Art Conceptuel, ce n’est pas évident…

Un fragment du souvenir, une mélodie, une couleur. Pas de l’image, mais l’imaginaire. Le temps d’une chanson de Régine Cirotteau dans l’exposition In&Out à Synesthésie, nous ouvre une porte virtuelle vers des moments de la perte.
Pour réactiver et refaire ces moments chez des participants avec un récit double (la narration originelle et la parole qui l’interprète), pour collecter les désirs obscurs cachés en nous qui se manifestent dans le récit, pour employer une certaine couleur comme un classificateur de l’histoire, l’artiste appuie son œuvre sur le web comme un dispositif de l’assemblage et une interface du partage des souvenirs donnés. Sachant que dans «un siècle du divan du psychanalyste» (1) qui «légitime» le narcissisme et l’individualisme, qui « soulage du besoin de rationaliser les événements »(2) , le web est un divan virtuel dans ce sens qui réalise «la simulation technologique de la conscience» de l’homme .

«Je me souviens avoir traversé The Death Valley en compagnie de Norman. D’après dune, on se croyait dans un road movie de série B. La voiture était une tenue approximative, nos paroles délirantes, bien enlevées, amplifiaient le climat des vielles fantômes, des lacs salés, sans doute emprisonnés». C’est le souvenir teinté de «Vert miraculeux» de Cirotteau Régine dans sa discothèque des souvenirs. Ici, la puissance de la narration est plus forte que celle de l’image parce que ce qu’il atteint n’est pas notre perception mais notre conscience, et parce que l’absence de l’image nous permet de reconstituer une image alternative selon le récit mais au gré de nous-même, autrement dit, ce qui compte n’est plus l’image originelle mais notre interprétation imaginaire. En revanche, la mélodie et la parole de la chanson que l’artiste attribue à l’histoire nourrissent notre interprétation d’une manière sensorielle. Même si on ne peut pas l’entendre directement dans cette discothèque en raison du droit d’auteur, on arrive à la «récupérer» grâce au Web 2.0! En dépit du fait que c’est un projet qui a «peu ou pas d’avenir» comme l’a dit Anne-Marie Morice a dit, l’artiste trouvait finalement un dispositif juste pour amplifier le projet et pour contourner le droit d’auteur qui concerne une réalisation du projet dans le cadre muséal.

En fait, Le temps d’une chanson me rappelle Douleur exquise (1984-2003) de Sophie Calle, Portraits filmés (2002) de Valérie Mréjen, et Ma collection de proverbes (1974) de Annette Messager, des œuvres narratives qui ont mis en scène la résonance ou la dissolution potentielles entre l’image et le récit, qui se situent «between gallery and book, between ‘visual art’ and ‘theory’, between ‘image’ and ‘narrative’» (3), qui sont «’work’ providing world between reader and text»(4). Mais Régine Cirotteau poursuit la recherche tout en recouvrant au médium virtuel dans le contexte de «médiaculture» pour effectuer une œuvre in progress. Il semble que le processus de la création et la manière de réaliser le projet comptent plus que le contenu et la forme ultime chez cette œuvre. Dans ce sens, Le temps d’une chanson pourrait être une pratique artistique de l’Art Conceptuel? Nan Liu

(1) MARCHALL, Mcluhan, Pour comprendre les média , tra., Édition Seuil, Paris, 1968, p.23
(2) Ibid., p.21
(3) BURGIN Victor, Between(Photographs), New York : Basil Blackwell, 1986
(4) Ibid.

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