« Le spectacle du quotidien » (titre de la Biennale de Lyon)

-Souvenirs de notre première balade dans le Landy-

Sortis de l’atelier de Thomas Hirschhorn, nous nous sommes aventurés sous une passerelle d’immeuble. On regardait (un peu stupéfaits) ce paysage miséreux, ce village dans la ville en pleine mutation. Silencieusement, on a aussi observé cet homme qui sortait de chez lui, de sa « maison de fortune », pour promener son chien. C’est alors qu’Alien a dit : « Ici, une route va traverser sa maison. On va bientôt lui demander de prendre les quelques affaires qu’il a, pour raser son habitation et pouvoir y construire une route prévue dans le projet du Grand Paris.»

Dans les œuvres intitulées Cold Morning et One Day, découvertes à la Biennale de Lyon, le spectateur est directement confronté à ses propres comportements. Les artistes cherchent à nous faire prendre conscience du regard parfois compatissant mais souvent indifférent que nous portons sur ce genre de situation, sur ces vies en « chantier »…
La première œuvre est une vidéo réalisée par l’artiste Canadien Mark Lewis. Intitulée Cold Morning, cette caméra est posée dans la rue, comme si on avait oublié de l’éteindre. Un homme manifestement sans-abri plie une couverture, range quelques affaires, hésite à prendre un sac de nourriture offert par une passante. Deux pigeons se réchauffent sur une bouche de métro tandis que dans l’air glacial qui semble entourer le personnage, hommes, femmes, automobiles passent avec indifférence. Fin. Le film recommence…
Avec cette scène anonyme et malheureusement tellement quotidienne qu’elle en est devenue invisible, l’artiste construit dans Cold Morning , en un seul plan très court, une narration aussi puissante que banalisée : que fait l’homme dans cette rue, comment a-t-il échoué sous nos yeux, pourquoi refuse t-il l’aide proposée ? Mais en posant son œil-camera sur une scène (jouée ou trouvée peu importe…), l’artiste cherche surtout à interroger notre indifférence à l’égard du monde, de ce qui se passe sous nos yeux, qui devraient nous interpeller mais qui nous laisse pourtant insensibles…

Une autre œuvre, intitulée One Day, également exposée à la Biennale de Lyon cette année, propose une réflexion sur notre regard de citadins devenu aveugle. En automne 2006, l’artiste Lin Yilin se trouve en Chine, son pays d’origine, lorsqu’il croise une scène choquante, celle d’un jeune homme dont le poignet, menotté à la cheville, le contraint de marcher avec la plus grande difficulté. Il est suivi par un homme semblant être un policier en civil. La scène ne suscite aucune compassion de la part des passants alentour et rien n’obligeait le policier à imposer à cet homme (même en faute) une telle marque d’infamie. Saisissant à l’occasion d’explorer l’âme humain, Lin Yilin fait rejouer la scène à un acteur, cette fois sans présence policière. Une fois encore, personne ne lève la voix, ne demande qui est cet homme suivi par une camera, ou ne cherche à savoir pourquoi. Les intentions de l’artiste sont claires (et je terminerai sur ses mots explicites) : « J’espère seulement que le public songera à la situation de l’humanité. Ces absurdités se déroulent chaque jour sous nos yeux, et nous sommes tous à la fois acteurs et spectateurs de ces situations.»

Image extraite de One Day, 2006-2009.

Elsa.D