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L'entretien avec Alexandre POLLAZON, en images et textes

[Le filmage de l'entretien, la retranscription
, la réalisation des quicktimes del'entretien, ci-dessus, ont été faits par Nathalie FERRIER, Alexandra GARNIER, Géraldine GAY, Laurence MOYER, Gabriel FERNANDES.]

GHAZEL au Palais de Tokyo — Entretien avec Alexandre POLLAZON (free curator), printemps 2002
Retranscription :

Alexandre POLLAZON_ Cette vidéo, (on va en parler en particulier) c’est la suite d’un travail qui a été mis en place en 1997 lorsque vous étiez à Montpellier. Vous êtes d’origine iranienne et vous avez reçu une lettre d’expulsion du gouvernement français. En fait votre carte de séjour était temporaire, arrivée à expiration, donc vous ne pouviez plus rester sur le sol français et on vous demandait de retourner en Iran où vous êtes née.
En fait on ne peut pas évoquer votre travail sans parler de votre vie personnelle et de celle de votre pays d’origine. En effet les images, les performances que vous mettez en place répondent et affrontent certaines réalités sociales et politiques, quelles soient du monde iranien ou du monde occidental.
Vous nourrissez votre travail de ces expériences. Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce qui s’est passé en Iran durant cette période et comment est né ce travail en particulier ?

GHAZEL_ C’est un travail qui est né après cet avis d’expulsion donc, c’était une façon, (c’était) ma réaction face à cette expulsion, qui me disait de partir de (la) France dans 15 jours et comme je travaillais toujours sur le thème du déracinement : maison, valises et tout ça… en fait j’étais face à une réalité qui était beaucoup plus dure que ce dont je parlais, de quelque chose de plus nostalgique. Et en fait ma réaction a été de faire des tracts. Donc le premier tract, je l’ai commencé à 30 ans en 1997 et ça a continué jusqu’à ce que j’ai une situation un peu plus stable donc SPF (sans papier fixe). J’ai pu m’inscrire comme étudiante à la fac, donc avoir des papiers en tant qu’étudiante. Et j’ai commencé tout ce travail avec des tracts et sur internet et bon maintenant sur vidéo aussi qui en fait était une recherche de mariage blanc. Donc c’était pour trouver un moyen de rester en France.

Alexandre POLLAZON_ En fait c’est une réaction à cette situation mais est-ce que vous vouliez vraiment trouver un mari ?

GHAZEL_ Je ne voulais pas vraiment trouver un mari parce qu’on m’avait déjà proposé ça, je ne voulais pas tricher entre guillemets pour avoir des papiers. Enfin j’avais déjà triché en restant comme étudiante pour rien… mais je ne voulais pas tricher comme ça et me marier. J’avais même pris le nom de famille d’un de mes amis : Saurel , qui voulait me marier. Mais c’était une réaction parce que c’est l’histoire de beaucoup de gens dans beaucoup de pays et que, quelque part l’actualité m’avait rattrapé. Je me suis trouvée dans la situation (où j’étais complètement), où j’avais très, très peur pendant les 15 jours parce que je pensais vraiment que j’allais être expulsée et j’ai vraiment eu de la chance.
Donc c’était vraiment une réaction en tant qu’artiste. Je peux quand même parler de cette réalité qui est la réalité de beaucoup de gens, ici et ailleurs, dans beaucoup de pays.

Alexandre POLLAZON_ Et ces tracts, vous les avez distribué dans la rue ?

GHAZEL_Au début j’ai commencé par la distribution et l’affichage dans la rue et petit à petit j’ai visé plus mon public. J'ai fait distribué par des hommes, par exemple en Suède c’était un suédois qui distribuait mes tracts. Je suis allée vers les milieux d’art, bien qu’au début j’avais commencé partout et sur internet, c’était sur un site d’art et sur des sites " normaux ". Et après j’ai visé le public et j’ai commencé à faire ces espèces de performances, C'est-à-dire faire distribuer des tracts par des gens du pays, en France c’était des hommes, en Suède des hommes suédois. Et je leurs faisais distribué les tracts dans les grands vernissages et par exemple au Musée d’Art Moderne, en 1999, c'était distribué par trois garçons..

Alexandre POLLAZON_ En fait c’était des hommes qui distribuaient des tracts à d’autres hommes.

GHAZEL_ Exactement !

Alexandre POLLAZON_ C’était un peu une manière illégale, c’est à dire que vous alliez aux vernissages d’expositions et sans rien dire, il y avait une espèce de performance.

GHAZEL_ Oui, le plus dur c’était qu’il fallait des invitations mais il y a plein de vernissages où il ne faut pas forcément d’invitation. Je faisais venir des gens qui distribuaient pour moi aux hommes. En Avignon, en juillet 2000, c’était la première fois que je me montrais entièrement. J’avais aussi ce questionnaire à remplir, qu’on retrouve ici aujourd’hui.


Alexandre POLLAZON_ Alors en fait vous avez étudié en Iran, vous êtes issue d’une famille plutôt aisée, donc avez eu la chance d’étudier dans un lycée international. Et puis arrive la révolution culturelle et votre lycée est fermé. Votre éducation a été en langue anglaise. Et puis je crois, il y a un épisode où vous alliez à l’université à Téhéran, en 1986, et là vous vous retrouvez avec des étudiants de toutes les régions d’Iran et là ils vous font sentir que vous n’êtes pas totalement iranienne, que vous avez un accent qui n’est pas celui de tous les iraniens. Vous parlez anglais aussi mais vous parlez anglais avec un accent, vous parlez l’allemand aussi avec un accent…Mais justement ce déracinement vous le choisissez aussi puisque vous partez en France à partir de 1986. Vous partez étudier dans le sud de la France, aux Beaux-Arts et très tôt, votre travail évoque cet exil volontaire qui vous est imposé par votre propre histoire personnelle et donc votre travail devient tout de suite très auto-biographique. Le voile devient un des thèmes pro imminent d’une série de vidéos que vous avez faites de petites scènes quotidiennes d’une femme voilée, que vous avez tourné en Iran. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce premier travail vidéo ?

GHAZEL_Ce premier travail vidéo est né directement après une série de textes, parce que avant ça je faisais des installations, même si elles étaient légères, c’était quand même volumineux, c’était pas aussi léger que ça. Et donc pendant un an, j’ai commencé à vivre vraiment nomadiquement : 2 mois en Iran, 2 mois en Allemagne… J’ai tellement voyager que j’ai commencé à écrire et en fait une suite plastique à ce travail d'écriture était les vidéos. Et l’utilisation du voile, en fait c’est parce que je part toujours de l’identité. J’ai découvert à l’âge de 19 ans que j’étais étrangère dans mon pays. J’étais issue d’une bulle protégée, élevée dans une bulle. Ca m’a beaucoup touché quand j’ai remarqué que j’avais un accent quand je parlais ma langue. Et en fait l’utilisation du voile vient d’une juxtaposition des éléments orient/occident qui forment ma vie. Donc, j’utilise la langue anglaise et française : le langage direct qui est occidental. Par contre j’utilise l’humour iranien, la culture métaphorique iranienne pour montrer la réalité de mon pays. Depuis que j’ai 15 ans, le voile c’était là pour moi la réalité de l’Iran.

Alexandre POLLAZON_ En même temps, votre génération n’est pas une génération où l’on se voile pendant l’adolescence.

GHAZEL_Oui.

Alexandre POLLAZON_ Une génération jeune qui l’a toujours vécu, la génération de votre mère, c’est plus tard que ça arrive…
Comment tout ça a été vécu ?

GHAZEL_Je pense que chacun a son histoire personnelle avec. Moi je suis venue en terme avec, quand j’ai remarqué que c’était la réalité de mon pays parce que ma grand mère était née dedans. On a eu une parenthèse qui n’était pas comme ça. Mais je pense que chacun a sa vision personnelle. Pour moi c’est la réalité du monde et c’est pas que le voile physique, je pense que l’orient par rapport à l’occident est voilé et enfin je veux dire, moi ça me choque autant la nudité en occident que ça peut choquer le voile pour les occidentaux. C’est pareil. Même si j’ai été élevée dans un milieu occidental. Ce n’est pas le voile en tant qu’objet mais c’est aussi la culture voilée, c’est la métaphore. On a 100 façons de dire " non " sans le dire. Notre humour, c’est quelque part un voile aussi, enfin c’est vraiment une opposition occident/orient et c’est pas que le voile physique. Les hommes aussi sont beaucoup plus voilés, entre guillemets, qu’en occident. Donc même l’humour pour moi est métaphorique, c’est vraiment l’opposition entre orient/occident. Donc dans ce travail, je prends des éléments directement : le voile et puis ça devient quelque part un élément graphique, on voit au de là du voile, du tchador.


(question public) _ Et vous l’avez utilisé comment le voile, plastiquement ?

GHAZEL_ C’est moi en tchador qui vit ma vie devant la caméra.

(question public) _ Vous-vous faites filmer voilée ?

GHAZEL_Y’a que moi, c’est des autoportraits.

Alexandre POLLAZON_ Ce sont des scènes vécues où on voit, par exemple, Ghazel en train de faire du ski nautique avec le tchador.

GHAZEL_ C’est des scènes de ma vie, y’a des scènes du passé, des scènes du présent et des scènes du futur.

Alexandre POLLAZON_ En même temps ce qui est vraiment intéressant c’est que la plupart des vidéos ont été tournées en Iran, parfois en extérieur, et donc de manière totalement illégale.

GHAZEL_Disons qu’on a pas tellement le droit de filmer dans la rue et de photographier. Donc c’est des scènes qui sont très courtes, y’a des scènes qui ne durent que quelques secondes. C’est filmer dans des endroits réels, enfin je ne le fais jamais dans un studio : c’est chez moi, chez mes parents, dans la rue, dans ma rue, dans mon quartier. Et donc forcément il y a des scènes qui ont été filmées à Téhéran même, au bord de la mer ou dans des lieux publics où il y avait du monde mais bon c’était très rapide, c’était quelques minutes.

Alexandre POLLAZON_ Et justement y’a une vitesse, une certaine rapidité, c’est une espèce de performance dans la rue et faut que ça se passe très vite donc on sent cette perturbation et ce côté un peu original, un peu illégal.

GHAZEL_ Enfin, on peut voir des gens qui filment dans la rue mais théoriquement c’est interdit. Disons qu’il y a de la spontanéité, de la rapidité qui va avec, parce qu’on a pas le temps.
Par exemple la scène du ski, on a filmer 2 minutes avant que les pistes soient fermées, y’avait personne sur les pistes. Y’avait que nous, les pisteurs nous suivaient. C’était pour vérifier que les pistes étaient bien vides. On avait juste 3 minutes et la vidéo dure vraiment quelques secondes.

Alexandre POLLAZON_ Pour reparler de la situation en Iran, quand vous êtes retourner là-bas, vous avez fait des expositions, notamment dans une maison qui appartenait à vos grands parents et qui était abandonnée. Là vous avez fait une installation, montré une vidéo, et moi pour un occidental, ce qui m’a frappé c’était qu’une exposition là-bas ça ne peut pas durer plus de 4 heures parce qu’il faut un permis, etc.

GHAZEL_ Moi j’ai décidé que ça ne durerait pas longtemps, parce que j’ai jamais demandé un permis, parce qu’il fallait toujours un permis, il fallait, au début quand j’ai commencé à exposer mon travail en Iran, en 1993, tout un travail pour obtenir ce permis, imprimer des invitations : c’était comme ça à l’époque. Ca m’a fait arriver à un travail où en fait, je faxais les gens et je les invitais à 60 kms de Téhéran, là où j’ai fait 4 expositions entre 1993 et 1998. Je faxais la veille et y’a eu de plus en plus de gens. L’exposition durait une après midi entre 15h et 19h. Et voilà c’était fini ! Donc je suis arrivée à cette solution, ça m’a arrangé parce que c’est devenu autre chose au delà de l’exposition, parce que ça devenait éphémère. Après on en parlait, maos on ne voyait plus, c’était plus là.

Alexandre POLLAZON_ En même temps, est-ce qu’il y a des artistes en Iran, en particulier des artistes femmes qui peuvent avoir le statut d’artiste, quand elles ne font pas de la sculpture ou de la peinture ?

GHAZEL_ Oui, y’a beaucoup d’artistes femmes, mais l’art ça commence à arriver : y’a un musée où on expose des installations. Moi jusqu’en 1999, j’ai toujours eu des problèmes avec mon public, parce que je faisais des trucs plus conceptuels, moins beaux et tout le monde me demandait si c’était de l’art. Enfin y’avait un décalage au niveau de ça.

Alexandre POLLAZON_ En même temps, Shirin Neshat qui expose partout dans le monde n’a jamais exposé en Iran.

GHAZEL_ Parce que je pense qu’elle n’a pas voulu retourner en Iran. Elle n’y est jamais retournée pour montrer son travail. Elle n’y est aller qu’une fois depuis la révolution.
Toutes mes expositions traitaient de la guerre directement et j’ai toujours eu ce décalage avec le public. Evidemment y’avait des gens avec qui ça allait, c’était les questions de l’art contemporain parce que l’art contemporain est occidental et c’est là que se trouvait le décalage, parce que moi je faisais des trucs qu’étaient pas beaux, pas décoratifs, qu’on ne pouvait pas accrocher aux murs.
Même la dernière exposition c’était une espèce de performance : une installation avec Kaveh Golestan un journaliste photographe iranien. Ca à abouti jusqu’à ce qu’il y est des articles dans les journaux parce que beaucoup de gens disaient qu'on était des fous. Comme le journaliste était très connu, on disait qu'il était fou d'avoir collaboré avec moi. D’autres gens ont été intéressés par ce travail et ont donné du poids, des voix à ça dans les journaux. Mais bon, ça peut arriver ici aussi, mais c’est que je pense que l’art contemporain est occidental.

Alexandre POLLAZON_ Alors vous me disiez que effectivement votre travail artistique en Iran n’est pas perçu ou mal perçu. En revanche quand vous êtes retournée en 1999 ou 1998 en Iran, vous avez décidé de travailler avec des jeunes adolescents issus de milieux défavorisés et vous vous êtes mis en rapport avec l’UNICEF pour faire un travail avec eux. Est-ce que vous pouvez parler de ce travail social qui a eu des répercussions en Iran ?

GHAZEL_Oui, en fait, avant l’UNICEF, j’ai travaillé dans les prisons en Iran avec des enfants délinquants, je faisais de l’art thérapie. Je continue, chaque fois que j’y suis, je le fais. A un moment donné j’ai fait un projet avec l’UNICEF avec les enfants de la rue, ce qui est différent et qui a fait beaucoup de bruit parce que c’était une peinture murale sur la convention internationale des droits de l'enfant. Donc là c’était apprécié et c’était la première fois qu’on faisait un travail comme ça en Iran. Malheureusement, maintenant que je suis ici, il n'y a personne pour me remplacer dans les prisons des enfants, pour faire de l’art thérapie [quicktime1].

Alexandre POLLAZON_ Est-ce que vous voyez un lien entre votre travail artistique et votre travail social ? Est-ce qu’il y a une certaine méthode ?

GHAZEL_Oui, il y a un lien entre tout ça parce que quelque part avant ça, je travaillais avec des jeunes immigrés de mon âge dans la banlieue de Montpellier et je me suis intéressée de l’art thérapie parce que c’était un moment dans ma vie, c’était en 1995. Je me posais des questions sur le rôle de l’artiste et je pensais : si je suis artiste, il faut que je fasse quelque chose dans la société, à part de l’art qui est élitiste. C’est pour ça aussi que maintenant je me trouve avec des images, parce que tout le monde peut comprendre des images, à cause de la télévision évidemment. Alors que, lorsque je faisais des installations, même en France, mes amis qui n’étaient pas dans le milieu de l’art, me demandaient comme en Iran : où il y a de l’art ? pourquoi c’est de l’art ?
Que maintenant ça ne se pose plus avec la vidéo parce que y’a l’image. A ce moment là j’ai commencé à faire ce travail social parce que je pensais qu’en tant qu’artiste je devais faire quelque chose pour la société. Donc je l’ai prolongé en Iran, et c’était très intéressant. C’est ça qui m’a fait retourné en Iran, pendant 4 ans, j’étais presque plus en Iran qu’ici. Et puis je l’ai prolongé aux Etats-Unis, où j’ai travaillé avec des enfants délinquants, dans les prisons.

(question public) _ Où ça aux Etats-Unis ?

GHAZEL_A New York.


(question public) _ Est-ce que tu as eu de bonnes réactions de la part des gens en Iran ?

GHAZEL_ Oui, j’ai eu de très bonnes réactions, j’ai même quelque fans là-bas. La dernière exposition que j’ai fait dans la maison de mes grands parents, c’était une installation. En fait cette vieille maison qui était en ruine, on l’avait prêté aux réfugiés afghans pendant 1 an, et c’est là que j’avais déjà fait 3 expositions, donc j’ai invité les gens à venir boire, parce que l’installation c’était moi en mariée. Je me mariais avec quelqu’un, et c’était pour moi un truc très kitsch, et que tout le monde fait là-bas, les films de mariage, avec des photos dorées, dans la maison des afghans qui continuaient leur vie quotidienne. Donc là-bas ça a tellement provoqué des trucs entre les publics qui sont venus, que en fait ils sont venus chez moi pour m’engueuler. Pour eux c’était : où il y a de l’art ?
Les Afghans croyaient que c’était un vrai mariage. Ils croyaient que j’avais invité les gens qui avaient raté mon mariage. Et quand ils ont su que c’était un faux film, ils ont été très déçu par moi, ils étaient très tristes.

(question public) _ Tu dis que l’art contemporain est occidental, est-ce que c’est une fatalité ? Il a un devenir aussi, non ?

GHAZEL_Je dis ça parce que par exemple, si le cinéma iranien est intéressant c’est parce que c’est une suite à notre maîtrise dans l’art, la littérature, la poésie, les contes et je pense que si le cinéma iranien marche c’est parce qu’il raconte une histoire. Par contre en arts plastiques, je parle de l’Iran, on était tout le temps en train de décorer des livres.
En arts graphiques en Iran, on est très fort. Ca reste toujours très décoratifs. Y’a eu des artistes très avant-gardistes, mais y’en n’a pas eu beaucoup. Je veux dire ça se remarque pas tellement et je trouve ça normal parce que c’était pas dans notre culture. On n’a pas vu l’évolution de l’art contemporain comme ici. Et je trouve qu’il faut être un peu occidental pour pouvoir faire ça, sinon après y’a un décalage. Je l’ai vu ce décalage. Mais en cinéma c’est pas pareil, même en photographie parce que ça aussi ça raconte des histoires [Quicktime 2].


(question public) _ Comment expliquez-vous justement cette acceptation du cinéma dit contemporain, qui est un cinéma d’auteurs, alors qu’on parle d’art, on reste à la représentation coranique qui figure, du reste décorative, comme vous disiez tout à l’heure ?

GHAZEL_En fait, il faut juste préciser que quelqu’un comme Kiarostami -cinéaste iranien- qui est un dieu dans le monde entier n’est pas un dieu en Iran malheureusement. Y’a très peu de gens qui apprécient parce qu’ils sont devant les questions : Où il y a de l’art ? Où est le film ? Où est le début, où est la fin ? Y’a quelques uns de ces films qui ont bien marché genre Où est la maison de mon amie ?, parce que y’avait un début et une fin. C’était une histoire racontée mais un de ses derniers films "Le goût de la cerise", les gens sont allés le voir parce qu’il avait gagné la Palme d'or. Je veux dire que le cinéma d’art et essais n’a pas sa place là-bas.

(question public) _ En Iran, on arrête pas une projection de films alors qu’on peut arrêter une exposition. C’est là que moi je ne comprends pas.

GHAZEL_ Le cercle n’a jamais été montré en Iran, il a fait le tour du monde, il a récupéré le plus de prix dans le monde, dans le cinéma iranien. Le public a toujours une définition classique de l’art, il faut que ce soit beau, bien travaillé, que ce soit décoratif. La dernière exposition que j’ai fait là-bas, en 1999, avant la grande inauguration de la peinture murale, un mois avant avec Kaveh Golestan, on a fait une espèce de performance liée à la mort, qu’on pouvait interpréter comme on voulait : la guerre, la révolution, tout ce qu’on voulait, c’était quelque chose qui était présent dans nos vies (la mort). Les gens étaient perturbés parce qu’ils venaient voir de l’art pour se divertir et ils se retrouvaient face à cette réalité qu’ils avaient vu quelques jours avant dans les journaux.

Alexandre POLLAZON_ En même temps, je pense qu’il y a aussi un problème lié au médium qui est la vidéo, même dans le monde occidental, la vidéo commence à avoir ses lettres de noblesse, mais c’est vraiment tout récent, y’a toujours un problème de ce médium. Le cinéma existe depuis longtemps, un siècle, c’est plus dans les mentalités, c’est plus accepter. La vidéo, montrer des images en mouvement sur une télévision, dans un lieu qui n’est pas un cinéma, dans un musée, ça a posé problème en occident pendant très longtemps. La vidéo existe depuis la fin des années 50, début 60 et c’est seulement depuis les années 90 qu’elle commence à être acceptée et qu’on a commencé à avoir des collectionneurs d’art vidéo, qu’on commence à avoir des vidéos sur le marché de l’art. Donc ça paraît logique qu’en Iran ce ne soit pas compris. Et la performance, c’est pareil.

GHAZEL_La peinture et la sculpture sont beaucoup plus nobles entre guillemets, beaucoup plus de l’"art" que tout ce qui est conceptuel, comme la vidéo.

Alexandre POLLAZON_ Est ce que les artistes qui ont un permis sont surpris de ta liberté ?

(…)

GHAZEL_Malheureusement y’a un problème de culture voilée en Iran, c’est qu’on dit pas tout directement. On peut pas critiquer, on n’a pas de critique en Iran. Pour qu’un travail soit bon, il faut qu’il y ai eu beaucoup de travail au préalable. C’est de l’art parce que tu as bien travaillé. Art et artisanat c’est le même mot.

Alexandre POLLAZON_ Y’a un art occidental, y’a un art contemporain à inventé et y’a un vocabulaire alors ?

GHAZEL_Peut-être, oui. Ca va peut-être arriver parce que déjà l’effet du cinéma d’art et d’essais a fait qu’il y a des gens qui font un travail formidable au cinéma. Peut-être qu’en art aussi.


Le lieu de l'entretien > le salon du Palais de Tokyo.