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Le livre comme oeuvre d’art, le site internet comme oeuvre d’art, la monade comme référence.

introduction 13-12-05


Il s’agit de refaire une tentative de ré-installer le site internet comme oeuvre d’art, à la manière de Germano Celant qui, en 1972, avait instauré le genre du livre d’artiste par son article “Le livre comme oeuvre d’art”, construit sur un corpus théorique et artistique daté (1960-1972). Le travail d’écriture des mémoires de recherche avec internet qu’on a qualifié de mise en“boîte-en-valise”participe de cette tentative de réhabilitation du site internet, lieu d'une pratique du texte-image en ligne certes, mais “noble”, éloigné du blog de base.

Préalablement à l’adoption du modèle que constitue le texte de Celant (constitution dialectique d’un corpus théorique et artistique), on ira voir du côté de chez Deleuze, une théorie ‘joyeuse’ de l’oeuvre d’art de la fin des années 80, dans le libre jeu du concept, du percept, et de l’affect qui a précédé la période historique des sites internet artistiques, et on s’attachera à l’étude des avancées théoriques paysagères sur la notion de site d’Anne Cauquelin.

Germano Celant, “Le livre comme oeuvre d’art, 1960-1972 ” (texte en format PDF)

Pour l’heure, nous poserons ici le texte intégral, ouvert à l’analyse méthodologique des processus textuels de patrimonialisation d’un objet nouveau apparu dans le monde de l’art contemporain, le livre d’artiste. Travail mené par Germano Celant ‘en temps réel’ : découverte de l’objet émergent (1960), et contribution à lui faire acquérir un statut de minorité artistique digne d’être étudiée, au moment où il atteint une espèce de qualité spécifique stabilisée (1972). Par la grâce de ce texte final de définition précise de l’objet étudié qui fait et fera désormais ‘jurisprudence’ (terme cher à Deleuze) : Le livre comme oeuvre d’art, 1972, le livre d’artiste entrera à part entière dans l’histoire de l’art, aux côtés d’autres genres artistiques minoritaires. Après cela, d’autres théoriciens et esthéticiens pourront paraphraser pour magnifier l’objet. Pour le livre d’artiste, Anne Moeglin écrira un énorme pavé intitulé Esthétique du livre d’artiste, où elle tordra les catégories, la chronologie de Germano Celant, à ses propres fins de théoricienne. On y associera des formes vulgaires du livre objet. Ceci est un autre objet d’étude et de cas méthodologique.


Théorie de l’art selon Deleuze, 1988, rue de Bizerte, l’abécédaire revisité
Idées

Créer, c’est avoir une idée. Un philosophe crée des concepts. Un artiste crée une idée.
Il faut distinguer trois dimensions, trois choses, si fortes qu’elles se mélangent tout le temps
Il y a des concepts, les concepts qui sont l’invention de la philosophie et puis il y a les percepts, et ça c’est le domaine de l’art.
Alors qu’est-ce que c’est les percepts. Je crois qu’un artiste c’est quelqu’un qui crée des percepts. Pourquoi employer un mot bizarre, plutôt que perceptions, et bien justement parce que les percepts ne sont pas des perceptions.
1:15:20 Que veut un écrivain, un romancier, un homme de lettres. Il veut arriver à construire des ensembles de perceptions ou de sensations qui survivent à ceux qui les éprouvent et que c’est ça un percept : un ensemble de perceptions ou de sensations qui survit à celui qui les éprouve.
Décrire la chaleur dans la steppe chez Tolstoi, un peintre y arriverait à peine, c’est tout un complexe de sensations : essayer de donner à ce complexe de sensations, une indépendance radicale par rapport à celui qui l’éprouvait. Les grands romanciers décrivent des atmosphères. Thomas Wolf dit dans ces nouvelles, quelqu’un sort le matin, il sent un air frais, lui arrive une odeur de pain grillé, un oiseau passe dans le ciel, il y a un complexe de sensations. Qu’est-ce que ça devient quand est mort celui qui l’éprouve ou quand il fait autre chose. Qu’est-ce que ça devient ? ça me paraît être la question de l’art. L’art donne une réponse à ça. Donner une durée ou une éternité à ce complexe de sensations qui n’est plus saisi comme étant éprouvé par quelqu’un ou à la rigueur qui va être saisi comme étant éprouvé par un personnage de roman, c’est-à-dire par un personnage fictif. C’est ça qui engendrera la fiction. Et qu’est-ce que fait un peintre, Il ne fait pas que ça. Mais un peintre donne consistance à des percepts. Il arrache aux perceptions des percepts. Les impressionnistes tordent la perception. Un concept philosophique, à la lettre, ça fend le crâne. C’est une habitude de penser qui est nouvelle. Un percept, ça tord les nerfs. Les impressionnistes inventent du percept. Cézanne parle de rendre l’impressionisme durable. Le motif n’a pas encore acquis son indépendance. Le percept doit acquérir une indépendance plus grande....
Il y a une troisième chose. Ce sont les affects.
Les affects : Il n’y a pas de percepts sans affects.
Les affects sont des devenirs qui débordent celui qui passe par eux, qui excèdent les forces de celui qui passe par eux. Est-ce que la musique ne serait pas la grande créatrice d’affect.

Les trois sont liés. Si tu prends un concept philosophique, simplement, ce sont plus des questions d’accent. Un concept philosophique, il fait voir des choses. Les philosophes ont un côté voyant. Spinoza... Ce sont des lanceurs d’affects fantastiques. Il y a une musique de ces philosophies-là. Inversement, la musique fait voir des choses très étranges.
Je rêverai d’une circulation les uns dans les autres, des concepts philosophiques, des percepts picturaux, des affects musicaux. Ce sont des travaux de genre complètement différents, mais qui ne cessent pas de se pénétrer.
idée de la raison, idée de la perception, idée de l’affection. Chez Spinoza, textes chargés d’affect.

Résistance
Dès qu’on crée, on résiste. Un artiste crée des percepts esthétiques. Un des motifs de l’art et de la pensée, c’est une certaine honte d’être un homme. C’est Primo Levi qui l’a dit le plus profondément; ça ne veut pas dire que nous sommes tous coupables par exemple devant le nazisme. On ne me fera pas confondre le bourreau et la victime; ça ne veut pas dire on est tous compromise? C’est un sentiment complexe, ça veut dire plusieurs choses, comment des hommes, d’autres que moi, ont-ils pu faire ça, ? Comment moi, j’ai quand même pactisé, assez pour survivre ? Et une certaine honte d’avoir survécu. À la base de l’art, il y a cette idée ou ce sentiment très vif d’une certaine honte d’être un homme, qui fait que l’art ça consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonnée. L’homme ne cesse pas d’emprisonner la vie, de tuer la vie.

L’artiste, c’est celui qui libère une vie puissante, plus que personnelle, pas sa vie.
C’est une libération de la vie. Qu’est-ce que c’est qu’un grand personnage de roman, ce n’est pas un personnage emprunté au réel, même gonflé par l’imagination de l’écrivain. Ce sont des puissances de vie fantastique. Un personnage de roman a intégré en lui en lui des mondes, c’est une espèce de géant. C’est une exagération par rapport à la vie. L’art est producteur de ces exagérations. C’est pas leur seule existence que c’est déjà de la résistance.
Écrire, c’est écrire pour les animaux, pas à leur intention, mais à leur place, c’est libérer la vie des prisons. C’est ça résister. Il n’y a pas d’art qui ne soit une libération de puissance de vie. Il n’y a pas d’art de la mort. Primo Levi a suicidé sa vie personnelle. Quand je parle de la honte d’être un homme, ce n’est pas au sens grandiose de Primo Levi. Dans notre vie quotidienne, on a des petites hontes à être un homme devant une personne vulgaire.
Résister à la bêtise. La philosophie empêche la bêtise, comme les arts s’opposent à la vulgarité. C’est l’informatique qui va créer des concepts, la publicité, les concepts de l’ordinateur, ça fait rire....

Est-ce que Félix, Foucault, toi, vous formez des réseaux de concepts comme des réseaux de résistance, comme une machine de guerre contre une pensée dominante, contre des lieux communs.
Il n’y a que le régime des réseaux, des complicités qui peut résister : le romantisme est un réseau, le dadaïsme, c’est un réseau. La fonction du réseau, c’est de résister et de créer. Je voudrai être imperceptible, je veux faire mon travail, qu’on ne fasse pas perdre de temps, être imperceptible, j’aime voir un petit nombre de gens, des rapports imperceptibles avec des gens imperceptibles, c’est ce qu’il y a de plus beau au monde. On est tous des molécules, un réseau moléculaire.

Un
La philosophie n’a rien à voir avec l’universel. Les universaux de contemplation, (les idées avec un grand I, les universaux de réflexion, les universaux de communication (Habermas). On définit la philosophie ou bien comme contemplation ou bien comme réflexion ou bien comme communication. Dans les trois cas, c’est franchement bouffon. L’art n’est pas communicatif, l’art n’est pas réflexif, ni contemplatif. Il est créatif.


Les avancées théoriques paysagères d’Anne Cauquelin
Livre, site et jardin

Le site internet est proche du livre.

Toute une terminologie est reprise, j’ai déjà amorcé une étude restée inachevée... la page, le mode hypertextuel qui renvoie à la pratique de la citation et des notes de bas de page, un maniement des images analogiques photo et vidéo et des textes qui joue sur la confusion ancestrale lisible-visible et la réactive. L’analyse qu’on essaie de mener ici aura peut-être des répercussions sur l’analyse du livre d’artiste. Il sera intéressant de reprendre le texte de Celant ensuite, à la lumière de ce qu’on aura trouver par une autre voie. Et aussi comment l’entreprise de préparer un mémoire de recherche avec internet peut contribuer à élaborer une théorie du site internet comme oeuvre d’art.
Pour rester dans le livre, l’article d’Anne Cauquelin “Parler des notes de bas de page” enclenche la problématique du site et du non site : “Pour rester dans les hypothèses spatiales, je dirai qu'avec ces citations et ces notes de bas de page, il en est un peu comme avec le land-art: la dialectique du site et du non-site. Qui voit quoi? Si ce n'est pas le texte qui vous dit: "va voir les notes", ce sont les notes qui vous disent: "ce n'est pas moi qui suis en cause, c'est le texte, puisque c'est lui qui m'appelle". Mais le texte lui-même vous envoie aux notes. C'est le jeu de site/non-site. Où est le site, dans cette histoire-là? Lequel est-ce, c'est toujours celui qui n'est pas là.” ou de l’emboîtement de l’espace architectural.

Le site est un espace de troisième type :

Anne Cauquelin, dans Le site et le paysage, l’isole dans les tableaux des Annonciations de la Renaissance : “de l'espace architecturé, de l'emboîtement. Dans le retrait du lieu, ces constructions réaffirment ce que le lieu a pour vocation de contester. Un troisième espace apparaît, né de la dialectique de l'espace et du lieu: c'est le site, qui se nourrit des deux spatialités qu'il nie. Le site est donc en rapport avec le lieu, ce lieu fait de mémoire dont nous entretiennent les chorographes, mais aussi avec l'espace, partageable et mesurable de la physique.

Le jardin est aussi un espace de troisième type

Anne Cauquelin reprend dans son Petit traité du jardin ordinaire la problématique de l’espace de troisième type appliquée au jardin qui devrait étayer l’idée du site internet comme oeuvre d’art.
Le jardin “en retrait de l’architecture, comme le site, bien qu’il en fasse partie... est pris dans unelogique d’emboîtement. ... Il accueille la dimension du temps.
Le texte que nous reprenons ici va nous ramener par double effet de feedback au site des tableaux d’Annonciation et au site internet de manière encore plus claire.

”comme le site, le jardin entretient un rapport complexe avec la carte et sa structure stratifiée. Mesurer chaque espace, analyser le sous-sol, commenter les opérations faites et à faire, indiquer les formes végétales et animales qui fréquentent le jardin, établir un calendrier d’actions... Comme le site, dont il reprend la structure, le jardin détourne l’amateur d’une vision par trop contemplative, et propose une action, un voyage dans son enclos... car s’il ne se laisse pas facilement dévisager de loin et d’un seul coup, il agit cependant à la manière du site en provoquant à la promenade.
C’est que le jardin est construit selon un plan, il a sa carte... Une nuance cependant : à la différence du site, le voyage proposé ne s’étend pas aux limites de l’enclos.
Alors que le site domine une vaste région sur laquelle il affirme sa supériorité et qu’il incite à aller explorer, le voyage que propose le jardin ne dépasse pas ses propres limites, celles-là mêmes qui rendent possible le parcours. Mais, loin de se réduire à une “petite forme”, sorte de site en réduction, cette contrainte imposée rend la logique du jardin plus riche, plus complexe, plus paradoxale encore.
On peut dire du jardin, tout comme on le dit du site... il allie deux déterminations contraires, deux orientations -intérieur et extérieur- dans l’ambiguïté d’une double appartenance.