Des petites «citations» concernant la psychogéographie et la psychocartographie…

1.

«La rue conduit celui qui flâne vers un temps résolu. Pour lui, chaque rue est en pente, et mène, sinon vers les Mères, du moins dans un passé qui peut être d’autant plus envoûtant qu’il n’est pas son propre passé, son passé privé. Pourtant, ce passé demeure toujours le temps d’une enfance. Mais pourquoi celui de la vie qu’il a vécu? Ses pas éveillent un écho étonnant dans l’asphalte sur lequel il marche. La lumière du gaz qui tombe sur le carrelage éclaire d’une lumière équivoque ce double sol.» Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Cerf, 1989, p.434

«La principe de la ‘flânerie’ chez Proust: ‘Alors, bien en dehors de toutes ces préoccupations littéraires et ne s’y rattachant en rien, tout d’un coup un toit, un reflet de soleil sur une pierre, l’odeur d’un chemin me faisait arrêter par un plaisir particulier qu’ils me donnaient, et aussi parce qu’ils avaient l’air de cacher au-delà ce que je voyais, quelque chose qu’ils invitaient à venir prendre et malgré mes efforts je n’arrivais pas à découvrir.’ Du côté de chez Swann (I, Paris 1939, p.256) – Ce texte fait voir très clairement comment se décompose l’ancien sentiment romantique du paysage et apparaît une nouvelle conception du paysage qui semble être plutôt le paysage urbain, s’il est vrai que la ville est le terrain vraisemblablement sacré de la ‘flânerie’.» Ibid, p.439
2.

Psychogéographie : « Etude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. » Internationale situationniste, nº 1, 1958

3.

« La dérive [...] était exactement à la totalité ce que la psychanalyse (la bonne) est au langage. Laissez-vous aller au fils des mots, dit l’analyste. Il écoute, jusqu’au moment où il dénonce ou modifie (on peut dire détourne) un mot, une expression ou une définition. La dérive est bien une technique, et presque une thérapeutique. Mais comme l’analyse sans rien d’autre est presque toujours contre-indiquée, de même la dérive continuelle est un danger dans la mesure où l’individu avancé trop loin (non pas sans base, mais…) est menacé d’éclatement, de dissolution, de dissociation, de désintégration. Ivan Chtcheglov, 1964

4.

« En 1969, j’ai choisi, dans Paris, 12 lieux (des rues, des places, des carrefours, un passage), ou bien dans lesquels j’avais vécu, ou bien auxquels me rattachaient des souvenirs particuliers.

J’ai entrepris de faire, chaque mois, la description de deux de ces lieux. L’une de ces descriptions se fait sur le lieu même et se veut la plus neutre possible. [...] L’autre description se fait dans un endroit différent du lieu: je m’efforce alors de décrire le lieu de mémoire, et d’évoquer à son propos tous les souvenirs qui me viennent, soit des événements qui s’y sont déroulés, soit des gens que j’y ai rencontrés. A plusieurs reprises, je me suis fait accompagner sur les lieux que je décrivais par un ou une ami(e) photographe qui, soit librement, soit sur mes indications, a pris des photos que j’ai alors glissées, dans les regarder (à l’exception d’une seule) dans les enveloppes correspondantes; il m’est arrivé également de glisser dans ces enveloppes divers éléments susceptibles de faire plus tard office de témoignages, par exemple des tickets du métro, ou bien des tickets de consommation, ou des billets de cinéma, ou des prospectus, etc.

Je recommence chaque année ces descriptions en prenant soin, grâce à un algorithme auquel j’ai déjà fait allusion (bi-carré latin orthogonal, celui-ci étant d’ordre 12), premièrement, de décrire chacun de ces lieux en un mois différent de l’année, deuxièmement, de ne jamais décrire le même mois le même couple de lieux.

Cette entreprise, qui n’est pas sans rappeler dans son principe les «bombes du temps», durera donc douze ans, jusqu’à ce que tous les lieux aient été décrits deux fois douze dois. [...] j’ai en fait sauté l’année 73 et c’est donc seulement en 1981 que je serai en possession [...] des 288 textes issus de cette expérience, je saurai alors si elle en valait la peine : ce que j’en attends, en effet, n’est rien d’autre que la trace d’un tripe vieillissement : celui des lieux eux-mêmes, celui de mes souvenirs, et celui de mon écriture. » Les lieux (Travail en cours), George Perec, Espèces d’espaces,Galilée, 1974

5.

London and Robinson in Space. Réal. : Patrick Keiller. Avec la voix de Paul Scofield. Royaume Uni – 2x1h20 – 1993 & 1997

« Voir dans ces éléments du présent ce qu’a été le passé et ce que nous réserve peut-être le futur, tel est l’ambition de Robinson, universitaire et chercheur, et par là celui de Patrick Keiller. Il s’agit de jeter des ponts entre différents temps. La parole lie les plans qui se succèdent comme autant de sources d’idées. Ils portent la réflexion. Dans ces ballades au fil des rues londoniennes, des rives de la Tamise et des quais de grands ports industriels, nos promeneurs, toujours invisibles, hors du champ, appellent le jadis. [...] Leur évocation n’est cependant pas gratuite. Elle permet de mesurer combien est importante la part de la fiction dans le quotidien et le paysage britanniques; et combien ceux-ci ont été bouleversés par les décennies précédentes ». Manuel Merlet, le texte intégral, http://www.fluctuat.net/823-London-Robinson-dans-l-espace-Patrick-Keiller

6.

Jimmie Durham, Sie sind hier (You are here) (1989/2000)

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«…Alors maintenant, les cartes sont mystérieuses pour moi; elles concernent nulle part du monde sauf le lieu où se trouvent ces papiers mal pliés et dépliés par le vent. Tenter de lire une carte ressemble à tenter de lire la paume de quelqu’un, si tu n’es pas un gitan.

Mais au moins des cartes nous aident impeccablement à nous perdre.

Je ne parle pas (encore) l’allemand mais je lis des dictionnaires. Ils ressemblent aux cartes poétiques dans lesquelles on peut aller se perdre parfaitement dans le langage.

Et peut-être que ma carte-dictionnaire vous rappelle des histoires; et que dans laquelle vous vous trouverez déjà vous-même. Certainement, néanmoins, la carte est si mal dessinée que vous allez vous méfiez de ces histoires.» Jimmie Durham. Ma traduction.

7.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Carte de l’océan (extrait de Lewis Carroll, La Chasse au snark)

Nan LIU