Nicolas BOURRIAUD, Playlist_Le collectivisme artistique et la production de parcours, "Le catalogue PLAYLIST s'articule autour d'un texte théorique du commissaire Nicolas Bourriaud..." catalogue de l'exposition PLAYLIST, 2004, au Palais de Tokyo..._work in progress>tentative de lecture critique hypertextuelle sur le mode "coup de dés...": le texte reproduit ici l'est en tant que document de travail soumis à notre travail de glose contemporaine...
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00_Playlist_Le collectivisme artistique et la production de parcours

00_1.5
Playlist n'est pas une exposition thématique - si elle devait avoir un thème, ce serait l'art contemporain lui-même. Que les artistes réunis dans cette exposition présentent un certain nombre de traits communs est certes indéniable, mais on ne les trouvera pas sous la forme d'une thématique, d'une technique ou d'une source visuelle particulière, encore moins celle d'une "Identité" partagée. Les artistes fabriquent leurs papiers d'identité - quant aux autres, au mieux, ils ou elles sont d'habiles communicateurs de leur "culture" ou de leurs particularismes sexuels, nationaux ou psychologiques. Non, ce qui permet d'agréger au sein d'un même lieu des artistes poursuivant des buts et employant des méthodes si hétérogènes, c'est le fait qu'ils travaillent à partir d'une similaire intuition de l'espace mentai contemporain; qu'ils perçoivent la culture de ce début du vingt et unième siècle comme un champ chaotique infini dont l'artiste serait le navigateur par excellence. Tous et toutes arpentent le paysage effondré du modernisme du siècle passé, constatent le relâchement des tensions qui voûtaient son architecture, prennent acte de la disparition des anciennes figures du savoir.
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2.5
Avec des moyens divers, ils ou elles tentent de produire des oeuvres qui s'accordent à ce nouvel environnement, tout en révélant les figures et les matériaux à nos consciences encore modelées par l'ordre d'hier. Si on ne peut qu'esquisser la topologie de ce nouveau paysage mental, qui apparaît "gazeux" au regard du myope, on connaît en revanche la nature des ruines sur lesquelles il repose. Depuis le seizième siècle et l'avènement des Temps Modernes, la propagation du savoir et son accumulation imprimaient à la culture sa forme et son mouvement. Expansion horizontale à travers les voyages de découvertes invention des "humanités" et du bagage de connaissances de "l'honnête homme" lancé à l'assaut de la verticalité des bibliothèques... L'invention de l'imprimerie (1440-1450) va de pair avec l'apparition d'une nouvelle figure du savoir, l'érudit, incarné par Pic de la Mirandole, Léonard de Vinci ou "l'abîme de science" que devait devenir le géant rabelaisien.

Or, il est devenu impossible à un individu vivant en 2004 de réunir la totalité d'un savoir, même s'il passait autrefois pour spécialisé. Nous sommes désormais submergés d'informations dont la hiérarchisation ne nous est plus fournie par aucune instance à portée immédiate, bombardés de données s'accumulant à une cadence exponentielle et provenant de multiples foyers : expérience inédite dans l'histoire de l'humanité, la somme des produits culturels dépasse à la fois la capacité d'assimilation d'un individu et la durée d'une vie normale.
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3.5
La mondialisation des arts et des lettres, la prolifération des produits culturels et la mise a disposition des savoirs sur le réseau Internet, sans parler de l'érosion des valeurs et des hiérarchies issues du modernisme, créent les conditions objectives d'une situation inédite, que les artistes explorent - et dont leurs oeuvres nous rendent compte comme autant de feuilles de route. Le réseau Internet, où repose la quasi-totalité des savoirs disponibles, suggère une méthode (la navigation raisonnée, intuitive ou aléatoire) et fournit la métaphore absolue de l'état de la culture mondiale: un ruban liquide a la surface duquel il s'agit d'apprendre à piloter la pensée. Un principe, une méthode, semblent se dégager: cette capacité de navigation dans le savoir est en passe de devenir la faculté dominante pour l'intellectuel ou l'artiste. Reliant entre eux les signes, produisant des itinéraires dans l'espace socio-culturel ou dans l'histoire de l'art, l'artiste du vingt-et-unième siècle est un semionaute.

La " feuille de route" pourrait ainsi être l'emblème de Playlist, tout comme la carte géographique fut celle de ma précédente exposition, GNS - Global Navgation System. Il s'agit d'ailleurs d'un objet qui présente les mêmes caractéristiques que la carte d'état-major, tous deux provenant d'une collecte d'informations préalable, tous deux permettant d'évoluer et de se diriger dans un espace donné.
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4.5
La liste d'artistes aurait d'ailleurs pu être a peu près la même, a ceci près que ceux qui figuraient dans GNS, de John Menick a Pia Rônicke, pratiquent une topocritique visant à décrire et analyser les espaces dans lesquels se déroulent nos vies quotidiennes, tandis que Playlist réunit des navigateurs de la culture, qui prennent comme univers de référence celui des formes ou de la production imaginaire. Affaire de degrés. Par delà son champ d'application, cette méthode (la production de formes par collecte d'informations) utilisée plus ou moins consciemment aujourd'hui par de nombreux artistes, témoigne d'une préoccupation dominante affirmer l'art comme une activité permettant de se diriger, de s'orienter, dans un monde de plus en plus numérisé. L'usage du monde, à travers l'usage des oeuvres du passé et de la production culturelle en général, tel pourrait être encore le schéma directeur des travaux présentés dans cette exposition.

Dans la préparation de Playlist, mon essai Postnroduction fonctionne comme une base scénarique, ou plutôt comme un livret, dans le sens que l'on donne a ce terme pour un opéra. Je ne peux faire mieux qu'en reprendre quelques lignes concernant cette notion de culture de l'usage des formes: "devenant génératrice de comportements et de réemplois potentiels, l'art vient contredire la culture 'passive', opposant des marchandises et leurs consommateurs, en faisant fonctionner les formes à l'intérieur desquelles se déroulent notre existence quotidienne et les objets culturels proposés a notre appréciation.
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5.5
"Et si la création artistique pouvait aujourd'hui se comparer a un sport collectif, loin de la mythologie classique de l'effort solitaire? "Ce sont les regardeurs qui font les tableaux", disait Marcel Duchamp: c'est là une phrase incompréhensible si l'on ne la rapporte pas à l'intuition géniale de l'émergence d'une culture de l'usage, pour laquelle le sens naît d'une collaboration, d'une négociation entre l'artiste et celui qui vient la regarder. Pourquoi le sens d'une oeuvre ne proviendrait-il pas de l'usage qu'on en fait, autant que du sens que lui donne l'artiste?
Tel est le sens de ce que l'on pourrait se hasarder a nommer un communisme formel."

Autre hypothèse: ce que l'on nomme "art d'appropriation" n'est-il pas au contraire un acte d'abolition de la propriété des formes? Le DJ est la figure populaire concrète de ce collectivisme, un praticien pour lequel l'œuvre-accolée-à-sa-signature ne forme rien d'autre qu'un point dans une longue ligne sinueuse de retraitements, de trafics, de bricolages. Emprunté au vocabulaire du DJ ou du programmateur, le terme de playlist designe généralement la liste des morceaux "à jouer".
C'est une cartographie de données culturelles, mais aussi une prescription ouverte, un parcours empruntable (et indéfiniment modifiable) par d'autres.
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00_Le Palais de Tokyo-Site de création contemporaine,
aile gauche du Palais de Tokyo (vue de la Seine), Paris, France
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01_Art global ou art du capitalisme

01_1.8
"La culture, c'est la règle l'art, c'est l'exception", rappelait a toutes fins utiles Jean-Luc Godard. Allant dans le même sens, on pourrait désigner comme artistique toute activité de formation et de transformation de la culture. Formation et transformation: Si l'abus du terme "critique" peut facilement agacer, l'artiste contemporain n'entretient pas avec sa culture nationale (ou régionale) de rapports de complaisance. Il existe néanmoins une fracture largement passée sous silence au sein du monde de l'art "globalisé" qui relève moins d'une différence culturelle que des degrés de développement économique. L'écart qui existe encore entre le "centre" et la "périphérie" ne sépare pas des cultures traditionnelles de cultures réformées par le modernisme, mais des systèmes économiques à différentes étapes de leur évolution vers le capitalisme global. Tous les pays ne sont pas sortis de "l'industrialisme" pour accéder à ce que le sociologue Manuel Castells qualifie d'"informationnalisme", c'est-à-dire une économie où la valeur suprême est l'information, "créée, stockée, extraite, traitée et transmise en langage numérique." >> Manuel Castells, La société en réseaux. L'ère de l'information, Fayard, paris, 1998, p. 52
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Une société dans laquelle ce qui change, poursuit-il "ce ne sont pas les activités dans lesquelles l'humanité est engagée, mais sa capacité technologique a utlliser comme force productive directe ce qui falt la singularité de notre espèce: son aptitude supérieure à manier les symboles. (id. p.181) "

Si l'on accepte l'idée que l'économie occidentale est post-industrielle, c'est-à-dire centrée sur l'industrie du service, le retraitement des matières premières provenant de la "périphérie", la gestion de l'interhumain et de l'information, on peut imaginer que la pratique artistique s'en trouve transformée. C'est en tout cas l'hypothèse qu'explore l'exposition Playlist. Mais qu'en est-il pour les artistes vivant dans des sociétés industrielles, voire pré-industrielles? Peut-on réellement croire que tous les imaginaires naissent aujourd'hui libres et égaux?

Rares sont les artistes provenant de pays "périphériques"ayant réussi a intégrer le système central de l'art contemporain en continuant à résider dans leur pays d'origine: s'extrayant de tout déterminisme culturel par des actes de réenracinements successifs, des personnalités brillantes comme Rirkrit Tiravanija, Sooja Kim ou Pascale Marthine Tayou ne réussissent à traiter les signes de leur culture locale que depuis le "centre" économique - et ce n'est pas un hasard, ou une simple décision opportuniste de leur part.
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Il existe bien entendu quelques exceptions, des allers et retours, mais l'import-export des formes ne semble véritablement fonctionner qu'au coeur même du circuit global. Car qu'est-ce qu'une économie globale? Une économie capable de fonctionner à l'échelle planétaire, en temps réel.

Accélérée et étendue depuis la chute du mur de Berlin en 1989 (année de l'exposition Les Magiciens de la terre, considérée comme l'origine de la mondialisation artistique), l'unification de l'économie mondiale a mécaniquement entraîné une spectaculaire uniformisation des cultures. Présenté comme l'avènement d'un "multiculturalisme", ce phénomène s'avère cependant politique avant tout: l'art contemporain s'accorde progressivement au mouvement de la globalisation, qui standardise les structures économiques et financières tout en faisant de la diversité des formes le reflet inversé, mais exact, de cette uniformité. Telle une peinture d'Arcimboldo ou une installation de Jason Rhoades ou Thomas Hirschhorn, le monde contemporain se structure d'une manière d'autant plus implacable que l'on ne peut déchiffrer son image que comme une anamorphose, un dessin apparemment abstralt que l'oeil nu ne peut saisir - mais que l'art a pour fonction de déployer.
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La globalisation est économique. Point. L'art ne fait qu'en suivre les contours, car il est l'écho, plus ou moins lointain, des processus de production - et donc des formes symboliques de la propriété, comme nous le verrons plus loin. Il serait ici facile de nous faire un mauvais procès: précisons donc que, loin de constituer un simple miroir où l'époque se reconnaîtrait, l'art ne procède pas par imitation des procédés et des modes contemporains, mais selon un jeu complexe de résonances et de résistances qui tantôt l'approche de la réalité concrète, tantôt l'en éloigne vers des formes abstraites ou archaïques. S'il ne suffit pas d'utiliser des machines, le vocabulaire de la pub ou le langage binaire pour être contemporain, avouons aussi que l'acte de peindre n'a pas aujourd'hui le même sens qu'à l'époque où cette discipline artistique s'accordait au monde du travail telle une roue dentée dans un mécanisme d'horlogerie. Que cela ne soit plus le cas n'empêche en rien la peinture de continuer à exister: nier ce renversement, en revanche, entache la peinture de nullité. L'art rend compte de l'évolution des processus productifs dans leur globalité, des contradictions entre les pratiques, des tensions entre l'image qu'une époque se fait d'elle-même et ce qu'elle projette réellement.
Et à une époque où les représentations s'interposent entre les gens et leur vie quotidienne, ou entre les êtres humains eux-mêmes, rien de plus normal que l'art s'éloigne parfois de la représentation pour devenir une partie de la réalité en soi.
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Karl Marx expliqualt que l'Histoire, mouvement d'interactions et d'interdépendances croissantes des individus et des groupes qui constituent l'humanité, avait pour destin logique de devenir universelle. L'art "global" et le multiculturalisme reflètent ce nouveau stade du processus historique auquel nous avons accédé depuis la chute du mur de Berlin, sans toutefois toujours lui trouver une réponse adéquate et pertinente. Car le monde de l'art se voit aujourd'hui dominé par une sorte d'idéologie diffuse, le multiculturalisme, qui prétend en quelque sorte résoudre le problème de la fin du modernisme du point de vue quantitatif: puisque de plus en plus de "spécificités culturelles" acquièrent de la visibilité et de la considération, cela signifierait que nous serions sur le bon chemin. Puisqu'une nouvelle version de l'internationalisme prendrait le relais de l'universalisme moderniste, les acquis de la modernité seraient préservés. C'est là en tout cas le plaidoyer de Charles Taylor, théoricien de la "politique de reconnaissance" (Multiculturalismes. Différences et démocratie, champs, flammarion, Paris 1994), qui considère comme un "besoin humaln vital" cette "dignité" accordée aux minorités culturelles dans une communauté nationale. Mais ce qui est valable aux États-Unis ne l'est pas forcément ailleurs: est-on certain que les cultures chinoises ou indiennes constituent des "minorités" promptes à se satisfaire qu'on les reconnaisse poliment? Comment conciller la valorisation des cultures "périphériques" et les codes (ou les valeurs) de l'art contemporain? Le fait que celui-ci représente effectivement une construction historique occidentale, ce que personne ne songe à mettre en doute, signifie-t-il qu'il faille réhabiliter la tradition?
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Le multiculturalisme artistique résout le problème en ne tranchant pas: il se présente ainsi comme une idéologie de la domination de la langue universelle ocoidentale sur des cultures qui ne sont valorisées que dans la mesure où elles s'avèrent tvpiques, donc porteuses en soi d'une "différence" assimilable par ce langage international. Dans l'espace idéologique "multiculturel", un bon artiste non occidental se doit ainsi de témoigner de son "identité culturelle", comme si il ou elle la portait comme un tatouage indélébile. L'artiste se présente donc d'emblée comme aliéné par son contexte, créant une opposition spontanée entre l'artiste des pays "périphériques" (pour qui il suffirait de présenter sa différence) et l'artiste du "centre" (qui se doit de manifester une distance critique vis-a-vis des principes et des formats de sa culture mondialisée). Ce phénomène porte un nom la rélfication. Dans l'idéologie multiculturaliste, un artiste ghanéen ou vietnamien a le devoir implicite de faire image à partir de sa supposée "différence" et de l'histoire de son pays; et si possible à partir des codes et standards occidentaux, par exemple la vidéo qui représente aujourd'hul la "green card" parfaite pour le marché occidental, une sorte de "mise a niveau" par la technologie.
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Le multiculturalisme se présente ainsi comme une idéologie de la naturalisation de la culture de l'Autre. C'est aussi l'Autre comme supposée "nature", comme réservoir de différences exotiques, par opposition à la culture américaine perçue comme "mondialisée", synonyme d'universelle. Or l'artiste reflète moins sa culture que le mode de production de la sphère économique (et donc, politique) au sein de laquelle il évolue.

L'apparition d'un "art contemporain" en Corée du Sud, en Chine ou en Afrique du Sud reflète l'état de coopération d'une nation avec le processus de la mondialisation économique, et l'entrée de leurs ressortissants sur la scène artistique internationale se déduit directement des bouleversements politiques qui s'y sont déroulés.

Pour prendre un exemple inverse, l'importance prise par la performance ou le happening dans les pays de l'ex-bloc soviétique depuis les années soixante témoigne a la fois de l'impossibilité d'y faire circuler des objets, des vertus politiques de l'action cathartique et de la nécessité de ne pas laisser de traces dans un contexte idéologique hostile. Comment ne pas voir que l'art contemporain est avant tout contemporain de l'économie qui l'environne ?

Il faudrait par ailleurs être bien naïfs pour croire en une oeuvre d'art "contemporaine" qui serait l'expression "naturelle" de la culture dont son auteur est issu, comme si la culture constituait un univers indépendant et clos sur lui-même ou au contraire, suffisamment cynique pour promouvoir l'idée de l'artiste comme "bon sauvage" de sa langue natale, porteur d'une différence spontanée car pas encore contaminé par le colon blanc. C'est-à-dire par le modernisme.
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Il existe néanmoins une alternative à cette vision "globalisée"de l'art contemporain: cette alternative affirme qu'il n'existe pas de biotopes culturels purs, mais des traditions et des spécificités culturelles traversées par cette mondialisation de l'économie. Pour paraphraser Nietzsche, il n'y a pas de faits culturels, mais des interprétations de ces faits.

Ce que l'on pourrait nommer l'interculturalisme se base sur un double dialogue: celui que l'artiste entretient avec sa tradition, auquel s'adjoint un dialogue entre cette tradition et l'ensemble de valeurs esthétiques héritées de l'art moderne qui fondent le débat artistique international. Les artistes interculturalistes importants aujourd'hui, de Rirkrit Tiravanija à Navin Rawanchaikul, de Pascale Marthine Tayou à Subodh Gupta, de Heri Dono à Sooja Kim, arc-boutent leur vocabulaire sur la matrice moderniste et relisent l'histoire des avant-gardes à la lumière de leur environnement visuel et intellectuel spécifique. La qualité du travail d'un artiste dépend de la richesse de ses rapports au monde, et ceux-ci sont déterminés par la structure économique qui les formate avec plus ou moins de puissance - même si, fort heureusement, chaque artiste possède en théorie les moyens de s'en évader ou de s'en extraire.
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02_Art d'appropriation ou communisme formel

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En 2004, Bertrand Lavier "refait" à l'aide de tubes de néon une peinture de Franxk Stella; Bruno Peinado, trois expansions de César, John Armleder une peinture dans le style de Larry Poons, ou Jonathan Monx la version cinématographique d'une édition de Sol LeWitt. Renvoyant à des oeuvres précédentes, celles que je viens d'énumérer ne relèvent pourtant pas d'un "art de la citation".

Pratiquer la citation, c'est en appeler à l'autorité: en se mesurant au maltre, l'artiste se positionne dans une lignée historique par laquelle il légitime tout d'abord sa propre position, mais aussi, tacitement, une vision de la culture pour laquelle les signes "appartiennent" sans équivoque à un auteur (l'artiste x ou y), auquel le travail présent renvoie d'une manière ironique, agressive ou admirative. Dans les toiles de Julian Schnabel des années quatre-vingt, la "citation " se réduisait d'ailleurs parfois à l'écriture d'un nom propre. En induisant l'emprunt, le vol ou la restitution des signes à leur "auteur", elle naturalise l'idéologie de la propriété privée des formes, par le simple fait qu'elle tisse un lien indissoluble entre celles-ci et l'autorité d'une signature individuelle ou collective.
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Rien de tel dans l'attitude des artistes précités, de John Armleder à Jonathan Monk. Leur relation à l'histoire de l'art n'implique pas une idéologie de la propriété des signes, mais une culture de l'usage des formes et de leur mise en commun, pour laquelle l'histoire de l'art constitue un répertoire de formes, de postures et d'images, une boîte à outils où chaque artiste est en mesure de puiser. Pour le dire autrement, un équipement collectif que chacun serait libre d'utiliser selon ses besoins personnels.

Il n'est pas anodin que cette vision "collectiviste" de l'art apparaisse au moment du triomphe planétaire du modèle économique libéral, comme si le refoulé de ce système se concentrait dans l'univers des formes, y disposant d'un espace pour préserver des éléments menacés et élaborer des anticorps...

Le développement souterrain d'une culture collectiviste sur Internet, depuis les freewares informatiques (le système Linux) au téléchargement sauvage de morceaux de musique ou de films, mais aussi l'importance stratégique prise par le débat sur le copyright artistique ou le droit de reproduction des oeuvres, signalent la formation d'un territoire interstitiel, qui n'est pas régi par la loi dominante.
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Ce qui semble le plus difficile à comprendre pour un historien d'art coupé des pratiques contemporaines, c'est que cette culture de l'usage des formes dissout les relations imaginaires liant autrefois les emprunts à leurs sources, les "originaux" et les "copies". Elle témoigne au contraire d'un imaginaire à la fois chaotique et collectiviste où les parcours entre les signes et le protocole de leur utilisation importent davantage que les signes eux-mêmes. Si chacun peut constater que l'imaginaire des sociétés postindustrielles est hanté par les figures du retraitement, du recyclage et de l'usage, cet imaginaire se traduit dans le discours de l'art contemporain par le terme d'art d'appropriation.

Depuis le début des années quatre-vingt, "Appropriation art" est ainsi le terme le plus souvent utilisé, du moins en anglais, pour qualifier des pratiques artistiques basées sur la mise en scène d'une oeuvre ou d'un produit préexistants. Ces pratiques ne datent évidemment pas d'hier, et au-delà de l'usage d'oeuvres d'art, la notion d'art d'appropriation sert à qualifier l'ensemble des pratiques dérivées du readymade de Marcel Duchamp.
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Lorsque ce dernier élabore en 1913 une oeuvre intitulée Roue de bicyclette, constituée d'une roue de vélo juchée sur un tabouret, il ne fait que reporter dans la sphère de l'art le processus capitaliste de production. Tout d'abord, il abandonne les outils traditionnels de l'art (le pinceau, la toile), qui représentent dans la production artistique l'équivalent des conditions de travail préindustrielles.

Avec Duchamp, l'art entérine le principe général du capitalisme moderne: il ne travaille plus en transformant manuellement une matière inerte. L'artiste devient le premier consommateur de la production collective, une force de travail venant se connecter sur tel ou tel gisement de formes: il est certes soumis au régime général, mais néanmoins libre de disposer de son espace et de son temps, à la différence de l'ouvrier obligé de "brancher" sa force de travail sur un dispositif de production existant en dehors de lui et sur lequel il n'a aucune prise.

Dans L'idéolosie Allemande, Karl Marx décrit la coupure qui s'est opérée à la naissance du capitalisme comme un passage des "instruments de production naturels" (dans le travail de la terre, par exemple) aux "instruments de production créés par la civilisation". Le capitalisme pourrait ainsi se décrire comme un premier stade dans la minoration de la matière première. En art, le capital est un mélange de labeur accumulé (les oeuvres d'art et les produits de consommation) et d'instruments de production (l'ensemble des outils disponibles à un moment donné pour produlre des formes).
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02_Art d'appropriation ou communisme formel

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Ce qul apparaît étonnant, c'est que notre lecture de l'histoire de l'art s'arc-boute sur la notion d'"appropriation", c'est-à-dire en prenant comme fait accompli que l'utilisation d'une oeuvre d'art ou d'un objet manufacturé entraîne automatiquement son changement de propriétaire. Duohamp se serait approprié le porte-bouteilles en lui inventant une "nouvelle définition" et en le signant. Or cette théorie, popularisée par une version historiciste de l'art du vingtième siècle qui classait les artistes en fonction de la "nouveauté" dont ils étaient les inventeurs, entre totalement en contradiction avec l'attitude adoptée par Duchamp vis-à-vis de ses propres readymades: jamais il ne fit la moindre aliusion, dans ses textes ou dans les entretiens qul leur sont liés, à la notion de "propriété". En effet, comment concilier une vision de l'artiste comme "propriétaire" avec le concept de "beauté d'indifférence" auquel Duchamp n'a cessé de se référer? "L'indifférence" duchampienne traduit un certain mépris pour toute possession, fût-elle symbolique, que confirme l'ensemble de son travail (et son dédain réitéré pour la forme matérielle de ses readymades).
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Une note de Marcel Duchamp, pour une oeuvre jamais réalisée, souligne encore davantage sa vision collectiviste de l'activité artistique, et le rôle très circonstanciel qu'il accordait à la signature: "acheter ou peindre des tableaux connus ou pas connus et les signer du nom d'un peintre connu ou pas connu - la difference entre la "facture" et le nom inattendu pour les "experts", - est l'oeuvre authentique de Rrose Sélavy (Marcel Duchamp, Notes, Flammario, Paris, 1999, p.105) et défie les contrefaçons.

Duchamp développe ici une problématique de l'écart (la "différence") existant entre le style et le nom, l'objet et son contexte culturel et social. Rien de plus étranger au fétichisme de la signature inhérent au concept d'appropriation que cette esthétique des rapports entre les choses et les signes dont témoignent les readymades.

Dans la pensée duchampienne, l'art commence dans cette zone "inframince" par laquelle le signe se décolle de ce qu'il est supposé signifier, dans le "jeu" ménagé entre le nom de l'artiste et l'objet qui le manifeste. À l'inverse, la relation de propriété s'avère tristement univoque: l'objet possédé, ou que l'on s'approprie, devient l'expression pure et simple de son possesseur, son double dans l'ordre juridique et économique.
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02_Art d'appropriation ou communisme formel

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Le mouvement anticopyright ("Copyleft"), dont l'internet représente à la fois le modèle et l'outil privilégié, lutte pour l'abolition du droit de propriété des oeuvres de l'esprit, aboutissement logique de la fin des Temps Modernes. Comme l'éorit le groupe d'activistes réunis sous le nom de Critical Art Ensemble (http://www.freescape.eu.org)), "avant le Siècle des Lumières, le plagiat participait a la diffusion des idées. Un poète angiais pouvait prendre et traduire un sonnet de Pétrarque et se l'attribuer. La pratique était tout à fait acceptable et en accord avec l'esthétique classique de l'art comme imitation. La valeur réelle de cette activité résidait moins dans le renforcement d'une esthétique classique que dans la diffusion d'oeuvres vers des régions qu'elles n'auraient pu atteindre autrement."

Dans Pour une critique de l'économie nolitioue du signe, (Gallimard, Paris, 1972) Jean Baudrillard explique que "dans un monde qui est le reflet d'un ordre", la création artistique "ne se propose que de décrire". L'oeuvre d'art, poursuit-il, "se veut le commentaire perpétuel d'un texte donné, et toutes les copies qui s'en inspirent sont justifiées comme reflet multiplié d'un ordre dont l'original est de toute façon transcendant. Autrement dit, la question de l'authenticité ne se pose pas, et l'oeuvre d'art n'est pas menacée par son double".

Les conditions de signification de l'oeuvre d'art ont par la suite radicalement changé, puisqu'il s'agit de "préserver l'authenticité du signe", combat dans lequel la signature prend le role qu'on lui sait.
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02_Art d'appropriation ou communisme formel

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L'organisation de l'art autour de la signature de l'artiste, gage du contenu et de l'authenticité de son discours, ne prend son plein essor qu'à la fin du dix-huitième siècle, au moment où se déploie le système capitaliste manufacturier: l'artiste lui-même va devenir la valeur monnayable centrale du système de l'art, adapter ses principes de travail sur le monde des échanges et son rôle, se rapprocher de celui du négociant, dont le travail consiste à déplacer un produit d'un lieu de fabrication vers un lieu de vente. Que fait Duchamp avec ses readymades? Il déplace le porte-bouteilles d'un point à un autre de la carte de l'économie - depuis la sphère de la production industrielle jusqu'à celle de cette consommation spécialisée, l'art.

En utilisant comme "moyen de production" l'ensemble de l'industrie humaine, Duchamp travaille à partir du travail accumulé par les autres. Or la globalisation de la culture a considérablement étendu le champ de ces prodults utilisables: le capital artistique n'a jamais été aussi important, l'artiste jamais été en contact avec un tel potentiel de travail accumulé. L'art de ce début du vingt-et-unième siècle porte la marque de ce bouleversement. Puisque l'artiste est devenu un consommateur de la production collective, le matériau de son travail peut désormais provenir de l'extérieur, d'un objet qui n'appartient pas à son univers mental personnel mais, par exemple, à d'autres cultures que la sienne. L'imaginaire contemporain est déterritorialisé, à l'image de la production globale.
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03_Esthétique de la "réplique": la défétichisation de l'art

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Comme le souligne le Critical Art Ensemble, "Si l'industrie ne peut plus s'appuyer sur le spectacle de l'originalité et de l'unicité pour différencier ses prodults, sa rentabilité s'écroule. C'est à ce pilier de l'économie capitaliste que s'attaquent les artistes dont il est ici question: leurs oeuvres sont désormais moins l'expression d'un style reconnaissable que d'une longueur d'ondes particulière dont le regardeur s'efforcera de suivre les modulations. La pratique artistique d'un Richard Prince, d'un Bertrand Lavier, d'un John Armleder ou d'un Allen Ruppersberg, pour ne citer que des artistes précurseurs de cette évolution, consiste à inventer des modes de codage et des protocoles d'usage pour des signes, pas à fabriquer des objets.

Ces pratiques hypercapitalistes reposent sur l'idée d'un art sans matière première, qui s'appuie sur le déjà-produit, "les objets d'ores et déjà socialisés", pour reprendre l'expression de Franck Scurti. Parfois même, l'acte de re-montrer ne se distingue pas de celui de re-faire - la différence est insignifiante, comme dans le travail de Jacques André, qui montre dans une exposition personnelle des oeuvres d'autres artistes (une pièce de Jacques Lizène, par exemple), une frise mettant en scène des livres ou des disques récemment acquis, aux côtés d'une pile de livres de Jerry Rubin (DoIt) dont il a rassemblé tous les exemplaires disponibles à Bruxelles.
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03_Esthétique de la "réplique": la défétichisation de l'art

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Fabriquer, concevoir, consommer: autant de facettes d'une même activité dont l'exposition est le réceptacle temporaire. Lorsque Dave Muller organise l'un de ses "three-day weekend", exposition-événement récurrent pour lequel il invite différents artistes, il ne change pas de statut au profit de celui de curator: travailler avec les signes émis par d'autres constitue la forme même de son travail d'artiste. L'iconographie de ses dessins provient d'ailleurs de matériaux para-artistiques (cartons d'invitation, publicités, lieux d'exposition...) mettant en scène des esthétiques hétérogènes unifiées par le réalisme de son trait.

Les dessins de Sam Durant mêlent, quant à eux, Neil Young et Robert Smithson, les Rolling Stones et l'art conceptuel, dans le cadre d'une archéologie critique de l'avant-garde. Les instaliations de Carol Bove explorent la même période historique, ces années 65-75 pendant lesquelles expérimentation artistique et expériences sur la vie quotidienne allaient de pair et atténuaient la différence entre "haute culture"et culture populaire à travers les utopies hippies.

C'est d'ailleurs l'univers musical qui nous fournit, aujourd'hui encore, un modèle opératoire. Lorsqu'un musicien utilise un sample, lorsqu'un DJ mixe des disques, ils savent que leur propre travail pourra à son tour être repris et servir de matériau de base pour de nouvelles opérations.
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À l'ère numérique, le morceau, l'oeuvre, le film, le livre, sont des points sur une ligne mouvante, les éléments d'une chaîne de signes dont la signification dépend de la position qu'ils y occupent. Ainsi, l'oeuvre d'art contemporaine ne se définit-elle plus comme la terminaison du processus créatif, mais comme une interface, un générateur d'activités.

L'artiste bricole à partir de la production générale, évolue sur des réseaux de signes, insérant ses propres formes dans des chaînages existants. Un long texte d'Allen Ginsberg, Howl, forme ainsi la matière même de The Singing Posters (2003), oeuvre dans laquelle Allen Ruppersberg opère par transcodage, métamorphosant en une installation complexe l'écriture du poète de la Beat Generation. La "longueur d'ondes"n d'une oeuvre, quelle qu'elle soit, peut se transférer d'un medium à un autre, d'un format à un autre: la pensée plastique à l'ère numérique.

Sur quel principe, quel jeu de notions, quelle vision de la culture se fondent ces pratiques de réécriture, d'utilisation d'oeuvres existantes? S'agit-il d'un art de la copie, de l'appropriation? Nous l'avons vu, l'époque affirme au contraire le besoin d'un collectivisme culturel, d'une mise en commun des ressources, qui se manifeste, au-delà de l'art, dans toutes les pratiques issues de la culture Internet.
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S'agirait-il d'une esthétique cynique, pour laquelle le pillage serait le maître-mot? Ou encore du symptôme d'une amnésie généralisée qui s'étendrait à l'histoire de l'art?

À l'inverse, lorsque Sam Durant reproduit en douze exemplaires l'image d'une oeuvre éphémère de Robert Smithson (Unside Down : Pastoral Scene, 2002), la source apparaît clairement. Lorsque Jonathan Monk "adapte" Robert Barry ou Sol LeWitt, le référent n'est pas moins nettement affiché. La citation n'est plus un enjeu - pas plus que la "nouveauté" chère aux nostalgiques du modernisme.

Cette esthétique serait incompréhensible si l'on ne la rapportait pas à une évolution générale des problématiques artistiques qui se déplacent de l'espace vers le temps; les artistes envisagent de plus en plus leur travail d'un point de vue temporel, et non plus strictement spatial (Nicolas Bourriaud, Formes de vie, , une généalogie de la modernité, réédition 2003" avec un troisième chapitre "l'oeuvre comme événement" et Esthétique relationnelle, Presses du réel, 1998).

Là encore, l'évolution de l'économie mondiale nous fournit un modèle de compréhension de ce phénomène: la dématérialisation de l'économie, que l'américain Jeremy Rifkin a décrit par la formule de "l'âge de l'accès", se résume à une progressive dévaluation de la propriété (L'âge de l'accès, la révolution de la nouvelle économie, la découverte, Paris, 2000). Quand un acheteur fait l'acquisition d'un objet, explique-t-il, sa relation avec le vendeur est de courte durée. Au contraire, dans le cas d'une location, le rapport avec le prestataire est permanent. Incorporé dans toutes sortes de réseaux commerciaux et d'engagements financiers (location, leasing, concession, droits d'admission, d'adhésion ou d'abonnement), le consommateur voit sa vie toute entière devenir marchandise.
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Selon Jeremy Rifkin, "l'échange de biens entre vendeurs et acheteurs - caractéristique centrale de l'économie de marché moderne - est remplacé par un système d'accès à court terme opérant entre des serveurs et des clients organisés en réseaux". En termes esthétiques, c'est le mode acquisitif qui se meurt, remplacé par une pratique généralisée de l'accès à l'expérience, dont l'objet n'est plus qu'un moyen. C'est là une évolution logique du système capitaliste: le pouvoir, jadis basé sur la propriété foncière (l'espace), s'est lentement déplacé vers le capital pur (le temps, à l'intérieur duquel l'argent "travaille").

Qu'est-ce qu'une copie, une reprise, un remake, à l'intérieur d'une culture (au sens anglosaxon du terme) qui valorise le temps au détriment de l'espace? La répétition, dans le temps, se nomme une reprise ou une réplique. C'est ce dernier terme qui sert à qualifier le ou les tremblements de terre qui suivent le séisme originel. Ces secousses, plus ou moins atténuées, éloignées et identiques à la première, appartiennent à celle-ci sans toutefois la répéter, ni constituer des entités qui en seraient séparées.

L'art de la postproduction, dans le cadre général de cette culture de l'usage que cette exposition tente de mettre à jour, relève de cette notion de réplique: l'oeuvre d'art est un événement qui constitue la réplique d'une autre ou d'un objet préexistant; éloignée dans le temps de "l'original" auquel elle est liée, cette oeuvre appartient toutefois à la même chaîne d'événements.
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Elle se situe sur l'exacte "longueur d'ondes" du séisme originel, nous amenant à renouer avec l'énergie dont elle est issue, tout en diluant celle-ci dans le temps, c'est-à-dire en lui ôtant son caractêre de fétiche historique. Utiliser les oeuvres du passé comme le font Bertrand Lavier, Bruno Peinado ou Sam Durant, c'est réactiver une énergie, affirmer l'activité des matériaux que l'on retraite.

C'est également participer à la défétichisation de l'oeuvre d'art: le caractère déllbérément transitoire de l'oeuvre d'art n'est pas affirmé dans sa forme, celle-ci est parfois durable et solide, et il ne s'agit plus d'affirmer une quelconque immatérialité de l'oeuvre d'art quarante ans après l'art conceptuel.

La "défétichisation" de l'art ne concerne en rien son statut d'objet: les marchandises-vedettes de notre temps n'en sont d'ailleurs pas, comme le rappelle Jeremy Rifkin. Non, ce caractère transitoire et instable est représenté dans les oeuvres contemporaines par le statut qu'elles revendiquent dans la ohaine culturelle: un statut d'événement, ou de réplique d'événements passés.
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