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L’appareil Lytro, version 16 GB.

Nous avons à plusieurs reprises insisté ici sur la nuance de taille à apporter à l’idée d’une « révolution » que peut apporter le numérique au photographique. Pour bien mesurer l’ampleur des mutations, il faut savoir décrire aussi ce qui ne change pas : ainsi, un appareil photo numérique reste un appareil photographique, c’est-à-dire une chambre noire avec une optique et une surface sensible. L’exemple du scanner et d’autres types de balayage par un laser étaient déjà des techniques qui voyaient le photographique s’émanciper de la pyramide optique formée dans la chambre noire. Il en va autrement aussi quand l’optique est modifiée au point de ne plus donner lieu à une image réelle « simplement » captée puis traitée mais qui est couplée à des algorithmes, à une computation, qui fait de l’image une base de données dont il s’agira d’extraire la, ou plutôt les multiples images de type photographique. Il est vrai que la capture numérique, comme d’ailleurs la capture argentique, n’est pas une image « achevée ».  Cependant, ici, le principe prend une toute autre ampleur car il repousse à « après la prise de vue » un paramètre qui semblait inhérent à l’instant de la saisie optique, mécanique et électro-chimique, la mise au point, le placement du plan de capture en un plan de netteté optimum. Notons qu’une telle mise au point « après » est elle-même éventuelle puisqu’elle suppose une variation qui peut rester ouverte dans de nouvelles formes de diffusion et d’usage de ces « blocs photographiques », comme par exemple pour des images 3D, stéréoscopiques et interactives.

Il y a maintenant quatre ans (nous y faisions écho, voir : http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?p=256), Adobe présentait un dispositif multi-objectifs qui permettait un enregistrement visuel où la mise au point « restait à faire », autrement dit, qui fournissait une image d’apparence floue mais contenant les informations de sa propre mise au point dans tel ou tel plan de sa profondeur. Mettant en œuvre un principe comparable, le Lytro, annoncé fin 2011, est un appareil-logiciel qui saisit en la traitant non plus l’image réelle formée dans un plan où elle est principalement nette, mais le champ de rayons omnidirectionnels émis par l’objet, une globalité lumineuse chargée du potentiel d’informations apte à restituer l’image volumique que l’optique classique échoue à percevoir. Pour le dire simplement, l’appareil capture à la fois l’intensité et la direction de la lumière — et pour cela opère dans une quatrième dimension. L’appareil diffère d’un appareil photo digital ordinaire par la présence d’une grille de micro-lentilles devant son capteur. La notion de Digital Light Field Photography emprunte celle de light field à l’image de synthèse et en particulier au ray-tracing.

Une série de photographies « à mettre au point » est visible sur le site : http://www.lytro.com/living-pictures/292.

Citation du site Lytro, 26 décembre 2011 : Les tout premiers champs de lumière ont été capturés à l’Université de Stanford il y a maintenant 15 ans. La recherche la plus avancée sur le champ de lumière demandait une pièce remplie de caméras reliées à un superordinateur. Aujourd’hui, Lytro achève le travail de sortir les champs de lumière hors du laboratoire de recherche et de les rendre disponibles pour tous, sous la forme de la première Lytro Light Field Camera.

Pour plus d’informations techniques sur la Digital Light Field Photography, consulter :
https://www.lytro.com/science_inside
http://www.lytro.com/renng-thesis.pdf



Exemples de l’effet Lytro : photo par Mugur Marculescu et portrait du directeur de la photographie Stephen Goldblatt © Lytro.

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L’œuvre de Fabien Giraud Le La Mort est coproduite par Rosascape (Paris, square de Maubeuge, Paris 9e) et Forde (Genève). Elle est composée de quinze livres imprimés en linotypie. « Chaque ouvrage est coupé en son milieu par un second livre contenant le script d’une conversation entre Fabien Giraud et Vincent Normand. À la fois commentaire et origine des œuvres, ce dialogue, intitulé Metaxu, est le point central de l’exposition ». Voir les livres ici. Si le long texte original (la conversation sous forme de vidéo dure 107 mn) est la matière de la proposition, cette matière est présente aussi dans des caractères en plomb, et dans les barres de plomb fondu de certains paragraphes, dans les rubans de papier, chutes des rognures des aplats de couleurs du livre imprimés par un procédé numérique. (Photos JLB, 3 déc. 2011)

Texte de la page photographiée :
Très vite, la courbure du verre s’accentue, et toute une série de foyers optiques se développe entre l’œil et l’objet de son regard. Le microscope, comme il s’invente au milieu du XVIIe siècle avec le savant hollandais Antoni van Leeuwenhoek, est doté d’un dispositif à vis pour la mise au point. Le microscope révèle alors que la surface d’un objet n’est pas sa correspondance à l’échelle de sa forme globale, mais qu’il abrite en lui-même, dans l’ombre de sa matière, une infinité de mondes et de vies insoupçonnées jusqu’alors. La chair du monde se fendille et se creuse. Tout un univers profond, dans les crevasses et les pores, remonte à la surface des formes. Et seules la limite de la courbure des lentilles, la netteté de son grain de verre et la précision d’un pas de vis semblent pouvoir arrêter cette avancée dans les strates infimes du monde. C’est alors, pour l’homme étourdi du XVIIe siècle commençant, l’ouverture à deux démesures de la vision. L’une amenée par le télescope et le décentrement du monde, l’autre, par le microscope et la profondeur infinie de la matière. Une sphère éclate au contact du sol quand une boule de verre tombe de toute la hauteur d’une table. Une sphère éclate également quand, avec un petit objet dur et pointu, on applique sur elle une force qui, par pression concentrée en un point unique, vient à en éventrer la membrane. Il faut voir le double geste de Galilée et de Leeuwenhoek comme une équivalente brisure. Ils ouvrent le savoir à la dé-mesure, au sens véritable et complet d’une défaite de la mesure.

Le texte intégral du livre est disponible en pdf ici. C’est une Histoire, fort intéressante, attachée aux inventions techniques.

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Le Laboratoire, 4 rue du Bouloi, Paris 1er, exposition L’architecture des humeurs* par François Roche, architecte fondateur avec Stéphanie Lavaux de l’Agence R&Sie(n) associés à un collectif de 10 scientifiques : mathématicien, programmeurs, architectes, designer robotique.
« Une approche computationnelle établie sur des données biologiques et physiologiques collectées sur les visiteurs, qui permettrait de concevoir lieux d’habitation et fragments urbains imaginés selon un protocole d’organisation relationnel. »

À visiter du 22/01/2010 au 26/04/2010 (ou 16/05/2010 ?), pour apprécier les parts de fiction, de science et d’art que comportent ces propositions.
À consulter, le blog : http://www.new-territories.com/blog/architecturedeshumeurs/



Robot constructeur, exemples de formes possibles.


Collecte de données physiologiques sur les spectateurs.

(photos JLB)

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Arts des nouveaux médias. Préparation du séminaire du 23 mars 2010. Héloïse Lauraire

Il sera question de la perception de l’épaisseur du temps (cf. texte Chronologies de Daniel Birnbaum) ainsi que de la théorie de « l’expérience émotionnelle de l’espace », en référence au texte éponyme de Pierre Kaufmann qui traite notamment du rapport entre l’architecture et la peur.
Pour ce faire, certaines œuvres étudiées dans le corpus de ma thèse intitulée « des vertus de l’insécurité dans l’art contemporain ». En effet, ces dernières mettent en jeu pour le spectateur une perception particulière du temps liée à des déplacements dans l’espace et dans le temps. Il pourra donc être fait référence aux dispositifs et installations de Mathieu Briand, Christoph Büchel, Gregor Schneider ou encore Christophe Berdaguer et Marie Péjus.


Mathieu Briand, Derrière Le Monde Flottant, Musée d’Art Contemporain de Lyon, 2004
(photo : Bruno Amsellem)

Le dédale a t-il un centre ? Ce titre est emprunté au texte de Daniel Birnbaum, « Chronologies », extrait de l’essai Chronologie, Co-Edition Les presses du réel, Dijon /JRP.Ringier, Zurich, 2007)

Daniel Birnbaum, Chronologies, p. 45-51


http://www.ednm.fr/wp-pdf/Birnbaum Chronologies.pdf

Lien vers Stanley Kubrick, 2001, Odyssée de l’espace, 1968, dernière partie : « Jupiter et au delà de l’infini »
http://www.youtube.com/watch?v=c1IPrx-zC1Y


Photographié depuis un siège de la salle du Reflet Médicis, un plan de Nocturnes pour le roi de Rome, film de Jean-Charles Fitoussi, 2006, distribué par Point-ligne-plan.

Une opinion spontanée, constamment contredite, est que l’arrivée et l’emploi de nouveaux médias dans les arts seraient synonymes d’une perte de l’investissement sensible et personnel. Les machines numériques ont certes de telles capacités d’automatisme qu’elles semblent devoir démultiplier les productions standard du décervelage de masse. La distance historique est pourtant là pour démontrer la validité et la nouveauté créatrice des arts fondés sur les dispositifs automatiques que sont la photographie et le cinéma, la radio, l’enregistrement sonore, etc. La nouveauté des technologies et des instruments, qui est d’abord celle de la culture qui les porte, n’a-t-elle pas aussi cette primitivité par laquelle les arts se trouvent stimulés ? Alors, si ce film est primitif, c’est au sens, comme en mathématiques, de l’intégration des fonctions qui n’en seraient que les dérivées, propriétés et variations à quoi on reconnaît d’habitude le cinéma .

Lorsque Jean-Charles Fitoussi découvre, en 2005, la caméra fort particulière qu’est le téléphone, il y voit peut-être la caméra-stylo où le cinéma-œil dont a rêvé le cinéma, mais aussi, de façon pratique, le moyen de noter des sons et des images lors de repérages. Lui qui a été dix années durant l’assistant de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, va transgresser ses choix et ses propres contraintes stylistiques. Séjournant à Rome, le hasard le conduit à faire, avec ce téléphone-caméra, un long plan de 26 minutes du « ballet » des serveurs dans une réception à la Villa Médicis, une séquence qu’aucune autre technique n’aurait pu saisir. Il constate que ce plan « tient sa durée » et qu’il ouvre la perspective d’un film à part entière. En outre, la projection sur grand écran de cette vidéo à la résolution dérisoire est une révélation : les « défauts » y sont « transmués en merveilles ».

Ainsi, faire un film sera cette fois pour lui une entreprise à la table de travail (devant l’ordinateur), un travail au jour le jour d’agencement d’images-matériaux, de construction littéraire et musicale. La composition peut en être sans cesse reprise et modifiée. L’échéance d’une sortie nationale (la première a eu lieu mercredi 6 janvier 2010 au cinéma Reflet Médicis à Paris) a probablement fixé les 67 minutes de ce film de fiction : Nocturnes pour le roi de Rome. C’est un film d’une beauté inconnue.

À lire :
Un texte sur le film par le philosophe Clément Rosset.

Le compte-rendu de la conférence de Jean-Charles Fitoussi à l’Observatoire des nouveaux médias, Ensad, 17 décembre 2008.

« Le film téléphonique comme shifter », un texte de Jean-Louis Boissier à propos du Pocket Film Festival, sur ce site AdNM, le 16 juin 2008.

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Frédéric Joliot-Curie 1900-1958


Louis Althusser 1918-1990

Exemple sur un extrait de l’émission de la radio France culture, « Les matins », consacrée le mardi 14 avril 2009 à la situation des enseignants-chercheurs et des chercheurs. L’extrait commence avec l’intervention d’Alexandre Adler, chroniqueur de politique internationale, historien et universitaire (il fut enseignant en histoire à Paris 8-Vincennes). Les invitées sont : Sophie Wahnich, historienne, chargée de recherche au CNRS et Laurence Giavarini, maître de conférences, porte parole du collectif « Sauvons l’Université ».


Sophie Wahnich et Laurence Giavarini.
Photo M. Chalandon Radio France

L’émission est proposée à l’écoute différée par le site de France culture soit en flux direct, soit en téléchargement (abonnement = postcasting).
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/matins/index.php?emission_id=25060143
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/podcast/
Une fois « podcasté », le fichier a été recoupé (logiciel Audacity http://audacity.sourceforge.net/) puis chargé sur le serveur de « Arts des nouveaux médias ». Ce blog, réalisé sous WordPress, est actuellement équipé du plugin « Anarchy Media Player » qui permet d’appeler dans un environnement de lecteur Flash, par une simple ligne de code donnant le chemin, le son mp3.


Alexandre Adler

Pour écouter l’extrait, cliquer ci-dessous :

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Place de l’Hôtel de ville, Paris, lundi 13 avril 2009, 13h.

Une série de copies d’écrans faites sur le site de la webcam se trouvant à l’Hôtel de ville
http://paris.webcam.en-ville.orange.fr/ville/paris/hotel-de-ville-2094.html
a permis d’isoler 10 photogrammes. Ils ont été indexés en 256 couleurs (ici 256 niveaux de gris) puis assemblés en un gif animé grâce au logiciel Gifbuilder (à télécharger depuis ici, par exemple : http://www.macupdate.com/info.php/id/235)

Lundi 4 mai 2009, midi. La « Ronde infinie des obstinés » continue sans arrêt depuis six semaines = 42 jours = 1008 heures :

Ce même lundi 4 mai, six semaines après le lancement de la ronde, l’expression « ronde infinie des obstinés » (dont on peut penser qu’elle est unique, qu’elle se rapporte strictement à son objet) ouvre, sur Google, vers 75 800 liens sur Internet.

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Boris Yankovsky, formes de sons de voix humaines et de différents instruments de musique. Recherches acoustiques sur les spectres et formants. Tracé original du système d’enregistrement de son Kinap de Shorin, 1935.

À voir au Palais de Tokyo (jusqu’au 18 janvier 2009)

Dans la très intéressante exposition « D’une révolution à l’autre. Carte blanche à Jeremy Deller », on peut s’intéresser de près à la section « 1918 – 1939 Son Z /» qui documente un aspect trop mal connu des recherches des domaines croisés des arts et des technologies dans la Russie (l’URSS) des années 1920. On y reconnaitra des préoccupations typiques du Constructivisme : l’alliance, voire la fusion des divers arts entre eux; l’harmonisation des relations entre sciences, arts, économie, politique et société.

Dans le domaine musical, c’est tout un ensemble de découvertes primordiales qui portent sur les ondes électromagnétiques, les sons synthétiques et électroniques. Le cinéma, art de technologies nouvelles à l’époque, est notamment le lieu de diverses tentatives de création optiques de sons.

Ces artistes et scientifiques, qui anticipent de nombreuses innovations des domaines de la communication, de la cybernétique, de la psychologie, la sémiotique, etc. autant que du domaine de l’art et des sciences et technologies attachées à l’art, seront réprimés par le pouvoir, rentreront dans le rang, tenteront d’effacer leur participation aux recherches et expérimentations de l’« avant-garde ».

Lire : André Smirnov & Lubov Pchelkina, « Expérimentations sonores et musique électronique dans la Russie du début du XXe siècle. », Palais/, n° 7, automne 2008, pp. 67-77.

Le variophone d’Evgeny Sholpo, 1934, utilisant des disques découpés.
[Photographies faites dans l’exposition par J.-L.B.]

Ci dessous, un extrait du Dossier pédagogique à télécharger ici dans sa version complète en pdf.

Effervescence

Réalisée par Jeremy Deller en collaboration avec Matt Price, écrivain et éditeur de Birmingham, maintenant installé à Londres pour le compte de la Albion Gallery, et Andrei Smirnov, fondateur et directeur du Centre Theremin à Moscou, cette partie interroge les différentes collaborations qui ont existé dans la Russie des années 20 entre avant-garde, innovation technologique et recherche scientifique, ainsi que leurs conséquences sur les nouvelles modalités de production artistique et industrielle. Cette section comprise en 1918 et 1939 commence avec la fin de la Première Guerre mondiale et se termine au moment où commence la Seconde Guerre mondiale. Lire la suite »


Terayama Shuji et Shuntaro Tanikawa, Video Letters, 1982-1983

Jean-Louis Boissier
Texte légèrement modifié de l’entretien avec Nathalie Roth et Caroline Delieutraz pour le Pocket Films Festival de juillet 2006

Télécharger • « Le Film téléphonique » (pdf)

Approche personnelle

Ma première approche du téléphone mobile vidéo est un peu particulière. En effet, je réfléchis depuis assez longtemps sur les dispositifs de prise de vue : cinéma, vidéo, photographie, envisagés sous l’angle ce qu’a apporté le numérique dans le domaine artistique. Je ne peux donc pas avoir une approche spontanée, ce qui n’est pas forcement une qualité. Cette première approche a donc été plutôt théorique. Le téléphone, qui désormais est portable, a subi toute une transformation qu’il faut prendre en compte. Comme il y a une transformation du cinéma ou de la vidéo, il y a une transformation du téléphone. Déjà, le téléphone portable a constitué une espèce de petite révolution. En particulier le fait que le téléphone soit désormais attaché à des personnes et non plus à des lieux. Et maintenant le fait que ces téléphones intègrent des appareils photos puis des appareils d’enregistrement vidéo, et que ces vidéos puissent être transmises.

Les écrans mobiles

On a beaucoup tenté de théoriser la numérisation de l’image photographique et vidéo mais pour moi une des choses importantes, qui n’était pas d’emblée lié au numérique mais qui l’est devenu, c’est le fait que la photographie ou le film puissent être regardés sur l’appareil même qui les a enregistrés. C’est un changement dans la procédure de prise de vue qui touche tout autant la question de la diffusion et de la réception de l’image. Les camescopes ou les appareils photo numériques avaient déjà cette caractéristique, celle de pouvoir être des instruments de visionnage et d’une certaine façon de diffusion.
En ce qui concerne le téléphone, il m’a semblé intéressant de chercher un usage, en tant que camescope, qui soit en rapport avec sa fonction de communication. Je me pose la question de la cohérence entre le téléphone et la caméra qui lui a été ajoutée. Cet ajout est peut-être une bizarrerie et en même temps, il a sa logique si l’on considère que la prise de vue est un prolongement de la prise de son. On peut penser que ça a été fait dans l’otique de la visiophonie. On annonce la visiophonie depuis longtemps. Dans la science fiction des années cinquante, il y a toujours des visiophones. Mais la science fiction se trompe toujours plus ou moins. Et il me semble que la visiophonie en tant que telle a d’ailleurs aujourd’hui des difficultés commerciales. Le téléphone est destiné à être un appareil « multi-usages ». C’est l’idée d’une espèce de baladeur, d’un appareil mixte, hybride, qui finalement modifie l’usage propre du téléphone.
J’ai donc cherché comment on pouvait combiner le caractère extrêmement mobile de cette caméra très légère avec le fait que le téléphone soit en même temps une visionneuse portative. Le téléphone vidéo fait partie d’une famille plus large que j’appellerai les écrans mobiles ou nomades, même si « nomade » est un terme déjà trop connoté par la philosophie ou la sociologie. Dans la famille des écrans mobiles, il y a le téléphone mais il y a aussi les consoles de jeux portables, sur lesquelles on peut mettre des films, des appareils photos qui ont aussi des écrans et puis les baladeurs comme le iPod vidéo qui est une sorte d’intermédiaire.
Ce qui me semble primordial, c’est que le contexte de la réception, de la lecture ou de la consultation d’images, est devenu variable. Ainsi, par exemple, le cinéma a connu une très grande transformation du jour où il n’a plus été attaché à des salles. Même si aujourd’hui encore, lorsque l’on parle de cinéma, on désigne à la fois le film, la pratique du cinéma, artistique ou non, mais aussi une salle. Tout ça a bien-sûr été noté par tous les historiens du cinéma, par des cinéastes comme Godard, qui, on le sait, attache beaucoup d’importance à la projection et à son contexte et aussi par des artistes contemporains qui font un cinéma « installé ».

« Passer un film »

À partir de cette réflexion, je me suis inspiré des théories linguistiques et de ce qu’on appelle les embrayeurs. Les embrayeurs sont des éléments linguistiques dont le sens est attaché au contexte de l’énonciation. Sans rentrer trop dans les détails, il y a des mots comme « je », « tu », « hier », « demain », le fameux : « t’es où ?» (la phrase la plus prononcée sur un téléphone portable), qui sont absolument relatifs au contexte de leur énonciation. À mon sens, le téléphone est typiquement un support de ces embrayeurs. Le langage SMS montre qu’il y a toute une pratique dans laquelle l’essentiel des informations dépend du contexte dans lequel elles sont émises. Lorsque l’on dit par exemple « j’arrive », qui est ce « je », « arriver » mais où ?, et il y a potentiellement un interlocuteur, un « tu » à qui on s’adresse. La question que je me pose est : peut-on trouver dans les images et, plus généralement, dans la performance de l’échange médiatisé par le numérique, l’équivalent de ces embrayeurs, de ces shifters comme on les désigne en anglais ? Ce n’est pas évident mais je pense que l’on peut trouver des choses qui se rattachent à ça. L’image d’un doigt qui montre, même si ça semble un peu naïf, est un exemple qui illustre cette idée. C’est un exemple un peu trop littéral car c’est la définition même de ces embrayeurs, qu’en français on nomme déictique : ce qui, précisément « montre du doigt ». Il s’agit du principe de désignation. Si une image devient quelque chose qui désigne un élément du contexte de sa réception, alors, cette image fonctionne comme embrayeur.
Quand en 2005, lors de la première édition du festival Pocket Films, j’ai participé à un débat, j’ai voulu montrer l’un de ces petits films que j’ai réalisés. Je m’étais contenté de faire du texte animé, des phrases déroulantes, justement pour écarter provisoirement le problème de l’image, tout en gardant à l’esprit qu’un texte sur un écran, c’est aussi une image. Du fait que l’on n’avait pas prévu le matériel pour passer ces films sur grand écran, j’ai dit au public : « je vous passe le film ». Au moment même où je prononçais cette phrase, je me suis dit : « passer un film », ça peut être ça. Le téléphone est passé de main en main dans l’assistance . Cela s’est fait de façon non préméditée. On a trouvé qu’il y avait désormais une autre manière de passer des films. Qu’est-ce que c’est que de passer un film ? Ici l’écran lui-même se déplaçait. On pourrait imaginer des projets qui soient faits pour être passés de la sorte, un peu comme on se passe des notes, des billets. Je pense que dans les films faits avec ou pour le téléphone, il y a quelque chose qui relève de la correspondance, de la conversation, ou encore de la carte postale. Dans le champ artistique, on  pourrait penser à des choses comme le mail-art et à tout ce qui s’est passé autour d’Internet.
On est pris dans une aspiration vers le cinéma, dans la tentative de maintenir les caractéristiques du cinéma, mais il y a des choses qui se situent plutôt dans la logique des dispositifs de transmission et de réseau. Je pense qu’il y a des procédures intéressantes à imaginer qui mettent véritablement en jeu le fait que ces caméras et ces écrans soient mobiles et qu’ils puissent intégrer des contextes de réception variables.

La caméra-stylo

Beaucoup de gens le remarquent, le téléphone mobile vidéo est une sorte de caméra-stylo. On a beau dire que l’on veut avoir une caméra sur soi, elle est toujours trop lourde. Avec le téléphone, quelque chose s’est passé. Le téléphone, contrairement à la caméra, les gens l’avaient déjà dans leur poche. Aujourd’hui, si on sort sans son téléphone, on se sens mal, on retourne le chercher. Le festival Pocket Films s’est d’abord référé explicitement au cinéma et je pense que c’est l’une de ses qualités. Cela restreint en quelque sorte le champ et en même temps ça rattache la recherche à la tradition du cinéma, qui est évidemment d’une richesse inégalée. Le cinéma, c’est l’art majeur d’un siècle entier, déjà marqué par la question des technologies. Il faut insister sur les révolutions technologiques tout en sachant qu’elles sont toujours relatives. Soit c’est le cinéma lui-même qui connaît une nouvelle variante, soit c’est quelque chose de nouveau qui arrive, qui n’a pas vraiment de nom, mais qui existera d’autant plus que ce sera standardisé par l’industrie. Le cinéma a été standardisé, et nommé d’un nom propre, avant même d’être entre les mains des artistes. Sauf si l’on considère que les frères Lumière étaient eux-mêmes des artistes, ce qui est légitime au regard de la révolution esthétique spécifique que porte le Cinématographe.
Il y a vingt ou trente ans, Godard prédisait le moment où les caméras deviendraient abordables et qu’alors les jeunes gens qui voulaient faire du cinéma n’auraient pas d’excuse de ne pas en faire. C’est fait, le cinéma est littéralement entre toutes les mains. Est-ce encore du cinéma ? Je pense que oui. Il a ses caractéristiques, sa faible résolution, etc., mais on s’en accommode, on lui trouve un style, une écriture. Mais c’est aussi un genre, avec des attitudes tout à fait nouvelles. Par exemple, son aspect de prise de notes est important. Quand on parle de nouvelle écriture, tout le monde a en tête l’idée d’une caméra-stylo, un rêve qui dure depuis que le cinéma est né, pratiquement. Mais, pour moi, l’évolution la plus marquante touche le dispositif, le rapport entre production et réception, avec, comme c’est généralement le cas dans le numérique et l’interactivité, dans le virtuel et le cyberespace, une transformation des positions respectives d’auteur et de lecteur. Une chose très importante et qui a été oubliée, c’est la réversibilité des premières caméras. Les premières caméras étaient en même temps des projecteurs. La caméra Lumière, quand on met une lampe derrière, se transforme en projecteur. C’est impressionnant de voir que les nouveaux appareils dont on se sert maintenant, sont très exactement réversibles. Ils sont à la fois caméra et projecteur.
On retrouve là une préoccupation dont je parlais pour commencer, cette histoire d’embrayeur. Sur le plan artistique, le fait que ces images relèvent de la désignation, de la notation, c’est intéressant. Pour le premier festival, je m’étais inspiré du texte de Barthes : « Le shifter comme utopie ». C’est un très beau texte, l’un des petits chapitres de son livre Roland Barthes par Roland Barthes (1975). Roland Barthes parle de « fuites d’interlocution », d’« opérateurs d’incertitude », de « fluidité amoureuse », de « flou de la différence ». Il donne l’exemple d’une correspondance sur carte postale : Lundi. Je rentre demain. Jean-Louis. (1)
On peut à mon sens employer ce texte comme programme de l’usage les téléphones portables vidéos. D’ailleurs, si l’on continue de regarder chez Barthes, on voit qu’il est lui-même très touché par tout ce qu’il range dans la catégorie du haïku, de la poésie japonaise. Il y a chez lui des choses passionnantes sur la question de la désignation et de la notation comme matériau de base du roman. Je pense que cette caméra très légère, qui permet la transmission d’une sorte de cartes postales, peut amorcer une nouvelle modalité de la fiction. Il faut encore, pour saisir la capacité d’anticipation et la puissance poétique que peut prendre un authentique échange vidéo, se reporter aux très belles Video Letters de Shuji Terayama et Tanikawa Shuntaro (2).

Comment un outil devient artistique ?

Pour les besoins de mes cours et aussi pour un article que j’ai rédigé pour l’artiste japonais Masaki Fujihata, j’ai fait une étude rétrospective de quelque chose que j’avais connu en direct dans les années soixante et soixante-dix : les films réalisés avec une caméra 16 mm portable avec son synchrone. Ce type de caméra a été une révolution considérable dont l’un des initiateurs est Jean Rouch. Il est à l’origine d’un cinéma ethnographique mais aussi ce que lui-même a appelé, pendant un temps, le « cinéma vérité ». Cette caméra a été une nouvelle technologie qui a eu une très grande conséquence artistique. Il y a eu une collaboration à l’époque, décrite assez bien dans des interviews, je j’ai ré-écoutées récemment, faites autour du film Chronique d’un été, tourné à Paris en 1959 par Jean Rouch et Edgar Morin. Jean Rouch était en contact avec André Coutant, un ingénieur qui fabriquait des caméras pour l’armée. Plus exactement, il s’agissait de caméras destinées a être embarquées sur des fusées, quand la France lançait des fusées au Sahara. Il fallait qu’elles soient extrêmement légères et précises. Plus tard, cet inventeur a travaillé pour la société Eclair. D’ailleurs les premières caméras 16 mm portables avec son synchrone, et avec des magasins permettant de filmer relativement longtemps en continu, s’appelaient Eclair-Coutant. Quand Jean Rouch raconte le tournage de Chronique d’un été, il dit que l’équipe du film allait pratiquement tous les trois jours voir cet ingénieur pour faire modifier la caméra. Il est toujours intéressant de modifier les appareils en fonction des besoins des artistes. C’est d’ailleurs ce que fait, dans une certaine mesure, le Festival Pocket Films avec SFR, à propos du montage à distance. Un outil devient véritablement un instrument pour l’art le jour où les artistes peuvent le critiquer, le transformer ou le faire eux-mêmes. Ou alors il faut prendre ce qu’on nous donne comme une contrainte positive.
L’intérêt d’un téléphone, c’est qu’il est en réseau avec d’autres téléphones. Il y a un travail collectif à faire, il y a des protocoles à imaginer. Je m’intéresse à l’art conceptuel, aux arts du processus, de la performance. Mon goût personnel, comme celui de ma génération, me portent à ça. J’ai remarqué que tout ce qui relève des nouvelles technologies pousse dans ce sens. On peut voir le GPS associé au land-art, par exemple. Il y a aussi tout ce qui croise texte et image. J’ai d’ailleurs quelques idées de scénarios qui travailleraient le rapport performatif du texte et de l’image. Par exemple, une personne lit un livre ou pense à quelque chose et envoie des directives à un partenaire par téléphone. La réponse doit être faite par un film. Il y a beaucoup de choses à expérimenter et à découvrir du côté des protocoles contraignants et performatifs.


Expérience Mobile Tube (conception : Gwenola Wagon), Centre Pompidou, 15 juin 2008. (photo JLB)

Deux ou trois choses encore, à propos de la notion d’image performative. C’est par exemple le fait qu’une image à peine captée se retrouve exposée sur un blog, se trouve cartographiée sur Google Maps. Ou encore le phénomène du « happy-slapping », ces jeunes qui agressent des gens pour les filmer, est en parfaite adéquation avec l’instrument du portable vidéo. Cette pratique, même si elle est révoltante, démontre une situation où le réel, la transformation du réel (séduire quelqu’un, mettre le feu à des voitures…), le désir d’exister, sont soumis à la prise d’images et à leur consommation immédiate. C’est une aliénation, mais je soupçonne qu’elle peut se renverser en prise de conscience, en prise de distance. Et l’art a besoin de distance.

NOTES

1. Roland Barthes par Roland Barthes, Le Seuil, 1975, pp. 168-169 (voir le texte ci-dessous)
2. Terayama Shuji et Shuntaro Tanikawa, Video Letters, 1982-1983, vidéo, 75mn.
http://www.ubu.com/film/terayama_video-letter.html

DOCUMENT

Roland Barthes
Le shifter comme utopie
Il reçoit une carte lointaine d’un ami: « Lundi. Je rentre demain. Jean-Louis. »
Tel Jourdain et sa prose fameuse (scène au demeurant assez poujadiste), il s’émerveille de découvrir dans un énoncé aussi simple la trace des opérateurs doubles, analysés par Jacobson. Car si Jean-Louis sait parfaitement qui il est et quel jour il écrit, son message, parvenu jusqu’à moi, est tout à fait incertain: quel lundi ? quel Jean-Louis ? Comment le saurais-je, moi qui, de mon point de vue, dois instantanément choisir entre plusieurs Jean-Louis et plusieurs lundis ? Quoique codé, pour ne parler que du plus connu de ces opérateurs, le shifter apparaît ainsi comme un moyen retors — fourni par la langue elle-même — de rompre la communication : je parle (voyez ma maîtrise du code) mais je m’enveloppe dans la brume d’une situation énonciatrice qui vous est inconnue; je ménage dans mon discours des fuites d’interlocution (ne serait-ce pas, finalement, toujours ce qui se passe lorsque nous utilisons le shifter par excellence, le pronom « je » ?). De là, il imagine les shifters (appelons ainsi, par extension, tous les opérateurs d’incertitude formés à même la langue : je, ici, maintenant, demain, lundi, Jean-Louis) comme autant de subversions sociales, concédées par la langue, mais combattues par la société, à laquelle ces fuites de subjectivité font peur et qu’elle colmate toujours en imposant de réduire la duplicité de l’opérateur (lundi, Jean-Louis), par le repère « objectif » d’une date (lundi 12 mars) ou d’un patronyme (Jean-Louis B.). Imagine-t-on la liberté et si l’on peut dire la fluidité amoureuse d’une collectivité qui ne parlerait que par prénoms et par shifters, chacun ne disant jamais que je, demain, là-bas, sans référer à quoi que ce soit de légal, et où le flou de la différence (seule manière d’en respecter la subtilité, la répercussion infinie) serait la valeur la plus précieuse de la langue ?

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