Théorie

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La répétition, si elle n’est pas nécessairement compulsive, fait partie des principes de l’interactivité. Elle constitue un aspect premier de l’esthétique interactive comme du plaisir ludique. Elle installe une temporalité du « moment » suspendu propre à la contemplation comme à l’initiative d’intervention. Le lien — la ficelle, le lacet, le ruban — est plus qu’une métaphore de la relation génératrice d’images; il peut être une interface authentique. La ritournelle du Fort-Da (Freud, puis Lacan, Deleuze et Guattari, et de très nombreux auteurs, voir les textes ci-dessous) révèle un rapport unique entre son, langage et image. Enfin, le Fort-Da modélise puissamment la relation virtuel-actuel.

L’installation vidéo-interactive Globus oculi (1992), qui traite de « l’enfance d’un art » (l’art interactif), se présente comme un objet pseudo-didactique, imite les manuels de lecture, vise en cela à faire « régresser » le spectateur vers la situation enfantine du jeu et de la leçon. Les tableaux animés se donnent des allures d’illustration mais visent à l’expérience performative littérale.

J.-L.B.

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Montage photographique et échantillon du rendu en vidéo flv (le véritable programme comporte des variantes dans la répétition). En 2009-2010, le programme Formes de la mobilité d’EnsadLab travaille à la création et à l’adaptation de projets artistiques pour écrans mobiles.

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Jean-Louis Boissier, Globus oculi, 1992, « La Bobine ». La technique est celle d’une chronophotographie interactive. Copie d’écran, taille originale.

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Globus oculi, 1992, exposition à Ars Electronica, Linz, 1992.
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Globus oculi, 1992, « La Bobine », exposition à Inter Communication Center Gallery, Tokyo, 1995.

L’installation vidéo-interactive Globus oculi et le Fort-Da

Globus oculi décline, avec cette série de séquences, la relation logique et ambiguë qui se joue entre le regard et le toucher, entre le visible et le tangible : la rotation de la sphère qui permet le déplacement du curseur sur l’écran de l’ordinateur est assimilée au mouvement du globe oculaire. C’est, là encore, le seul moyen d’action disponible. Avec l’ordinateur et ses langages, l’essentiel de la relation est de l’ordre de la désignation. L’entrée en scène du doigt qui montre n’est pas indifférente, si l’on veut bien voir le pointage du doigt comme élément premier de l’interaction. C’est la commande digitale, en français, mais aussi en anglais, puisque, dans un troublant transfert linguistique – on compte sur ses doigts –, on passe du doigt au chiffre. Il est vrai que la désignation est, en informatique, codée, littéralement chiffrée. Ce doigt présente la relation minimale, le modèle initial de l’interface homme-machine, de la désignation concrète et conceptuel- le, autant que de la validation en retour.

Le propos premier est en effet celui des divers registres de la désignation, qu’elle soit le fait de l’indice – ou de l’index –, du doigt qui montre ou du regard qui fixe, ou encore des mots. Les thèmes sous-jacents sont ceux de l’apprentissage, de la découverte du monde, de la relation mère-enfant, de l’enfance d’un art. Cette métaphore se construit par le croisement d’images et de sons saisis sur le réel, de textes, d’un logiciel et d’une interface minimalistes. Le désir de voir est ici simulé et nécessairement déçu. Mais cette déception devrait se compenser par le plaisir du geste d’accès répété aux images et de déclenchement de leurs bifurcations internes, par l’acte de possession des images comme fétiches ; ou peut-être encore par la constitution du geste lui-même en image, comme dans le Fort-Da freudien.

Dans «La bobine», le Fort-Da est illustré, de façon volontairement naïve, par le jeu d’un diptyque vertical. Les images du haut voient la main du bébé se saisir de la ficelle et la tirer hors du champ. Les images du bas voient apparaître et disparaître la bobine. Le lecteur n’a qu’à passer d’une image à l’autre pour relancer la scène. Le raccord entre ces images, comme dans tous les tableaux de Globus oculi, est à la fois vrai et faux. S’il se réalise ici, c’est par la ficelle qui se tend. Les animations se font avec un minimum d’images. Cependant, la scène se renouvelle continuellement, car le programme tire, littéralement, au hasard, les suites constitutives de photogrammes. Chaque état, initial ou final, est ponctué, dans une traduction française libre, par les mêmes cris : « L’est là ! » ; « Est parti ! ». Le geste compulsif, la scansion en va-et-vient, se trouvent en quelque sorte vérifiés par leur transfert dans les comportements que j’ai observés : la plupart des lecteurs appellent cinq, dix, vingt fois cette navette, jusqu’à s’imprégner de sa ritournelle.

Je reprends ce modèle psychanalytique, ce jeu si souvent cité comme « tentative de maîtrise symbolique de l’absence et de son objet (1) », parce qu’il est « quelque chose dont, finalement, [on] va faire une image (2) ». Il pourrait fort bien constituer un paradigme du dispositif interactif. «L’enfant accoste des Univers de possible inédits, aux retombées virtuelles incalculables. » Je me range à cette interprétation qu’en donne Félix Guattari (3). Il critique à la fois Freud qui « rend [ce jeu] tributaire d’une pulsion de mort» et Lacan qui en fait, dans le langage, une «structure [qui] précède et enveloppe la machine dans une opération qui la dépouille de tous ses caractères autopoïétiques et créatifs».

«Le lacet» inaugure une recherche qui sera prolongée dans le programme Flora petrinsularis. Rousseau, dans l’Émile, préconise l’allaitement maternel par les mères (de l’aristocratie), et inscrit ce vœu dans l’offrande à ses jeunes amies du Val-de-Travers 19 de lacets qu’il a lui-même tissés. Je mets en jeu le déshabillage que permet un tel lacet. Il y a d’abord, en deux images frontales accolées, une poitrine enserrée dans un bustier rouge. En pointant la ganse blanche, l’un des seins se dénude et s’isole. Si on le touche de la flèche – du regard –, il tourne jusqu’à apparaître de profil, puis, très vite, le vide face à lui est occupé par le bébé qui s’en empare pour le téter. Ce mouvement desuccion bruyant ne s’arrêtera que si l’on sait attendre et renoncer à «toucher» les images. Ici, désigner c’est toucher, c’est agir. En écho au Fort-Da, que l’on peut voir comme le passage de la planéité des premières relations mère-enfant à la profondeur de l’espace nécessaire à une vie autonome 20, le lacet à tirer incite à surmonter de légers interdits érotiques. Mais ce déclic interactif n’ouvre sur aucune liberté interprétative : la place est prise par avance – par programmation – par le bébé, légitime bénéficiaire du sein donné.

Extrait de : Jean-Louis Boissier, « Programmes interactifs », La Relation comme forme, Presses du réel-Mamco, 2009, pp. 192-194.

Notes
1. Pierre Fédida, L’Absence, Gallimard, Paris, 1978, p. 144.
2. Georges Didi-Huberman, « La plus simple image », Nouvelle revue de psychanalyse, «Destins de l’image», Gallimard, Paris, 1991, p. 75.
3. Félix Guattari, Chaosmose, Galilée, Paris, 1992, pp. 104-108.

La saisie comme manipulation interactive.

Voilà cependant que le problème se déplace. Le branchement de l’image sur le réel n’est plus une utopie mais au contraire une banalité si on le considère dans le processus de la manipulation interactive. L’image interactive possède toujours, à un degré ou à un autre, une dimension qui est celle de la vie de ses destinataires. L’objet virtuel le plus modeste, dépourvu d’« intelligence », capable par exemple de simplement apparaître ou disparaître — on pense à la bobine du Fort-Da freudien –, trouvera une complexité pragmatique et symbolique lorsqu’il entrera dans la capture d’un geste. Après avoir poussé très loin la mathématisation des comportements du corps, après avoir produit des automates virtuels perfectionnés, construits sur des modèles physiques d’équilibre, de tension musculaire, voire d’attitudes psychologiques, l’injection directe de la motion capture s’est imposée, pour la marionnette virtuelle de la télévision comme pour le spectacle chorégraphique le plus noble.

Extrait de : Jean-Louis Boissier, « La Saisie », 2005

Sigmund Freud, Au-delà du
 principe de plaisir (1920), extrait

(Traduction par S. Jankélévitch en 1920, reprise du texte mis en ligne par l’Université du Québec à Chicoutimi. La traduction de l’édition actuelle, Essais de psychanalyse, Payot, 1981, est sensiblement différente, pp. 51-56 pour le passage ci-dessous)

Je propose donc de laisser de côté l’obscure et nébuleuse question de la névrose traumatique et d’étudier la manière dont travaille l’appareil psychique, en s’acquittant d’une de ses tâches normales et précoces : il s’agit des jeux des enfants.

Les différentes théories relatives aux jeux des enfants ont été récemment exposées et examinées au point de vue analytique par S. Pfeifer dans Imago (V, 4), et je ne puis que renvoyer les lecteurs à ce travail. Ces théories s’efforcent de découvrir les mobiles qui président aux jeux des enfants, sans mettre au premier plan le point de vue économique, de considération en rapport avec la recherche du plaisir. Sans m’attacher à embrasser l’ensemble de tous ces phénomènes, j’ai profité d’une occasion qui s’était offerte à moi, pour étudier les démarches d’un garçon âgé de 18 mois, au cours de son premier jeu, qui était de sa propre invention. Il s’agit là de quelque chose de plus qu’une rapide observation, car j’ai, pendant plusieurs semaines, vécu sous le même toit que cet enfant et ses parents, et il s’est passé pas mal de temps avant que j’eusse deviné le sens de ses démarches mystérieuses et sans cesse répétées.

L’enfant ne présentait aucune précocité au point de vue intellectuel ; âgé de 18 mois, il ne prononçait que quelques rares paroles compréhensibles et émettait un certain nombre de sons significatifs que son entourage comprenait parfaitement; ses rapports avec les parents et la seule domestique de la maison étaient excellents, et tout le monde louait son « gentil » caractère. Il ne dérangeait pas ses parents la nuit, obéissait consciencieusement à l’interdiction de toucher à certains objets ou d’entrer dans certaines pièces et, surtout, il ne pleurait jamais pendant les absences de sa mère, absences qui duraient parfois des heures, bien qu’il lui fût très attaché, parce qu’elle l’a non seulement nourri au sein, mais l’a élevé et soigné seule, sans aucune aide étrangère. Cet excellent enfant avait cependant l’habitude d’envoyer tous les petits objets qui lui tombaient sous la main dans le coin d’une pièce, sous un lit, etc., et ce n’était pas un travail facile que de rechercher ensuite et de réunir tout cet attirail du jeu. En jetant loin de lui les objets, il prononçait, avec un air d’intérêt et de satisfaction, le son prolongé o-o-o-o qui, d’après les jugements concordants de la mère et de l’observateur, n’était nullement une interjection, mais signifiait le mot « Fort» (loin). Je me suis finalement aperçu que c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait ses jouets que pour « les jeter au loin ». Un jour je fis une observation qui confirma ma manière de voir. L’enfant avait une bobine de bois, entourée d’une ficelle. Pas une seule fois l’idée ne lui était venue de traîner cette bobine derrière lui, c’est-à-dire de jouer avec elle à la voiture ; mais tout en maintenant le fil, il lançait la bobine avec beaucoup d’adresse par-dessus le bord de son lit entouré d’un rideau, où elle disparaissait. Il prononçait alors son invariable o-o-o-o, retirait la bobine du lit et la saluait cette fois par un joyeux « Da ! » (« Voilà ! »). Tel était le jeu complet, comportant une disparition et une réapparition, mais dont on ne voyait généralement que le premier acte, lequel était répété inlassablement, bien qu’il fût évident que c’est le deuxième acte qui procurait à l’enfant le plus de plaisir .

L’interprétation du jeu fut alors facile. Le grand effort que l’enfant s’imposait avait la signification d’un renoncement à un penchant (à la satisfaction d’un penchant) et lui permettait de supporter sans protestation le départ et l’absence de la mère. L’enfant se dédommageait pour ainsi dire de ce départ et de cette absence, en reproduisant, avec les objets qu’il avait sous la main, la scène de la disparition et de la réapparition. La valeur affective de ce jeu est naturellement indépendante du fait de savoir si l’enfant l’a inventé lui-même ou s’il lui a été suggéré par quelqu’un ou quelque chose. Ce qui nous intéresse, c’est un autre point. Il est certain que le départ de la mère n’était pas pour l’enfant un fait agréable ou, même, indifférent. Comment alors concilier avec le principe du plaisir le fait qu’en jouant il reproduisait cet événement pour lui pénible? On dirait peut-être que si l’enfant transformait en un jeu le départ, c’était parce que celui-ci précédait toujours et nécessairement le joyeux retour qui devait être le véritable objet du jeu ? Mais cette explication ne s’accorde guère avec l’observation, car le premier acte, le départ, formait un jeu indépendant et que l’enfant reproduisait cette scène beaucoup plus souvent que celle du retour, et en dehors d’elle.

L’analyse d’un cas de ce genre ne fournit guère les éléments d’un conclusion décisive. Une observation exempte de parti-pris laisse l’impression que si l’enfant a fait de l’événement qui nous intéresse l’objet d’un jeu, ç’a été pour d’autres raisons. Il se trouvait devant cet événement dans une attitude passive, le subissait pour ainsi dire ; et voilà qu’il assume un rôle actif, en le reproduisant sous la forme d’un jeu, malgré son caractère désagréable. On pourrait dire que l’enfant cherchait ainsi à satisfaire un penchant à la domination, lequel aurait tendu à s’affirmer indépendamment du caractère agréable ou désagréable du souvenir. Mais on peut encore essayer une autre interprétation. Le fait de rejeter un objet, de façon à le faire disparaître, pouvait servir à la satisfaction d’une impulsion de vengeance à l’égard de la mère et signifier à peu près ceci : « Oui, oui, va-t’en, je n’ai pas besoin de toi; je te renvoie moi-même. » Le même enfant, dont j’ai observé le premier jeu, alors qu’il était âgé de 18 mois, avait l’habitude, à l’âge de deux ans et demi, de jeter par terre un jouet dont il était mécontent, en disant : « Va-t’en à la guerre ! » On lui avait raconté alors que le père était absent, parce qu’il était à la guerre; il ne manifestait d’ailleurs pas le moindre désir de voir le père, mais montrait, par des indices dont la signification était évidente, qu’il n’entendait pas être troublé dans la possession unique de la mère . Nous savons d’ailleurs que les enfants expriment souvent des impulsions hostiles analogues en rejetant des objets qui, à leurs yeux, symbolisent certaines personnes . Il est donc permis de se demander si la tendance à s’assimiler psychiquement un événement impressionnant, à s’en rendre complètement maître peut se manifester par elle-même et indépendamment du principe du plaisir. Si, dans le cas dont nous nous occupons, l’enfant reproduisait dans le jeu une impression pénible, c’était peut-être parce qu’il voyait dans cette reproduction, source de plaisir indirecte, le moyen d’obtenir un autre plaisir, mais plus direct.

De quelque manière que nous étudiions les jeux des enfants, nous n’obtenons aucune donnée certaine qui nous permette de nous décider entre ces deux manières de voir. On voit les enfants reproduire dans leurs jeux tout ce qui les a impressionnés dans la vie, par une sorte d’ab-réaction contre l’intensité de l’impression dont ils cherchent pour ainsi dire à se rendre maîtres. Mais il est, d’autre part, assez évident que tous leurs jeux sont conditionnés par un désir qui, à leur âge, joue un rôle prédominant : le désir d’être grands et de pouvoir se comporter comme les grands. On constate également que le caractère désagréable d’un événement n’est pas incompatible avec sa transformation en un objet de jeu, avec sa reproduction scénique. Que le médecin ait examiné la gorge de l’enfant ou ait fait subir à celui-ci une petite opération : ce sont là des souvenirs pénibles que l’enfant ne manquera cependant pas d’évoquer dans son prochain jeu ; mais on voit fort bien quel plaisir peut se mêler à cette reproduction et de quelle source il peut provenir : en substituant l’activité du jeu à la passivité avec laquelle il avait subi l’événement pénible, il inflige à un camarade de jeu les souffrances dont il avait été victime lui-même et exerce ainsi sur la personne de celui-ci la vengeance qu’il ne peut exercer sur la personne du médecin.

Quoi qu’il en soit, il ressort de ces considérations qu’expliquer le jeu par un instinct d’imitation, c’est formuler une hypothèse inutile. Ajoutons encore qu’à la différence de se qui se passe dans les jeux des enfants, le jeu et l’imitation artistiques auxquels se livrent les adultes visent directement la personne du spectateur en cherchant à lui communiquer, comme dans la tragédie, des impressions souvent douloureuses qui sont cependant une source de jouissances élevées. Nous constatons ainsi que, malgré la domination du principe du plaisir, le côté pénible et désagréable des événements trouve encore des voies et moyens suffisants pour s’imposer au souvenir et devenir un objet d’élaboration psychique. Ces cas et situations, susceptibles d’avoir pour résultat final un accroissement de plaisir, sont de nature à former l’objet d’étude d’une esthétique guidée par le point de vue économique; mais étant donné le but que nous poursuivons, ils ne présentent pour nous aucun intérêt, car ils présupposent l’existence et la prédominance du plaisir et ne nous apprennent rien sur les manifestations possibles de tendances situées au-delà de ce principe, c’est-à-dire de tendances indépendantes de lui et, peut-être, plus primitives que lui.

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La préface de J.-B. Pontalis à Jeu et réalité. L’espace potentiel de D. W. Winnicott, traduction de Claude Monod et J.-B. Pontalis, Gallimard, 1975 est proposée à la lecture pour le séminaire du 24 novembre 2009.

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Télécharger le fac-similé pdf de la préface

L’intervention s’attardera sur l’étude de différentes formes du joueur contemporain. Je propose donc en guise de titre donné à cette intervention  « Jeu et réalité – les joueurs du virtuel ». S.D.

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Esthétique de la relation. 1
Pour une étude et une discussion de la notion de relation en art et particulièrement dans les arts des nouveaux médias.

Jean-Louis Boissier, « L’image-relation », 2003 et « La perspective relationnelle », 2008.
Ces deux textes ayant trait à l’esthétique de la relation sont disponibles par téléchargement.

Télécharger deux textes ayant trait à l’esthétique de la relation :

« L’image-relation », 2003
« La perspective relationnelle », 2008

Cliquer > [pdf]

Documents complémentaires de référence :

Watteau, Voulez-vous triompher des Belles ?, circa 1717, Wallace Collection, Londres. (DR)

Dan Graham, Opposing mirrors and video monitors on time delay, 1974 (Vidéo à la Biennale de Venise, 2003 par JLB)


On peut observer, parmi les banderoles et bannières confectionnées pour les défilés du mois de mars, un emploi de la typographie de grand format qui passe par la composition sur ordinateur et la vidéoprojection. Voir, sur le site de arpla : http://www.arpla.fr/banners


(Photo JLB)

Au Palais de Tokyo, du 26 septembre 2008 au 4 janvier 2009, la carte blanche à Jeremy Deller a abouti à l’exposition intitulée « D’une révolution à l’autre », avec entre autres œuvres et documents, les banderoles de Ed Hall. Aujourd’hui à la retraite, il a confectionné depuis 20 ans plus de 400 bannières, peintes et en tissus de couleurs découpés et cousus, pour les syndicats, pour des groupes activistes et communautaires, comme contributions à des causes avec lesquelles il sympathise. (D’après le livre de Jeremy Deller et Alan Kane, Folk Archive: Contemporary Popular Art from the UK, Book Works, Londres, 2008, p. 82.)


Folk Archive: Contemporary Popular Art from the UK
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ISBN 1 870699-81-5

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1. Relativité de la simultanéité dans l’information

On s’intéressera à des éléments de l’« actualité » du mois de janvier 2009 (ou, plus précisément entre le 16 et le 20 janvier), la guerre à Gaza, l’investiture du président des États-Unis à Washington.

Lors du rendez-vous téléphonique d’une émission de la télévision israélienne avec un médecin accoucheur palestinien, la simultanéité met cruellement en évidence la disymétrie de l’information dans la guerre à Gaza. On retrouve cet écart dans Google Earth : l’opération technologique, commerciale, culturelle et politique autour de l’investiture de Barack Obama à Washington actualise les images satellitaires avec des images en haute définition et en fait la promotion sur Internet. Les images de la bande de Gaza restent quant à elles identiques, elles datent de 2007.

On peut noter que les deux « événements » sont liés dans le temps, Israel entendant conduire la guerre à Gaza avant l’investiture du nouveau président américain.

Surcroît d’images encore pour l’opération de CNN et Microsoft qui joue sur la proximité temporelle et spatiale de centaines de photographies prises par les spectateurs-participants de la cérémonie de Washington pour produire la « photographie immersive » d’un « moment » historique.

L’expérience du « webdocumentaire » Gaza-Sderot La Vie malgré tout sur Arte travaille quant à elle sur la durée, sur une certaine synchronie, sur la répétition autant que sur la séparation qu’exerce la frontière.

2.1. GAZA

Enregistrement vidéo du journal télévisé de la 10e chaîne de la télévision israélienne, le 16 janvier 2009, disponible sur YouTube:

Shlomi Eldar, présentateur de la télévision israélienne, en direct à l’antenne, en conversation téléphonique avec Izz el-Deen Aboul Aish, médecin palestinien à Gaza.

Ci-dessous, un extrait de l’article que donne à cette occasion Pierre Haski dans le journal en ligne Rue89:


TÉMOIGNAGE
La douleur d’un père palestinien, en direct à la TV israélienne
Par Pierre Haski | Rue89 | 18/01/2009 | 01H53

Cela restera peut-être l’image la plus marquante de cette guerre, la plus inhumaine et la plus humaine aussi: cette scène, en direct à la télévision israélienne, avec au téléphone un médecin palestinien hurlant sa douleur car ses trois filles viennent d’être tuées par un obus israélien. Le duplex était prévu, mais l’attaque du char israélien ne l’était pas.
Sur son blog Chroniques orientales, sur le Figaro.fr, Delphine Menoui raconte l’histoire:

« Izz el-Deen Aboul Aish est un médecin connu des spectateurs israéliens. Ce gynécologue palestinien, qui parle parfaitement l’hébreu, exerce à la fois dans un hôpital de Tel Aviv et dans la bande de Gaza, où vit sa famille. Depuis le début des raids, il y a 21 jours, il était resté à Gaza. L’accès des journalistes étant strictement contrôlé, il fut très vite sollicité par les média israéliens pour témoigner des conditions de vie sur place. »

Mais lorsque la télé l’appelle, vendredi soir, à l’heure de grand écoute, ce n’est plus le témoin qui est en ligne, mais un père effondré par la mort de ses filles, et qui implore Dieu. Le journaliste le laisse parler, tente de le calmer, de lui promettre une ambulance (qui viendra d’aileurs plus tard), et, visiblement ébranlé, ému, il préfère quitter le plateau avec le téléphone portable encore branché, plutôt que d’interrompre le flot de sanglots de cet homme.

2.2. BANDE DE GAZA, 14 JUIN 2007

Images satellitaires accessibles par Google Earth en février 2009


Le nord de la bande de Gaza et Israel (14 juin 2007).


La côte au sud-ouest de la ville de Gaza (14 juin 2007).


La frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte à Rafah (14 juin 2007).

2.3. WASHINGTON DC, 20 JANVIER 2009, SYSTÈME DE VUES SATELLITAIRES GEOEYE ET GOOGLE EARTH

Images satellitaires accessibles par Google Earth en février 2009


Image avec une résolution de 0,50 mètre du Capitole, Washington D.C, États-Unis, saisie par le satellite GeoEye-1, le 20 janvier 2009, au cours de la cérémonie d’investiture de Barack Obama. (3,4 M°)


Cette image dans Google Earth.


Détail de l’image.

Pour accéder, dans Google Earth, à l’image en haute définition, télécharger le fichier kml en cliquant ici, puis ouvrir ce fichier kml (il faut avoir préalablement installé Google Earth: http://earth.google.fr/).

Site de Google Earth 

2.4. WASHINGTON DC, 20 JANVIER 2009, SYSTÈME PHOTOSYNTH ET CNN


20 janvier 2009, « moment » de la cérémonie d’investiture de Barack Obama. Copie d’écran du système de navigation entre les images envoyées par le public et assemblées dans un espace virtuel 3D par Photosynth (Microsoft).

À voir sur le site CNN :
http://edition.cnn.com/SPECIALS/2009/44.president/inauguration/themoment/

après avoir installé le logiciel Silverlight :
http://www.microsoft.com/silverlight/resources/install.aspx

2.5. GAZA-SDEROT, DOCUMENTAIRE INTERACTIF DIFUSÉ PAR ARTE


Copie de l’écran d’accueil.

Sur le site de la chaîne de télévision Arte, Gaza-Sderot La Vie malgré tout, documentaire interactif : Gaza (Palestine), Sderot (Israel), 2 villes, 3 km de distance, 2 vidéos par jour 40 épisodes (80 vidéos). Le programme des prises de vues s’est déroulé du 26 octobre au 23 décembre 2008.

Rue89 écrit:
« La nouveauté de ce programme (coproduit par Upian, qui travaille notamment pour Rue89) est qu’il est réalisé (par Ayelet Bachar à Sderot et Khalil Al Muzayyen à Gaza) quasiment en temps réel : les images sont diffusées sur le web dès le lendemain de leur tournage. »

2. Esthétique critique du temps réel

Si le temps est fondamentalement une dimension relationnelle, l’expression, somme toute étrange, de « temps réel » peut être comprise comme relative à un processus. On parle en effet de temps réel pour qualifier la capacité de l’ordinateur à traiter le flux des informations qui lui arrive. Autrement dit, l’artefact incluant le calcul numérique opère dans le cadre temporel imposé par son cycle d’utilisation. La notion de temps réel, attachée aux notions de vitesse opératoire et de synchronisme relatif, est donc étroitement liée à celle d’interactivité aussi bien interne qu’externe. L’interactivité étant ce qui place l’utilisateur dans la position de dialogue avec la machine, il convient que cet échange se fasse dans une temporalité psychologiquement acceptable, perçue comme directe, sans retard. On peut rappeler que l’ordinateur est fondamentalement une horloge et que sa « vitesse d’horloge », c’est-à-dire la fréquence des pulsations de son processeur, conditionne sa puissance. Cette horloge s’instaure d’ailleurs comme horloge universelle par la simultanéité qu’assurent les réseaux, et l’on notera, à l’inverse, que tous les appareils au fonctionnement numérique tendent à se constituer en réseau, ne serait-ce que par leur synchronisme.

Dans le champ du design et de l’art, le temps réel est donc une qualité des instruments mais aussi de certaines œuvres. D’une façon générale, une œuvre interactive possède, au moins pour une part, cette capacité de réponse en temps réel. Ainsi, son interface, ses capteurs comme son dispositif d’apparition — affichage d’images et de textes, émissions de sons et de lumières, etc. —, inscrivent leur cycle d’événements dans un régime de temporalité en adéquation avec celui des spectateurs.

L’esthétique du temps réel est à même de dépasser celle du pur spectacle. Avec les œuvres interactives, elle porte en effet sur l’expérience d’un processus en train de se faire, d’une actualisation et, qui plus est, d’un acte opératoire perçu comme dialogue ou comme jeu. C’est le cas des diverses propositions qui ont valeur d’instrument, génératrices de sons ou de traces graphiques, d’événements sonores et visuels, de textes, etc.

La « réalité artificielle » conçue, dès les années soixante-dix, par Myron Krueger, joue de la possibilité d’une rétroaction instantanée de la vidéo captant le geste du spectateur. Le temps réel est donc la condition d’une synchronie d’actions qui est aussi l’aspect premier des projets performatifs ou encore, par exemple, à l’échelle d’une ville et d’une collectivité et dans un dispositif imbriquant actuel et virtuel, de Can You See Me Now de Blast Theory. De façon paradoxale, c’est parce qu’elle peut être ressentie comme un processus du temps réel qu’une interactivité interne se séparera subtilement du mode ordinaire du spectacle. C’est ce que met en œuvre Masaki Fujihata avec sa série de Field-Works, y compris Landing Home in Geneva. Le vaste espace virtuel où s’affiche une collection cartographiée d’innombrables séquences vidéo est perçu comme pouvant être exploré librement, ce qu’il est potentiellement de par sa nature technique, mais l’auteur a choisi d’en fixer le parcours sur une simple ligne, nous le donnant comme une option parmi d’autres.

Intégré à une dimension spatio-temporelle, le temps réel participe aux effets d’immersion que l’on attend des environnements virtuels ou des jeux. Il en va de même d’installations dont la référence est le miroir. En ce sens, avant même le numérique, le circuit vidéo a pu s’affirmer comme le modèle du temps réel. Morel’s panorama de Masaki Fujihata est ainsi une hybridation de la vidéo directe avec le traitement numérique de l’image.

Le live (le spectacle vivant du théâtre, de la musique, de la danse, etc.) confronte des temporalités naturellement synchrones. On se dispense dans ce cas de la notion de temps réel, mais elle peut être prise en référence, pour ses qualités de vécu partagé, de nouveauté au sens fort, de singularité, d’imprévu ou d’improvisation. Le cinéma a gardé, de son dispositif théâtral, la part vivante du public, mais, pour l’essentiel il tient son originalité et sa pertinence de la répétition d’un enregistrement. Un spectacle interactif peut, dans certaines circonstances, ménager une exécution directe, mais s’en remet généralement à la programmation — y compris générative de nouveauté, « intelligente » — et au feed-back du public dans l’œuvre. S’il participe à l’idée d’immersion, le temps-réel peut, au même titre, faire l’objet d’une critique de ses revers, s’accompagner d’une distanciation qui, sans l’annuler, le donne à comprendre pour ce qu’il est, notamment comme construction artificielle.

Au début des années 1990, devant la généralisation de l’immédiateté des commutations homme-machine, Paul Virilio souligne que le temps réel tend à substituer à la profondeur d’espace de la perspective géométrique la « profondeur de temps » d’une « perspective du temps réel ». Il met en garde contre l’assujettissement du regardeur dans cette « transparence spatio-temporelle ». Ainsi parlera-t-on d’une dictature du temps réel. N’est-il pas le plus souvent — toujours ? — celui des autres. Interrogation prémonitoire, c’est en travaillant au retard de l’affichage de la vidéo qui capte l’image du visiteur que Dan Graham met en scène, dans ses installations des années 1970, une distanciation radicalement troublante, une critique de la transparence d’une représentation directe. C’est aussi à une prise de conscience dialectique de la « flèche du temps » — qui donne son nom à l’une de ses installations —, que Piotr Kowalski s’attache dans sa Time Machine (1981). Saisissant l’instant vécu du spectateur, il tente d’approcher l’utopie d’un temps que l’on pourrait travailler, inverser, en temps réel.

J.-L.B. Extrait adapté d’un ouvrage à paraître sur vidéo et interactivité


Jack Lang, Jean-François Lyotard, inauguration des Immatériaux, Centre Pompidou, 27 mars 1985 ©Centre Pompidou

France culture, émission « Peinture fraîche », vendredi 6 février 2009.

Pour écouter directement cette émission, cliquer ici :

PRÉSENTATION SUR LE SITE DE FRANCE CULTURE

6 février 2009
« Peinture fraîche » : Les Immatériaux

Réalisation Clotilde Pivin
Reconstitution sonore de l’exposition culte du philosophe Jean-François Lyotard qui s’est déroulée au Centre Georges Pompidou du 28 mars au 15 juillet 1985 et dont se réclame la nouvelle génération.
Avec la voix de Jean-François Lyotard – archives INA

Il devient indispensable aujourd’hui de relire Jean-François Lyotard dans la mesure où toute une génération d’artistes, de critiques d’art, de conservateurs découvrent sa pensée et s’y réfèrent. Se réfèrent entre autres à cette incroyable exposition Les Immatériaux qui se déroulait au Centre Georges Pompidou en 1985 après deux années de préparation.
Ceux et celles qui ont vu cette manifestation n’en ont presque aucun souvenir. La mémoire n’a pas agi.
Au départ le projet devait prendre en compte les nouveaux matériaux et les nouvelles technologies comme la vidéo et l’ordinateur.
Exposition ni-artistique, ni-scientifique.
Exposition d’une nouvelle sensibilité qui s’opposait à l’idéologie de la communication. Ne voulant pas privilégier automatiquement l’interaction, mais le fait qu’une œuvre d’art est aussi un spectacle.
Cette exposition aujourd’hui culte était une dramaturgie où le spectateur faisait lui-même son parcours.
Il affrontait la multiplicité des jeux de langage, dont la pensée de Wittgenstein se fait l’écho.
En écoutant les témoins et les auteurs témoigner nous obtenons l’empreinte sonore d’un moment de notre histoire qui a déchaîné les passions, les incompréhensions et qui nous oblige aujou’dhui à y revenir.

Invités
Dolorès Lyotard. Philosophe et épouse de Jean-François Lyotard
Jean-Louis Boissier. Universitaire et artiste alternatif, auteur de La relation comme forme : l’interactivité en art éd. Presses du Réel, 2008
Anne Tronche. Historienne de l’art
Philippe Curval. Écrivain, invité des Immatériaux en 1985

EXTRAIT

Dès le début des années 80, le Centre de création industrielle (CCI) avait en projet une grande exposition dont le titre était Nouveaux matériaux et création ( …). Le projet a semblé sombrer jusqu’au moment où la direction du CCI a eu l’idée de faire appel à un commissaire extérieur et c’est le projet, puisqu’il avait été sollicité, de Jean-François Lyotard qui a été retenu ; c’était à la fin de l’année 1983. Il y a eu un mouvement double de la part de Lyotard. D’une part il a été attiré par ce projet qui était assez flou et, en même temps, il l’a contesté dans ses termes mêmes puisqu’il a dit : « nouveau pour moi, ça ne veut rien dire ; matériaux, aujourd’hui ce ne sont plus des matériaux, on ne parle plus de matériaux ; et quant à la création, je ne sais pas ce que ça veut dire ». Dès l’été 1983 il a conçu ce projet qu’il a appelé Les Immatériaux en essayant de défendre ce concept (…).
J.-L.B.

DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES

• Invitation des Immatériaux, Luc Maillet-Grafibus, 1985

Sur ce site : « Les Immatériaux et la question des nouveaux médias numériques », octobre 2008.

• Retour sur Les Immatériaux, mars 2005
Quand, en 1984 au Centre Pompidou, Jean-François Lyotard est appelé à prendre la direction intellectuelle d’une exposition prévue sur le thème « matériaux nouveaux et création », il entend mettre en question chacun de ces trois termes en la nommant Les Immatériaux et en proposant d’agencer l’exposition selon les mots matériau, matière, matrice, matériel, maternité. L’exposition donnera au visiteur « le sentiment de la complexité des choses » car « une nouvelle sensibilité naît » alors que « dans la création apparaissent de nouveaux genres d’art reposant sur les nouvelles technologies ». Il s’agit aujourd’hui de témoigner de cette grande exposition devenue mythique, et de considérer le destin théorique et historique de ces « immatériaux », qui désignent non pas simplement ce qui est immatériel mais, de façon ouverte, « un matériau qui disparaît comme entité indépendante », un matériau où « le modèle du langage supplante celui de la matière » et dont le principe « n’est plus une substance stable mais un ensemble d’interactions ». J.-L.B. (Inroduction pour la conférence Ciren à l’occasion des 20 ans des Immatériaux)

• Jean-François Lyotard
Le Postmoderne expliqué aux enfants
, Galilée, Paris, 1986
 (et 2005)
Correspondance 1982-1985

Extrait, pp. 133-134
à Thomas Chaput
Rome, le 12 avril 1985

La pensée et l’action des XIXe et XXe siècles sont gouvernées par l’Idée de l’émancipation de l’humanité. Cette idée s’élabore à la fin du XVIIIe siècle dans la philosophie des Lumières et la Révolution française. Le progrès des sciences, des techniques, des arts et des libertés politiques affranchira l’humanité tout entière de l’ignorance, de la pauvreté, de l’inculture, du despotisme et ne fera pas seulement des hommes heureux, mais, notamment grace à l’École, des citoyens éclairés, maîtres de leur destin.
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Le suffixe -able

Après Jouable (workshops, colloques, expositions à Genève, Kyoto et Paris, 2002, 2003, 2004), nous avons eu l’opération Mobilisable (colloque et exposition, Paris, 2008).

Dans le champ artistique, les adjectifs et substantifs formés avec le suffixe able (capable, praticable, etc.) sont un moyen d’explorer les notions de possible et de qualité, tout en ménageant une continuité de la production à la réception.

Dans le Grand Robert, on lit :
-able
Élément, du lat. -abilis, qui s’ajoute aux bases des verbes transitifs en –er (chanter, chantable) et en –ir (variante –issable : périr, périssable) pour former des adjectifs avec la valeur passive de «qui peut être…», ou à une base nominale avec la valeur active de «qui donne», «enclin à» (ex. : charitable, pitoyable). > -ible. La formation de tels adjectifs est libre, notamment en combinaison avec le préfixe négatif in- (in-, im-, ir-).



Paris, métro Bir Hakeim, 19 décembre 2008 [photos JLB]

Dans sa matière colorée et flottante, dans son support à la texture amplifiée et lumineuse, dans la trace manuelle et kinestésique de son geste, le graffiti 1-palpable (impalpable, selon la prononciation parisienne) est concrètement une démonstration du palpable (ou de l’impalpable), entendu comme haptique, y compris dans sa signification d’évidence actuelle et virtuelle. Au delà des codes proprement visuels ou tactiles, nous  sommes en effet ici du côté de l’haptique, qualité que Deleuze attribue à la peinture de Bacon : « quand la vue elle-même découvrira en soi une fonction de toucher qui lui est propre, et n’appartient qu’à elle, distincte de sa fonction optique. (Riegl). »*

* Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, La différence, 1981, p. 99 — p. 146 de la nouvelle édition au Seuil, 2002.

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Exposition du 19 novembre au 6 décembre 2008
Galerie d’exposition, Ensad, 31 rue d’Ulm, Paris 5e
[photo Nicolas Nova — cc]

Toutes les informations sur le site :

http://www.mobilisable.net/

Une exposition

Masaki Fujihata
Orchisoid
, installation robotique, 2001
Morel’s Panorama, installation vidéo numérique, 2003
Landing Home in Geneva, installation vidéo numérique, 2005
19 novembre — 6 décembre 2008
Galerie d’exposition de l’Ensad
Du mardi au samedi, de 12h à 19h
Entrée libre

Un colloque (5 sessions)

Amphithéâtre de l’Ensad
Entrée gratuite, dans la limite des places disponibles

19 novembre 2008, 16h — 18h
Mobilité, invention technologique et invention artistique
avec Masaki Fujihata, Pierre-Damien Huyghe, Jean-Louis Boissier

26 novembre 2008, 16h — 18h
Cartographie relationnelle
avec Boris Beaude, Bureau d’études, Philippe Vasset, Gwenola Wagon

26 novembre 2008, 19h — 21h
Pervasive art
avec Lalya Gaye, Usman Haque, Nicolas Nova, Samuel Bianchini

3 décembre 2008, 16h — 18h
Paysages technologique
s
avec Pascal Amphoux, Thierry Davila, Esther Polak, Andrea Urlberger

3 décembre 2008, 19h — 21h
Mobilité et reconfiguration urbaine
avec Frank Beau, Christian Tarpin, Valérie Châtelet


[Photo Nicolas Nova — cc]

Mobilisable

L’Ensad (EnsadLab), en coopération avec l’Université Paris 8 (laboratoire Esthétique des nouveaux médias) et l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse, avec le concours la Haute école d’art et de design- Genève (laboratoire Formes de l’interactivité) et de l‘ University of the Arts in Tokyo (Graduate School of Film and New Media), organise une opération artistique, scientifique et culturelle, centrée sur le thème de la mobilité et intitulée Mobilisable.

Le terme mobilisable est pris dans tout l’éventail de ses significations. Mobile désigne la possibilité de mouvement, la mise en mouvement, la cause du mouvement. Mobilisable est la faculté de ce qui peut être rendu mobile.

L’opération vise à éclairer et à illustrer les mutations artistiques qu’impliquent les médias du déplacement et de la localisation, l’émergence du paysage technologique, les nouvelles formes de cartographie et de récit, les nouvelles modalités de la dialectique mobile-immobile, les nouveaux instruments de l’exercice de la mobilité. Le terme mobilisable qualifie alors des formes artistiques et des œuvres, mais aussi de possibles comportements des artistes et du public, de la collectivité engagée dans de tels processus artistiques, scientifiques et culturels.

Avec l’affirmation du suffixe -able, porteur de potentialités, Mobilisable se réclame d’une forme de manifestation déjà conçue en 2004 avec Jouable (art, jeu et interactivité), associant approches théoriques et expérimentations artistiques, journées d’étude, workshops, expositions et publications.


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メディアアートの教科書 (Media Art Exercise)
白井 雅人 (編さん), 森 公一 (編さん), 砥綿 正之 (編さん), 泊博 雅 (編さん)

Ouvrage en japonais, à destination des étudiants, 2008.03, avec plusieurs contributions de Jean-Louis Boissier.

Déjà paru :

Jean-Louis Boissier, Moments de Jean-Jacques Rousseau, livre et CD-Rom, Nihon Bunkyo Shuppan, Tokyo, 2003, traduction en japonais de : Jean-Louis Boissier, Moments de Jean-Jacques Rousseau, CD-Rom avec brochure, Gallimard, Paris, 2000.
ルソーの時―インタラクティヴィティの美学 (単行本)
伊藤 俊治 (著), レイモン ベルール (著), 白井 雅人 (著), ジャン=ルイ ボワシエ (著), 永守 基樹 (著), Raymond Bellour (原著), Jean‐Louis Boissier (原著)
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Terayama Shuji et Shuntaro Tanikawa, Video Letters, 1982-1983

Jean-Louis Boissier
Texte légèrement modifié de l’entretien avec Nathalie Roth et Caroline Delieutraz pour le Pocket Films Festival de juillet 2006

Télécharger • « Le Film téléphonique » (pdf)

Approche personnelle

Ma première approche du téléphone mobile vidéo est un peu particulière. En effet, je réfléchis depuis assez longtemps sur les dispositifs de prise de vue : cinéma, vidéo, photographie, envisagés sous l’angle ce qu’a apporté le numérique dans le domaine artistique. Je ne peux donc pas avoir une approche spontanée, ce qui n’est pas forcement une qualité. Cette première approche a donc été plutôt théorique. Le téléphone, qui désormais est portable, a subi toute une transformation qu’il faut prendre en compte. Comme il y a une transformation du cinéma ou de la vidéo, il y a une transformation du téléphone. Déjà, le téléphone portable a constitué une espèce de petite révolution. En particulier le fait que le téléphone soit désormais attaché à des personnes et non plus à des lieux. Et maintenant le fait que ces téléphones intègrent des appareils photos puis des appareils d’enregistrement vidéo, et que ces vidéos puissent être transmises.

Les écrans mobiles

On a beaucoup tenté de théoriser la numérisation de l’image photographique et vidéo mais pour moi une des choses importantes, qui n’était pas d’emblée lié au numérique mais qui l’est devenu, c’est le fait que la photographie ou le film puissent être regardés sur l’appareil même qui les a enregistrés. C’est un changement dans la procédure de prise de vue qui touche tout autant la question de la diffusion et de la réception de l’image. Les camescopes ou les appareils photo numériques avaient déjà cette caractéristique, celle de pouvoir être des instruments de visionnage et d’une certaine façon de diffusion.
En ce qui concerne le téléphone, il m’a semblé intéressant de chercher un usage, en tant que camescope, qui soit en rapport avec sa fonction de communication. Je me pose la question de la cohérence entre le téléphone et la caméra qui lui a été ajoutée. Cet ajout est peut-être une bizarrerie et en même temps, il a sa logique si l’on considère que la prise de vue est un prolongement de la prise de son. On peut penser que ça a été fait dans l’otique de la visiophonie. On annonce la visiophonie depuis longtemps. Dans la science fiction des années cinquante, il y a toujours des visiophones. Mais la science fiction se trompe toujours plus ou moins. Et il me semble que la visiophonie en tant que telle a d’ailleurs aujourd’hui des difficultés commerciales. Le téléphone est destiné à être un appareil « multi-usages ». C’est l’idée d’une espèce de baladeur, d’un appareil mixte, hybride, qui finalement modifie l’usage propre du téléphone.
J’ai donc cherché comment on pouvait combiner le caractère extrêmement mobile de cette caméra très légère avec le fait que le téléphone soit en même temps une visionneuse portative. Le téléphone vidéo fait partie d’une famille plus large que j’appellerai les écrans mobiles ou nomades, même si « nomade » est un terme déjà trop connoté par la philosophie ou la sociologie. Dans la famille des écrans mobiles, il y a le téléphone mais il y a aussi les consoles de jeux portables, sur lesquelles on peut mettre des films, des appareils photos qui ont aussi des écrans et puis les baladeurs comme le iPod vidéo qui est une sorte d’intermédiaire.
Ce qui me semble primordial, c’est que le contexte de la réception, de la lecture ou de la consultation d’images, est devenu variable. Ainsi, par exemple, le cinéma a connu une très grande transformation du jour où il n’a plus été attaché à des salles. Même si aujourd’hui encore, lorsque l’on parle de cinéma, on désigne à la fois le film, la pratique du cinéma, artistique ou non, mais aussi une salle. Tout ça a bien-sûr été noté par tous les historiens du cinéma, par des cinéastes comme Godard, qui, on le sait, attache beaucoup d’importance à la projection et à son contexte et aussi par des artistes contemporains qui font un cinéma « installé ».

« Passer un film »

À partir de cette réflexion, je me suis inspiré des théories linguistiques et de ce qu’on appelle les embrayeurs. Les embrayeurs sont des éléments linguistiques dont le sens est attaché au contexte de l’énonciation. Sans rentrer trop dans les détails, il y a des mots comme « je », « tu », « hier », « demain », le fameux : « t’es où ?» (la phrase la plus prononcée sur un téléphone portable), qui sont absolument relatifs au contexte de leur énonciation. À mon sens, le téléphone est typiquement un support de ces embrayeurs. Le langage SMS montre qu’il y a toute une pratique dans laquelle l’essentiel des informations dépend du contexte dans lequel elles sont émises. Lorsque l’on dit par exemple « j’arrive », qui est ce « je », « arriver » mais où ?, et il y a potentiellement un interlocuteur, un « tu » à qui on s’adresse. La question que je me pose est : peut-on trouver dans les images et, plus généralement, dans la performance de l’échange médiatisé par le numérique, l’équivalent de ces embrayeurs, de ces shifters comme on les désigne en anglais ? Ce n’est pas évident mais je pense que l’on peut trouver des choses qui se rattachent à ça. L’image d’un doigt qui montre, même si ça semble un peu naïf, est un exemple qui illustre cette idée. C’est un exemple un peu trop littéral car c’est la définition même de ces embrayeurs, qu’en français on nomme déictique : ce qui, précisément « montre du doigt ». Il s’agit du principe de désignation. Si une image devient quelque chose qui désigne un élément du contexte de sa réception, alors, cette image fonctionne comme embrayeur.
Quand en 2005, lors de la première édition du festival Pocket Films, j’ai participé à un débat, j’ai voulu montrer l’un de ces petits films que j’ai réalisés. Je m’étais contenté de faire du texte animé, des phrases déroulantes, justement pour écarter provisoirement le problème de l’image, tout en gardant à l’esprit qu’un texte sur un écran, c’est aussi une image. Du fait que l’on n’avait pas prévu le matériel pour passer ces films sur grand écran, j’ai dit au public : « je vous passe le film ». Au moment même où je prononçais cette phrase, je me suis dit : « passer un film », ça peut être ça. Le téléphone est passé de main en main dans l’assistance . Cela s’est fait de façon non préméditée. On a trouvé qu’il y avait désormais une autre manière de passer des films. Qu’est-ce que c’est que de passer un film ? Ici l’écran lui-même se déplaçait. On pourrait imaginer des projets qui soient faits pour être passés de la sorte, un peu comme on se passe des notes, des billets. Je pense que dans les films faits avec ou pour le téléphone, il y a quelque chose qui relève de la correspondance, de la conversation, ou encore de la carte postale. Dans le champ artistique, on  pourrait penser à des choses comme le mail-art et à tout ce qui s’est passé autour d’Internet.
On est pris dans une aspiration vers le cinéma, dans la tentative de maintenir les caractéristiques du cinéma, mais il y a des choses qui se situent plutôt dans la logique des dispositifs de transmission et de réseau. Je pense qu’il y a des procédures intéressantes à imaginer qui mettent véritablement en jeu le fait que ces caméras et ces écrans soient mobiles et qu’ils puissent intégrer des contextes de réception variables.

La caméra-stylo

Beaucoup de gens le remarquent, le téléphone mobile vidéo est une sorte de caméra-stylo. On a beau dire que l’on veut avoir une caméra sur soi, elle est toujours trop lourde. Avec le téléphone, quelque chose s’est passé. Le téléphone, contrairement à la caméra, les gens l’avaient déjà dans leur poche. Aujourd’hui, si on sort sans son téléphone, on se sens mal, on retourne le chercher. Le festival Pocket Films s’est d’abord référé explicitement au cinéma et je pense que c’est l’une de ses qualités. Cela restreint en quelque sorte le champ et en même temps ça rattache la recherche à la tradition du cinéma, qui est évidemment d’une richesse inégalée. Le cinéma, c’est l’art majeur d’un siècle entier, déjà marqué par la question des technologies. Il faut insister sur les révolutions technologiques tout en sachant qu’elles sont toujours relatives. Soit c’est le cinéma lui-même qui connaît une nouvelle variante, soit c’est quelque chose de nouveau qui arrive, qui n’a pas vraiment de nom, mais qui existera d’autant plus que ce sera standardisé par l’industrie. Le cinéma a été standardisé, et nommé d’un nom propre, avant même d’être entre les mains des artistes. Sauf si l’on considère que les frères Lumière étaient eux-mêmes des artistes, ce qui est légitime au regard de la révolution esthétique spécifique que porte le Cinématographe.
Il y a vingt ou trente ans, Godard prédisait le moment où les caméras deviendraient abordables et qu’alors les jeunes gens qui voulaient faire du cinéma n’auraient pas d’excuse de ne pas en faire. C’est fait, le cinéma est littéralement entre toutes les mains. Est-ce encore du cinéma ? Je pense que oui. Il a ses caractéristiques, sa faible résolution, etc., mais on s’en accommode, on lui trouve un style, une écriture. Mais c’est aussi un genre, avec des attitudes tout à fait nouvelles. Par exemple, son aspect de prise de notes est important. Quand on parle de nouvelle écriture, tout le monde a en tête l’idée d’une caméra-stylo, un rêve qui dure depuis que le cinéma est né, pratiquement. Mais, pour moi, l’évolution la plus marquante touche le dispositif, le rapport entre production et réception, avec, comme c’est généralement le cas dans le numérique et l’interactivité, dans le virtuel et le cyberespace, une transformation des positions respectives d’auteur et de lecteur. Une chose très importante et qui a été oubliée, c’est la réversibilité des premières caméras. Les premières caméras étaient en même temps des projecteurs. La caméra Lumière, quand on met une lampe derrière, se transforme en projecteur. C’est impressionnant de voir que les nouveaux appareils dont on se sert maintenant, sont très exactement réversibles. Ils sont à la fois caméra et projecteur.
On retrouve là une préoccupation dont je parlais pour commencer, cette histoire d’embrayeur. Sur le plan artistique, le fait que ces images relèvent de la désignation, de la notation, c’est intéressant. Pour le premier festival, je m’étais inspiré du texte de Barthes : « Le shifter comme utopie ». C’est un très beau texte, l’un des petits chapitres de son livre Roland Barthes par Roland Barthes (1975). Roland Barthes parle de « fuites d’interlocution », d’« opérateurs d’incertitude », de « fluidité amoureuse », de « flou de la différence ». Il donne l’exemple d’une correspondance sur carte postale : Lundi. Je rentre demain. Jean-Louis. (1)
On peut à mon sens employer ce texte comme programme de l’usage les téléphones portables vidéos. D’ailleurs, si l’on continue de regarder chez Barthes, on voit qu’il est lui-même très touché par tout ce qu’il range dans la catégorie du haïku, de la poésie japonaise. Il y a chez lui des choses passionnantes sur la question de la désignation et de la notation comme matériau de base du roman. Je pense que cette caméra très légère, qui permet la transmission d’une sorte de cartes postales, peut amorcer une nouvelle modalité de la fiction. Il faut encore, pour saisir la capacité d’anticipation et la puissance poétique que peut prendre un authentique échange vidéo, se reporter aux très belles Video Letters de Shuji Terayama et Tanikawa Shuntaro (2).

Comment un outil devient artistique ?

Pour les besoins de mes cours et aussi pour un article que j’ai rédigé pour l’artiste japonais Masaki Fujihata, j’ai fait une étude rétrospective de quelque chose que j’avais connu en direct dans les années soixante et soixante-dix : les films réalisés avec une caméra 16 mm portable avec son synchrone. Ce type de caméra a été une révolution considérable dont l’un des initiateurs est Jean Rouch. Il est à l’origine d’un cinéma ethnographique mais aussi ce que lui-même a appelé, pendant un temps, le « cinéma vérité ». Cette caméra a été une nouvelle technologie qui a eu une très grande conséquence artistique. Il y a eu une collaboration à l’époque, décrite assez bien dans des interviews, je j’ai ré-écoutées récemment, faites autour du film Chronique d’un été, tourné à Paris en 1959 par Jean Rouch et Edgar Morin. Jean Rouch était en contact avec André Coutant, un ingénieur qui fabriquait des caméras pour l’armée. Plus exactement, il s’agissait de caméras destinées a être embarquées sur des fusées, quand la France lançait des fusées au Sahara. Il fallait qu’elles soient extrêmement légères et précises. Plus tard, cet inventeur a travaillé pour la société Eclair. D’ailleurs les premières caméras 16 mm portables avec son synchrone, et avec des magasins permettant de filmer relativement longtemps en continu, s’appelaient Eclair-Coutant. Quand Jean Rouch raconte le tournage de Chronique d’un été, il dit que l’équipe du film allait pratiquement tous les trois jours voir cet ingénieur pour faire modifier la caméra. Il est toujours intéressant de modifier les appareils en fonction des besoins des artistes. C’est d’ailleurs ce que fait, dans une certaine mesure, le Festival Pocket Films avec SFR, à propos du montage à distance. Un outil devient véritablement un instrument pour l’art le jour où les artistes peuvent le critiquer, le transformer ou le faire eux-mêmes. Ou alors il faut prendre ce qu’on nous donne comme une contrainte positive.
L’intérêt d’un téléphone, c’est qu’il est en réseau avec d’autres téléphones. Il y a un travail collectif à faire, il y a des protocoles à imaginer. Je m’intéresse à l’art conceptuel, aux arts du processus, de la performance. Mon goût personnel, comme celui de ma génération, me portent à ça. J’ai remarqué que tout ce qui relève des nouvelles technologies pousse dans ce sens. On peut voir le GPS associé au land-art, par exemple. Il y a aussi tout ce qui croise texte et image. J’ai d’ailleurs quelques idées de scénarios qui travailleraient le rapport performatif du texte et de l’image. Par exemple, une personne lit un livre ou pense à quelque chose et envoie des directives à un partenaire par téléphone. La réponse doit être faite par un film. Il y a beaucoup de choses à expérimenter et à découvrir du côté des protocoles contraignants et performatifs.


Expérience Mobile Tube (conception : Gwenola Wagon), Centre Pompidou, 15 juin 2008. (photo JLB)

Deux ou trois choses encore, à propos de la notion d’image performative. C’est par exemple le fait qu’une image à peine captée se retrouve exposée sur un blog, se trouve cartographiée sur Google Maps. Ou encore le phénomène du « happy-slapping », ces jeunes qui agressent des gens pour les filmer, est en parfaite adéquation avec l’instrument du portable vidéo. Cette pratique, même si elle est révoltante, démontre une situation où le réel, la transformation du réel (séduire quelqu’un, mettre le feu à des voitures…), le désir d’exister, sont soumis à la prise d’images et à leur consommation immédiate. C’est une aliénation, mais je soupçonne qu’elle peut se renverser en prise de conscience, en prise de distance. Et l’art a besoin de distance.

NOTES

1. Roland Barthes par Roland Barthes, Le Seuil, 1975, pp. 168-169 (voir le texte ci-dessous)
2. Terayama Shuji et Shuntaro Tanikawa, Video Letters, 1982-1983, vidéo, 75mn.
http://www.ubu.com/film/terayama_video-letter.html

DOCUMENT

Roland Barthes
Le shifter comme utopie
Il reçoit une carte lointaine d’un ami: « Lundi. Je rentre demain. Jean-Louis. »
Tel Jourdain et sa prose fameuse (scène au demeurant assez poujadiste), il s’émerveille de découvrir dans un énoncé aussi simple la trace des opérateurs doubles, analysés par Jacobson. Car si Jean-Louis sait parfaitement qui il est et quel jour il écrit, son message, parvenu jusqu’à moi, est tout à fait incertain: quel lundi ? quel Jean-Louis ? Comment le saurais-je, moi qui, de mon point de vue, dois instantanément choisir entre plusieurs Jean-Louis et plusieurs lundis ? Quoique codé, pour ne parler que du plus connu de ces opérateurs, le shifter apparaît ainsi comme un moyen retors — fourni par la langue elle-même — de rompre la communication : je parle (voyez ma maîtrise du code) mais je m’enveloppe dans la brume d’une situation énonciatrice qui vous est inconnue; je ménage dans mon discours des fuites d’interlocution (ne serait-ce pas, finalement, toujours ce qui se passe lorsque nous utilisons le shifter par excellence, le pronom « je » ?). De là, il imagine les shifters (appelons ainsi, par extension, tous les opérateurs d’incertitude formés à même la langue : je, ici, maintenant, demain, lundi, Jean-Louis) comme autant de subversions sociales, concédées par la langue, mais combattues par la société, à laquelle ces fuites de subjectivité font peur et qu’elle colmate toujours en imposant de réduire la duplicité de l’opérateur (lundi, Jean-Louis), par le repère « objectif » d’une date (lundi 12 mars) ou d’un patronyme (Jean-Louis B.). Imagine-t-on la liberté et si l’on peut dire la fluidité amoureuse d’une collectivité qui ne parlerait que par prénoms et par shifters, chacun ne disant jamais que je, demain, là-bas, sans référer à quoi que ce soit de légal, et où le flou de la différence (seule manière d’en respecter la subtilité, la répercussion infinie) serait la valeur la plus précieuse de la langue ?

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