« Tactiles »

Décrit par Pierre Marcelle pour Écrans, supplément web à Libération : comment on va vers l’abandon de la souris (notons que cette remarque est datée du jour du Nouvel An chinois, année du rat — ou de la souris —).

Révolution sexuelle. Chaque samedi, la techno-chronique de Pierre Marcelle.

Le but, bien sûr, c’est de faire toujours plus portable, moins lourd et moins encombrant. Ce sont très naturellement les fabricants d’ordinateurs qui ont commencé, qui coupèrent un jour le cordon ombilical reliant à l’engin l’adjuvant bien commode, familièrement baptisé « souris ».

Niché au chaud de la paume la promenant sur son « tapis », l’objet ovoïde déplaçait sur l’écran le « curseur » jusqu’à la vitesse de la lumière. Il connut son heure de gloire sur Canal +, chez les Guignols de l’info où la marionnette de Jacques Chirac, notoirement peu au fait des moderneries, s’obstinait à le confondre avec un « mulot ».

Vingt ans après, les portables ont achevé le rongeur ; le doigt le remplace désormais, qui court sur un « trackpad » comme la souris courait sur le tapis. Et les fabricants de téléphones mobiles ont suivi, qui ont adapté avec profit à leurs business – le lancement de l’iPhone d’Apple se révélant en l’occurrence exemplaire – ces techniques révélatrices d’une révolution quasi sexuelle dans la révolution numérique.

C’est qu’on n’y enfonce plus mécaniquement des touches sur un clavier  ; on ne fait plus pression sur un « clic » de souris. On effleure en silence, désormais, on caresse du majeur, avec fluidité, le trackpad, et le pouce prestement ponctue la commande.Sur l’écran du téléphone, c’est plus spectaculaire encore, lorsque le doigt, s’appropriant dans un frôlement l’objet-icône, le déplace, le retourne, l’effeuille comme les pages d’un livre ou comme on déshabille un corps.

Pour métaphoriser ces commandes « tactiles » (car le jargon vernaculaire du geek métaphorise tout), l’Anglo-Saxon parle volontiers de sliding (de to slide, glisser), et il a raison : sur le quadrilatère qui ordonne ses évolutions, le majeur va et vient, maître absolu d’un espace qu’il maîtrise au doigt et à l’œil. L’esprit qui l’ordonne s’y addicte au plaisir du toucher. Ainsi que dans le poème, il patine « merveilleusement ».

Trois notes :

1°. Sur un téléphone portable, on est dans la contrainte du ni clavier ni souris. Mais, ce qui est notable, c’est que le track pad, de dimension augmentée, du nouvel ordinateur d’Apple, MacBook Air, reprend la même gestuelle codée.

2°. Ici, les gestes sont analogiques, mais finalement plus symboliques et codés qu’analogiques. On avait déjà remarqué ça, à la fin des années 80, avec la gestuelle du dataglove : on pointe le doigt pour avancer dans l’espace virtuel, on ferme la main pour saisir un objet virtuel, etc.

3°. Dès que le clic est apparu (avec la souris, au début des années 80), on a songé à s’en passer. Pointer pourrait suffire (viser, mais pas tirer dirait-on à la chasse). Voir par exemple : http://www.dontclick.it/. Pour ma part (Jean-Louis Boissier), j’ai mis en œuvre ce principe dans mes premières installations hypermédia : Album sans fin (1989), Globus oculi (1992), Mutatis mutandis (1995), etc., en considérant que le curseur était la projection de notre œil et que désigner du regard pouvait être un « geste » décisif.