Dispositif d’attention et cinéma réactionnel

smithson

Robert Smithson, Museum of the Void, 1969.

Robert Smithson dans A Cinematic Atopia (1) imagine une salle de cinéma transformée en un vaisseau immobile souterrain où l’espèce humaine vient s’oublier dans la contemplation d’un monde de substitution. Il souhaite construire une salle de cinéma dans une caverne ou une mine abandonnée, filmer l’opération de construction et projeter ce seul film dans la caverne. Robert Smithson dans son essai Entropy And the New Monuments compare la salle de cinéma à une machine à conditionner les esprits. “Le confinement du corps à l’intérieur de ces boîtes obscures conditionne indirectement l’esprit. Même l’endroit où l’on achète son billet s’appelle box-office”(2). Selon Smithson, les spectateurs feraient “un trou dans leur propre vie.”(3) Il explique que le cinéma nous détache de nous-même en nous inventant un destin pareil à celui du narrateur de l’Invention de Morel, le roman de Bioy Casarès qui coule ses derniers jours au sein d’un univers intégralement filmique et dont le corps s’en va peu à peu en lambeaux.

Or malgré les critiques des salles de cinéma émises par Smithson, le cinématographe  permet de par son dispositif, de proposer au spectateur un espace de concentration, ou de perception pendant un certain temps. Cet espace qui peut être considéré comme une perte de temps peut aussi être un moyen de se retrouver seul, seul face au film parmis d’autres téléspectateurs. Dans La fin de la solitude, William Deresiewicz émet l’hypothèse qu’Internet suscite une connexion permanente et une impossible solitude (ou isolement). L’internaute est incité à manifester sa présence en réagissant face aux multiples signaux qui émanent de ses terminaux. On ne compte plus le nombre de messages écrits et oraux qu’il reçoit et envoie chaque jour. Il devient un être hypercommuniquant dont le comportement serait à rapprocher des insectes membracides d’Amazonie (4).

membracites

Le “demi-diable Centrotus cornutus in copula…(photo P.Falatico)

Comme l’explique William Deresiewicz  si l’appareil photo et la caméra suscitent un culte de la célébrité, l’ordinateur et la numérisation ont lancé le culte de la connexion généralisée des choses et des êtres, “la grande terreur contemporaine serait d’être anonyme. […] Nous ne vivons que dans notre relation aux autres, et la solitude ou l’idée de solitude disparait progressivement de nos vies.”

(1) Robert Smithson. “A cinematic atopia.” Artforum, v. 10, no. 1 (September 1971), p. 53-55.

(2) “The physical confinement of the dark box-like room indirectly conditions the mind. Even the place where you buy your ticket is called a “box-office.”Robert Smithson, Entropy And The New Monuments. http://www.robertsmithson.com/essays/entropy_and.htm

(3) “To spend time in a movie house is to make a “hole” in one’s life.” Robert Smithson, Entropy And The New Monuments.

(4)  Danièle Boone explique que les membracides, insectes qui font vibrer les plantes et qui se servent de leurs excroissances pour percevoir les messages, “échangent sans cesse des signaux avec les autres individus en permanent interaction avec son milieu, mais la multitude des signaux échangés à des distance variables produit aussi une rumeur ambiante dont le signal pourrait être brouillé ou se brouiller.”

Comments are closed.