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Jacques JOUET : Si les tags et autres bombages sont un ornement de la ville..., page 110
L’Architecture aujourd’hui, Ornement, mars-avril 2001, 333, Jean-Michel Place

Le titre emprunte à John Cage "Si un bruit te gêne, écoute-le"
Si un tag te gêne, regarde-le
Si les tags et autres bombages
sont un ornement de la ville...

Lecture de l'article commentée entre [crochets];
"Les graffitis sont là, même s'ils sont parfois tellement là qu'on ne les voit plus."


"RAPIDITE
Le graff est une écriture mouvementée. Le geste calligraphique, mouvement de gauche à droite dans nos écritures occidentales, est présent. [Mais les graffeurs] passent souvent par l'esquisse, qui est un entraînement à la vitesse, puis par le traçage au pinceau, coloration et détail. L'élément de vitesse et de correction impossible, qui intervenait dans la peinture à la fresque pour cause de pénétration de la couleur dans un mortier frais, est présent dans le graff pour d'autres raisons :peinture clandestine, illégale.

SUPPORT
... le choix du lieu à 'orner' est un choix à contraintes fortes. [entre bâtiment isolé ou lieu de prestige]. L'absence de risque rendra la performance moins glorieuse. Et puis il faut que le graphe soit vu, non le graffeur en action... le graffeur est un peintre ultra-léger... d'où le mur de 2m de hauteur (la taille d'un homme le bras levé), traité de haut en bas et sur la plus grande largeur. Le graff est une peinture à hauteur d'homme,[mais l'homme peut être un "spiderman"] mais étirée comme un train. Le train est, d'ailleurs un support qui a l'avantage de s'exposer de façon itinérante [ïdem pour le camion].
LE GRAFF EST AUSSI VU DU TRAIN [sur un ou d'autres trains, cela devient un exercice de lecture de strip de bande dessinée dynamique, vu dans un phénomène de double défilement soit parallèle dans la même direction, avec les aléas de la différence de vitesse des trains allant dans la même direction, ou dans un phénomène de croisement. On peut faire le test sur les lignes de RER et trains de banlieue, s'y ajoutent encore les taggs inscrits le long des murs des voies de chemins de fer].
Le souvenir du strip de la bande dessinée n'est pas étranger non plus à la préférence pour ce genre de format allongé latéralement. [la vision-travelling du voyageur de RER]. C'est aussi le mouvement normal de bien des écritures: la ligne comme un horizon, un paysage, un panorama.
Que le support ait lui-même gardé la trace de séparation régulières (fers de murs, joints entre deux panneaux industriels...) contribue à la structuration du graff: une lettre monumentale casée entre deux limites. La mesure du graff (son système rythmique) est empruntée à l'originalité du support.
Parfois, le support est rempli dans sa totalité:
[LES FIGURES DU TRAIN sont le 'top-to bottom', un 'end to end', un 'whole car', un 'whole train des deux côtés' qui sera plus accompli qu'un graff respectant la transparence des fenêtres. Surface du support se confond avec surface de la surface peinte [peinture de chevalet et ou all over]
Qaund la hauteur d'un bâtiment interdit son traitement complet [ou c'est un choix du graffeur, une figure] : le graff forme une sorte de SOCLE COLORE QUI RONGE LE MUR A SA BASE ET QUI NE DEMANDE QU'A SE PROPAGER.[Il le fait parfois]. L'effet visuel est très différent, plus agressif, à l'égard de l'architecture [exemple des ouvrages d'art pour le TGV sud] Celle-ci peut aussi rendre le graff UN PEU DERISOIRE, accentue sa PRECARITE.

VISIBILITE
Le graff est une peinture en vitesse, mais ce n'est pas une peinture légère [alors qu'il est dit plus haut que le le graffeur est un 'peintre ultra-léger'], sauf peut-être dans le tag originel, au trait, économe de couleur, ou dans le pochoir,qui tous deux demandent de l'espace de fond sur lequel se détacher [le tag perdure à côté du graff et a-t-il besoin d'un espace de fond?] Les grands aplats de chrome avec lignes noires ou ombrage sombre sont un cas de figure dans lequel le caractère monumental est exacerbé par l'épure. Ce serait là la 'ligne claire' de l'art graffiti. Dans les tunnels du métron le TAG est au trait blanc sur fond noir. A l'opposé, les couleurs à profusion.

LECTURE
On a parlé de ligne de lecture [les graffs sont souvent illisibles pour les non-initiés, il y a la même difficulté pour porter un jugement de qualité, si l'on ne pratique pas]. Il serait plus précis de partir du mot et d'y demeurer. Le texte du graff est souvent un mot unique, un sigle, un nom de groupe ou d'individu qu'on pourrait dire totémique. [totem au sens de 2. (1833). Représentation de l'espèce ou de la chose choisie pour totem, qui sert d'emblème protecteur du clan.] Le mot qui est choisi pour le graff est comme un de ces 'mots premiers' ('divisibles' seulement par eux-mêmes et par l'unité), comme dit Marcel Duchamp. Il est en général à consonance américaine [exemple?]. Je songe à un poème de François Le Lionnais : 'Poème composé d'un seul mot' (c'est le titre), FENOUIL (c'est le poème).
Ce mot est destiné à être multiplié, comme l'affiche publicitaire [n'observe pas les codes de lisibilité typographiques 'billboard' de la publicité] . Le regard doit le retrouver. Le regard doit le reconnaître. C'est une PEINTURE REPETITIVE. Il est rarissime de trouver une phrase lisible pour son sens développé, comme: 'On a eu des bombes à Noêl'. Miss TIC et ses pochoirs fait exception.
D'une certaine façon, l'oeuvre plastique (le tableau) est réduite à la signature de l'artiste, à son monogramme, pourrait-on dire, tant la 'calligraffie' (sic) cherche à transformer le mot en signe global unique, exécuté d'un seul geste complexe, parfois en dépassant allègrement la limite de la lisibilité.

SUPERPOSITION

Le GRAFF n'est pas là pour respecter l'architecture (pour la critique non plus, même s'il le fait souvent au bout du compte). Il n'est pas là pour respecter non plus les autres graffs. Il est le LIEU DE CONFLITS TOUS AZIMUTS, conflit marqué par les recouvrements, les ajouts, les confrontations explosives.
Les limites de l'oeuvre n'ont rien à voir avec celles du tableau classique délimité par son format, son cadre et du vide autour sur la cimaise. Les graffs se marchent les uns sur les autres.

ORNEMENT?
Si le tag est un ornement, c'est un ornement qui ne demande pas l'avis de la chose ornée: la rue, le bâtiment, le véhicule... encore moins celui des propriétaires ou des usagers. C'est un ornement sauvage, éventuellement avec le sens positif que donnait au mot GAUGUIN. Ornement' peut s'entendre aussi comme le lierre sur l'arbre: c'est un rapport de parasitisme: le parasite, animal ou végétal, porte préjudice à son hôte sans le détruire. C'est mieux que la prédation (l'un détruit l'autre), puisque la vie commune est possible, au moins un temps. C'est différent du commensalisme (l'un profite de l'autre sans lui porter tort ni bénéfice). C'est différent de la symbiose: le rapport est profitable aux deux. Entre les TAGS et le paysage urbain, la relation est-elle de (dé)prédation, de parasitisme, de commensalisme ou de symbiose? Je n'avais pas l'intention d'en décider, mais d'examiner les formes.

Jacques JOUET est écrivain, membre de l'OUvroir de LIttérature POtentielle (OULIPO).