-- La figure dans le paysage (Paris 8) » AUbervilliers

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Rencontre surprise avec Thomas Hirschhorn et son laboratoire à Aubervilliers

Article publié le : Samedi 6 février 2010. Rédigé par : Junko Shiraishi

C’est au cours d’une promenade que nous avons visité un atelier d’artiste : Thomas Hirschhorn. Je l’ai connu dès son exposition aux Mains d’œuvres au mois d’octobre 2008, où il avait installé une grande sculpture intitulée Deleuze monument et a fait une conférence avec projections de vidéo par rapport à son travail. Mon but n’est pas de théoriser son travail artistique ici, mais d’entrer dans son atelier, le théâtre de sa création ou son laboratoire, afin de voir à travers des œuvres ou des esquisses ce qui fait que son art est si personnel.

Le sol de son atelier était jonchés de feuilles de papier, de coupures de journaux. Il y avait tellement de choses par terre qu’il était impossible de promener son regard sans rencontrer autre chose que cette couleur gris-blanc inondant toute la pièce. Chaque morceau de papier constituait une idée, un fragment de sa pensée sur son travail artistique et conceptuel. La particularité de cette sorte de laboratoire est que, bien que certains morceaux éparpillés ne soient pas encore partie intégrante de la totalité d’une œuvre en devenir. Lorsque nous pensons à ces deux termes «architecture» et «construction des idées», on pourrait dire qu’Architecture signifie idée construite comme matrice de la structure interne de la construction intellectuelle et concrète. C’est-à-dire, dans le lieu du chantier, faire l’architecture et faire la construction ne signifie pas la même chose. Du point de vue de l’architecture d’aujourd’hui, les éléments constituent une idée architectonique et les matériaux et travailleurs sur un chantier réalisent physiquement et réellement l’idée d’architecture. Ils sont quelques choses d’anonyme, et ils ne sont jamais mentionnés sur la face extérieure car le concept est en quelque sorte le premier moteur dans le temps en tant qu’élément premier mais il est aussi le principe interne s’actualisant dans l’union des différents matériaux. Le fait que Thomas Hirschhorn utilise souvent des rubans adhésifs comme ce qui fait lien entre les différents éléments de son travail illustre la fragilité de l’actualisation du concept en tant que premier principe. Dans le même ordre d’idée nous pouvons évoquer la statue modelée en utilisant des boues, mais  en tant que «des pensée ».

Junko Shiraischi

Dérive

Article publié le : Lundi 25 mai 2009. Rédigé par : Florence Wang

Départ du 104
C’est le début de la grève des Universités…
Dérive : expérience collective et solitaire à la fois
Ce jour là je m’enquis de me perdre
Rue Riquet
Une procession commence
Marche silencieuse
Marche cadencée et tonique
Les mâts des péniches amarrées comme un rideau, s’ouvrent sur le canal.
Nous franchisons un pont, sensation étrange de tremblement, écho du pas des autres. Traversées entre deux rives, ces vibrations résonnent en moi comme le commencement de l’experience collective, sur ce pont je marche à l’uni-onde avec le monde.
De la ville, les facades des immeubles laissent place à des bâtiments industriels.
Le gris prend le dessus et dans cette grisaille, je repère des points colorés de fluo orange que je retrouve sur le cochonnet des jeux de boule, sur un cycliste prudent, les  machines Catterpillars, le parapluie de Liliane…
TEM‘Toujours en Mouvement’ sur des camions
CLCF Conservatoire Libre du Cinéma Français,
CIU Cité Internationale Universitaire,
La table ‘Au goût du jour’
Longer les courbes du canal et voir que
La cheminée de la grande blanchisserie de Pantin crache des fumées blanchâtres.
Le bâtiment des grands moulins se vitrifie et devient le siège d’une banque.
A mesure que j’entre dans la marche, qu’une cadence régulière et rectiligne s’installe, je la brise en piétinant sur les pavés de couleur mauve uniquement.
Je retrouve alors le pas de l’écolière qui invente des règles d’une marche citadine, sur le chemin du retour de la classe en ne marchant point sur les lignes tracées au sol…
Je marche seule et cette dérive me ramène chez moi, à Aubervilliers : c’est déjà les 4 chemins. C’est ici que j’habite depuis trois ans.
Les 4 chemins, c’est mon New York à moi, en bas de chez moi.
Les 4 chemins c’est la croisée des mondes, un quartier qui me rappelle singulièrement Flusing Queens à New York. Les enseignes, les bâtiments, les boutiques où l’on trouve de tout et de rien, la diversité de la population.
La grande pharmacie où l’on vend des pillules qui partent comme des petits pains
Aux 4 chemins il y a toujours un vendeur qui propose des joujoux sur un draps, par terre, la bienheureuse boulangerie où l’on  trouve sandwich chaud ou croissant à 4 heures du matin,
Aux 4 chemins, il y a un cinéma qui diffuse des bollywoods non sous-titrés
Le supermarché chinois où l’on trouve des œufs au thé
En hiver des vendeuses africaines chantent le mais chaud
Les boucheries-rotisseries, kebab dès le matin soufflent leur parfums de viande grillée.
Près de la bouche de métro on trouve des fruits, du pop corn et  sur les quais en dessous, il y  a toujours ce monsieur indien qui vend des petits sachets de pralines. Je le reconnais à sa moustache et son manteau camoufflage
Les 4 chemins c’est toujours vivant, un quartier qui fonctionne 24h/24h.
Aux 4 chemins, chacun fait son nid, son business.
La dérive s’arrête ici, nous nous retrouvons dans un café et l’écriture commence. Puis, filtrée par le temps et tamisée par la mémoire, elle s’arrête ici sur cette phrase de Nicolas Bouvier, grand voyageur :
« on croit faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou défait. »

Ma situation en dérive

Article publié le : Dimanche 15 mars 2009. Rédigé par : Julie Barranger

Partis du champs 4, nous arrivâmes à 4 chemins à 4 pattes.
Anju Grossiste est un camion. (Des éléments surgissant au cours de notre pérégrination ponctuent mes impressions.)
Cash & curry ! le quartier indien n’est pas très loin. Trompe-l’oeil au mur, vrai mur au plafond : le ciel gris semble un drap posé sur les meubles d’une vieille maison abandonnée. Nous sommes les souris qui serpentent sous les armoires. Fumée de cigarette, parfum plus doux que son inhalation. Nous sommes ici sur la rive droite du canal. Rive droite de la rive droite de la Seine, on ne peut être plus l’Est. On m’a toujours prise pour une slave. Quartier Crimée, les cités les sandwicheries grecques, ce quartier où je craignais de m’aventurer autrefois. Je le fuyais, restant sur ma rive gauche côté Ourcq.  Froid et humide, je frissonne. L’architecture 70’s avec ses tours rétro-futuristes reste laide mais intéressante par tous les temps. Curieuse idée d’architecte que de construire des balcons en escalier inversé.-CRIPS- Machine à remonter le ciel ?
Nous empruntons une rue qui mène au canal ; des portes entrebâillées s’ouvrent sur des cours en désordre. Je reconnais le poste de police d’un immeuble où j’ai failli habiter. Les fenêtres de l’appartement donnaient directement sur celles de la police, sans autre alternative ! Fin d’interdiction. Le canal et ses bateaux.  Enfin nous sommes au bord de la mer. Ancre marine, cliquetis de chaîne, le bastingue : comptoir de quai,   et ligne droite jusqu’à l’infini. La péniche Abricadabra est toujours là : j’entends encore la voix d’Amélie et l’accordéon de Sophie s’ébrouer lors des concerts de la Toute Folle. Flonflon punk et froufrou cheap. Souvenir confit qui m’écœure un peu. Une enseigne affiche les mots dépôt vente brocante/contemporain. La juxtaposition de ces deux mots me laisse songeuse. Ainsi l’âge contemporain est-il déjà englouti par le passé ? Angoisse.  L’âge contemporain ne devrait pas vivre plus de 77 ans, comme les jeux de société !  Promenade Signoret Montand. Pas de feuilles mortes s’il vous plaît.

Nous ne ferons pas tourner la rotonde de Ledoux comme une toupie dans un flipper, nous traversons le pont suspendu échappant à la douane. J’aurais bien continué tout droit, bifurqué à droite pour arriver chez Yann, et échapper au froid, ou bien me réfugier dans les sièges rouges et profonds du MK2 devant une toile. Du haut du pont, je me retourne et j’aperçois encore un souvenir : les fenêtres de l’atelier, chez Christine où nous faisions du shiatsu danse et des impro-goûters l’an dernier.
Le nez rougi et les mains transies, je n’échappe pas à ma nostalgie accrue par l’anonymat de cette dérive. Je suis trop d’ici.
Du haut du pont qui bouge, on aperçoit toujours les moulins de pantin.
Rive gauche. Cet été y aura-t’il de nouveau des régates de planche à voile et de catamaran sur le canal devant les terrasses assoiffées du bar Ourcq, pour l’instant tristement fermé ?  Nous longeons le canal.
Les magasins généraux désormais habités par des étudiants et des artistes. Quelques immeubles abandonnés jouxtent la rue Colmar. Les trottoirs toujours sales ici sont arpentés par des gamins qui m’impressionnaient autrefois. Et je sens monter la mélancolie de plus en plus fort. C’est chez moi ici !! C’est mon quartier depuis que j’ai 6 ans !! Nous passons sous ce pont métallique qui ressemble à une cage où je rêvais de me suspendre. Puis le pont de la petite ceinture, ses voies ferrées désertées. De l’autre côté, chez Bryan B, dans son appartement ferry qui donne sur le canal avec sa terrasse où nous aimions siroter du rosé l’été. Cheminée d’usine. Ce coin est très étrange. Toujours plane une sensation-mystère quand je longe cette partie du canal. Je téléphone à ma grand-mère qui s’ennuie dans feu ma chambre non loin de là. « Allô Mamie !? Je pense bien fort à toi !! » Il fait trop froid. J’ai envie de hurler qu’ici c’est chez moi à tous ces promeneurs ignorants ! Je sais je connais ! J’y ai vécu ! Croyez-moi c’est triste à mourir ! Fuyez !
Le bassin de la Villette là où s’élargit le canal. Expansion de l’espace-temps. Souvenirs embrumés, nébuleuse d’une adolescence morne à traîner sous les ponts et le long du canal. Atmosphère atmosphère. À projeter ma vie en mieux, ma vie future sublimée. Voilà que j’ai rendez-vous avec moi à 15 ans lorsque je rêvais de moi maintenant. Que n’ai-je pas réalisé ? Et que n’avais-je jamais songé à réaliser et que j’ai pourtant inventé ?
La Villette. Je connais trop ce lieu. Pourtant je n’en ai pas exploré les bâtiments, les expositions, le musée des sciences. Il reste tant à approfondir. Je ne vois que la surface. Je ne peux me défaire de mon regard sur cet endroit. Aucune impression nouvelle n’arrive à recouvrir les anciennes. La promenade ne fait que réveiller des souvenirs hantés par mes bonheurs passés. Beaucoup de bons souvenirs ici : le dragon qui fume des joints, les batucadas survoltées, les concerts, les délires à tout casser, des rendez-vous amoureux, et quelques mélancolies aussi. Une satisfaction étrange, égoïste, personnelle s’empare de moi. La malice d’avoir cette longueur d’avance sur les autres. De déjà connaître les lieux. Je possède cet endroit, il m’appartient !! À moi ! Vous ne me le prendrez pas !

Nous passons sous l’énorme pont des maréchaux et du périphérique. Chantier. Je suis à la traîne avec quelques égarés. Mes pensées m’ont retardée ! Droite ou gauche ? Sur le point de s’égarer, je me rappelle que nous nous dirigeons vers Aubervilliers, et qu’il y avait un chemin qui continuait le long du canal. Il est bien caché par le chantier. Nous le retrouvons derrière un camion. Mes chers moulins, pourquoi avez-vous succombé au lifting ? Je suis triste de vous voir si transformés. Je rêvais de venir vous explorer, vous photographier lorsque vous étiez encore abandonnés. Désormais high-tech, je vous trouve repoussants. À côté fume encore la grande blanchisserie de Pantin. Sa fumée blanche efface les murs et se perd dans le blanc du ciel ! Le ciel est une fumée de cheminée.

Au carrefour du canal et de la mairie, je salue le CND que j’affectionne ! Il est très laid de dehors : béton super gris, austère à en

crever, c’est un ancien hôtel de police. Mais c’est le lieu de toutes les excentricités dansées !
Liliane Charlotte Karen et moi avançons désormais en terre inconnue, semées par le peloton de tête. Nous perdons Kim, qui reste accroché à son appareil photo. C’est fou !! J’ai vécu si près pendant des années, et je ne me suis jamais aventurée sur cette grand-route !! Enfin de l’inconnu ! je me réjouis et je vacille. J’ai perdu le pilotage de mon quartier, de mes souvenirs, alors que nous sommes encore si près de la porte de Pantin. Je ne sais pas où nous allons mais c’est la bonne direction.

Alors retraverser les voies

ferrées, observer la séduisante désolation. Le désert ferrailleux de rails tortueux qui se perdent au loin.

Un rond-point idiot qui trahit sa modernité contraste avec le vieil immeuble ouvrier grisâtre à un étage resté là à guetter. Le choc des époques modifie le visage des villes. Je pense à ces vieilles cartes postales du début du siècle et j’y vois un collage sauvage et mal intentionné de conquête moderne. L’urbanisme est réfléchi, certes, mais les matériaux criards dénaturent l’harmonie. Pourquoi n’y a-t-il pas de styliste chez les architectes ? Et puis marcher, marcher, marcher. Tout droit, croiser des commerces, des visages, des pensées diluées. Nous sommes perdues.

Arrivée à un grand carrefour : je reconnais l’intersection Aubervilliers 4 chemins !! C’est donc là ! J’étais déjà venue aux laboratoires. Une excitation m’envahit : celle de connecter enfin dans ma géographie intérieure des lieux que je connais, mais que je n’avais jamais reliés !

Un coup de fil des troupes : ils sont au café après la route. Repos bien mérité après dérive gelée, dans un de ces cafés populaires, où se retrouvent les immigrés. Nous envahissons le lieu, en s’appropriant toutes les tables. Penchés sur nos pupitres pour réécrire chacun notre parcours. Un homme accoudé au bar s’évertue à me faire des grimaces. Je me retiens de rire.

Julie Barranger