Habiter l’histoire

Will Wright conçoit un jeu basé sur la réalité, la sociologie et le comportement humain. Il étudie comment les machines et l’intelligence artificielle peuvent influencer les êtres humains, et comment les robots nous permettent ainsi de nous définir. Il invente Les Sims, le jeu vidéo le plus vendu de tous les temps. Dans Les Sims, le joueur fabrique une histoire à partir d’éléments programmés (personnages, accessoires, décors…). Il commence sa partie avec un espace vierge, similaire à celui de la carte de La Chasse au Snark de Lewis Carroll, placé dès la première page du livre Espèces d’espaces de Georges Perec. Il décide de l’emplacement de sa maison dans un quartier. Les jeux vidéo de gestion comme Les Sims ne sont pas limités temporellement ; c’est le joueur lui-même qui limite sa durée dans l’œuvre. Il peut donc jouer à un jeu dont le temps d’exploration et d’exploitation tend vers une durée sans limite.

La romancière Chloé Delaume, avec son projet Corpus Simsi, habite littéralement le jeu Les Sims. Elle s’est composée un skin et s’est dédoublée en un petit personnage qu’elle observe et manipule parmi les autres Sims. Son avatar, dont elle dit qu’il est pire que les autres, est « soumis à des règles différentes de celles du monde réel, face auxquelles la fiction n’est peut-être pas aussi souveraine qu’elle y parait. Actions préprogrammées et fatum, bugs et clinamens, boucles et ritournelles : autant de similitudes entre les deux univers, autant de failles où s’engouffrer. » Le double de Chloé Delaume s’introduit dans le jeu pour observer toutes les histoires émergentes, celles-ci deviennent matière à l’écriture d’un journal, d’un roman, et à la mise en scène de performances, un projet « qui se décline en versions, à l’instar de celles que présentent les logiciels » .

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