Ai Weiwei et les provocateurs

Le magazine L’Hebdo, édité à Lausanne, publie dans son N°44 du 3 novembre 2011, pp. 22-24, un article consacré à la transformation du Peace Hotel de Shanghai (1906, à l’angle du Bund et de la rue de Nankin) par le groupe Swatch (un investissement de 50 millions de francs). Le Swatch Art Peace Hotel est semble-t-il une vitrine des montres Swatch et une résidence d’artistes.


Extrait d’une réponse de Nick Hayek, patron de Swatch :

« Je pense que l’on se crée des problèmes qui n’en sont pas. Beaucoup de grandes civilisations connaissent – ou ont connu – des difficultés avec des provocateurs issus du milieu artistique à un moment de leur histoire. »

Ma remarque : puisque Swatch prétend s’opposer au monde du luxe dans son expansion en Chine, pourquoi citer Mao propriétaire d’une montre Omega ? C’est que le groupe Swatch est propriétaire de marques de montres de luxe : Breguet, Blancpain, Omega, Longines, Rado, Tissot, Balmain, etc. Quel cynisme ! Que ne ferait-on pas pour s’attirer les bonnes grâces du gouvernement chinois. Comment peut-on se réclamer d’une « provocation » et, en même temps, traiter l’artiste chinois Ai Weiwei de provocateur ?  JLB

Lire :  http://www.hebdo.ch/provoquer_le_monde_du_luxe_129604_.html

Le Swatch Art Peace Hotel à Shanghai (dr).

Interview de Nick Hayek

Provoquer le monde du luxe

Propos recueillis par Linda Bourget, Shanghai – Mis en ligne le 02.11.2011 à 11:20

INTERVIEW. Le CEO de Swatch Group Nick Hayek compte doubler son chiffre d’affaires en Chine. Le Swatch Art Peace Hotel est au cœur de cette stratégie.
Nouveau fer de lance de Swatch Group en Chine, le Swatch Art Peace Hotel accueille 18 artistes résidents à ses 2e et 3e étages. Ainsi que quatre boutiques (Breguet, Omega, Blancpain, Swatch) au rez-de-chaussée. Directeur général du premier fabricant mondial de montres et instigateur du projet, Nick Hayek parle de la place qu’il veut donner aux artistes invités dans ces nouveaux ateliers. Et dévoile des ambitions pour le marché chinois que serviront les vitrines du rez.

Selon quels critères les artistes résidents du Swatch Art Peace Hotel sont-ils sélectionnés?

Nick Hayek: Ils doivent simplement plaire à notre comité. Nous voulons être indépendants et libres, choisir des gens connus ou non, dans l’esprit de Swatch.

En Suisse, la détention de l’artiste chinois Ai Weiwei durant trois mois au printemps dernier a beaucoup marqué les esprits. Comment le comité de sélection va-t-il gérer la question délicate de la liberté des artistes?

Je pense que l’on se crée des problèmes qui n’en sont pas. Beaucoup de grandes civilisations connaissent – ou ont connu – des difficultés avec des provocateurs issus du milieu artistique à un moment de leur histoire: la Suisse, l’Allemagne, la France, les Etats-Unis… Il est normal que les médias se focalisent sur certains de ces cas. En Chine, je vois quantité d’artistes travailler avec une grande liberté; seules certaines expressions politiques gênent. Si quelqu’un dressait, à Washington, une grande sculpture à propos de Guantanamo Bay, je ne sais pas ce qui arriverait… Probablement qu’il ne disparaîtrait pas (Ai Weiwei avait été arrêté sans que les autorités chinoises le communiquent tout de suite à sa famille, ndlr). Il y a un peu plus de transparence aux Etats-Unis. Mais il ne faut pas négliger le fait que la Chine essaie d’aller du communisme vers une société plus moderne. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que tout soit aussi libre que dans les pays démocratiques européens du jour au lendemain.

Tout s’est donc bien passé dans la mise en place du projet?

Je crois qu’il y a bien des pays où nous aurions eu plus de problèmes qu’ici! Ce bâtiment – le plus vieil hôtel de Shanghai – appartient à l’Etat. Des grands groupes de luxe, français notamment, le voulaient. Mais c’est notre approche que le maire de Shanghai et notre partenaire, la chaîne hôtelière Jin Jiang – propriété de l’Etat – ont activement soutenue en ayant pleinement conscience de ce que l’on y ferait. Parce que nous leur avons dit que l’art est le luxe ultime. Comparez le prix d’un sac Louis Vuitton et un Picasso: ce ne sont pas du tout les mêmes!

Vous revendiquez tout de même un esprit provocateur…

Oui, mais pas vis-à-vis de la Chine. Nous voulons provoquer le monde du luxe. Swatch a toujours collaboré avec des artistes à travers le monde, en essayant de faire la différence entre la superficialité du luxe et une démarche qui a plus de substance. Le Bund et la rue Nanjing (au croisement desquels se trouve le bâtiment, ndlr) sont occupés par des grandes marques de luxe qui fascinent. Mais beaucoup de ces marques – sauf les nôtres – ne représentent pas grand-chose. Quelqu’un a simplement collé un nom sur des produits qui coûtent cher. En demandant à des artistes de travailler dans cet endroit réservé au luxe et à la consommation, nous provoquons.

Allez-vous collaborer avec les artistes en résidence, par exemple pour le design de montres?

Oui. Si les deux parties sont intéressées, nous pouvons envisager qu’un artiste fasse une montre avec nous, mais ce n’est pas une obligation. En revanche, chaque artiste doit nous laisser une de ses créations.

Le Swatch Art Peace Hotel incarne l’importance accordée au marché chinois. Quelle place oc cupe-t-il dans votre groupe?

Nous faisons 1 milliard de francs de chiffre d’affaires annuel dans ce pays, sans compter Hong Kong, sur un total de 6,4 milliards. La demande y est tellement énorme que nous ne savons pas comment la satisfaire! Les Suisses peuvent être contents que les Chinois adorent la Suisse. Ils sont très loyaux aux marques et nous avons l’avantage que Omega et Rado soient présentes sur ce marché depuis des années. Mao possédait déjà une Omega! Aujourd’hui, cette marque est certainement le leader du marché.

A l’horizon de cinq ans, comment espérez-vous progresser en Chine?

J’ai dit que le Swatch Group avait le potentiel d’atteindre, d’ici à trois ou quatre ans, un chiffre d’affaires de 10 milliards grâce à la seule croissance interne (sans acquisition, ndlr). Vu le dynamisme de la Chine, on peut penser que 20% de ces ventes – soit 2 milliards – pourront être générées par ce marché. Cela sousentend donc d’y multiplier les affaires par deux.

La force du franc, qui met à mal les entreprises exportatrices suisses, grève-t-elle vos ventes en Chine?

Non. Comme nous fabriquons 95% de nos produits en Suisse, nous devons travailler avec des marges moins grandes que si le franc était à un niveau normal. Mais nous ne répercutons pas ces coûts sur nos clients: nous ne pouvons pas pénaliser les Chinois en augmentant les prix à cause du taux de change.

Autre fleuron de l’industrie helvétique, Novartis vient d’annoncer la suppression de 1100 postes en Suisse en accusant le franc fort. Cela pourrait-il arriver chez Swatch?

Non. Notre produit est aimé parce qu’il est «Swiss made», il n’y a pas d’alternatives à la production en Suisse. Mais il n’y en a pas plus pour la société dans son ensemble: l’existence de la Suisse dépend d’une industrie qui fonctionne, de l’innovation et des activités de production. Nous ne pouvons pas uniquement vivre des banques ou des services. La décision de Novartis est catastrophique et scandaleuse! Vous ne pouvez pas annoncer en même temps des bénéfices fabuleux et une réduction des effectifs qui se chiffre en milliers. Il s’agit d’une vision à court terme pour satisfaire les analystes financiers et les investisseurs. Ces gens se foutent totalement de Novartis!

Des géants chinois comme Hengdeli ou Fyita rachètent à présent des marques horlogères suisses. Qu’en pensez-vous?

Je n’ai pas de problèmes avec cela. Ça fait des années que des étrangers rachètent des sociétés. Le français LVMH a par exemple repris TAG Heuer, Zenith et Hublot. L’important n’est pas la nationalité de celui qui investit. C’est que ce soit un entrepreneur désireux de développer le produit repris en se tenant à certaines règles. Je me sens plus à l’aise avec un entrepreneur chinois qui investit chez nous qu’avec un fonds américain. Parce que nous savons que ces fonds ne recherchent que le profit à court terme

Mots clés : ,