Hitchcock Rebecca se monte une maquette virtuelle du complexe décor du château Manderley ; maison-personnage aux multiples recoins, déambulations aux multiples hantises. Ce lieu fictif n’existe pas physiquement mais a pu être appréhendé à travers l’expérience du film, la reconstruction mentale qu’on en fait, par la projection-souvenir qu’on peut en avoir. Il est ici rendu habitable et parcourable par le spectateur. Ce vaste labyrinthe de photogrammes s’apparente à un château de cartes où l’illusion d’espace est parfois donnée au spectateur pour le laisser ensuite face à une série d’écrans-projections plats. » M.T.-L.

Marion Tampon-Lajarriette a réalisé en 2007 une vidéo-animation 3D de 20 mn intitulée Manderley. Il s’agit d’une œuvre subtile et complexe, qui ne doit pas se réduire à nos catégories d’étude. Cependant, elle peut être proposée comme un nouveau prototype des « objets spatio-temporels » repérés et analysés ici.
Exposé déjà à plusieurs reprises, acquis par plusieurs collections dont celle du Mamco à Genève, ce film a fait l’objet d’une édition DVD à tirage limité. Voici le texte qui accompagne ce DVD :

« De Rebecca, Marion Tampon-Lajarriette saisit le lieu : Manderley. Le film d’Hitchcock aurait pu se nommer ainsi, car le château de Manderley est certainement plus qu’un décor, plus qu’un personnage. Manderley est un objet spatio-temporel, comme l’est au demeurant tout film — objet au sens strict, un ruban juxtaposant les photogrammes qu’il s’agit de voir tour à tour —. Mais ici, c’est une salle obscure virtuelle et infinie où seules quelques-unes de ces photographies ont été élues, dressées comme les écrans d’un diorama disloqué. Elles sont là en quelque sorte à leur place, dans un espace qui a la topologie de Manderley.Et, de proche en proche, il nous est donné de traverser le film, d’y vérifier la présence d’une silhouette, d’une scène. Ce ne sont pas elles qui entrent en scène, c’est nous qui surgissons dans leur suspens. C’est nous qui nous inquiétons de les surprendre. Dans sa linéarité hésitante mais inéluctable, notre dérive est comme aimantée par un but qui nous est inconnu et cependant prémonitoire. Le souvenir du film Rebecca est éventuellement là, mais plutôt la sensation de déjà-vu, cette fausse réminiscence qui émerge de circonstances où se croisent le vertige et l’évidence du temps réel.L’immersion que procurent ordinairement les espaces tridimensionnels ne fait rien ici qui puisse relever de l’illusion; bien au contraire, elle est là pour nous permettre la vision de biais de ceux qui aiment le cinéma sans s’y noyer. Et ce dispositif de mise à distance nous donne à lire les pages arrachées d’un volume cinématographique, dans toute la puissance de leur énigme. »
Jean-Louis Boissier, février 2008


Marion Tampon-Lajarriette (1982), a étudié à la Villa Arson (Nice), à l’École des beaux-arts de Lyon et à la Haute école d’art et de design de Genève.

Liens : Galerie Skopia, Genève; Printemps de septembre, Toulouse 2008.

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