Cinéclub-débat autour de Melvin Van Peebles | mercredi 5 janvier 2005 | 17h-19h |





Cette séance est conçue comme une suite à l'inter-atelier "Tactiques urbaines", laboratoire des enseignements artistiques et des pratiques urbaines à ECObox, tenue le 15 décembre 2004, dans lequel EGOSYSTEM avait proposé à la fois un concert et une projection cinéclub du film de Melvin Van Peebles. Ce Cinéclub-Débat permet de revenir sur le film avec les Ego6 qui animeront le débat, proposeront des extraits de film et rédigeront le texte qui suit.


Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song de Melvin Van Peebles

Année : 1971

Durée : 1:37

Réalisation : Melvin Van Peebles

Scénario : Melvin Van Peebles

Acteurs : Simon Chuckster, Melvin Van Peebles, Hubert Scales, John Dullaghan, West Gale, Niva Rochelle, Rhetta Hughes, Nick Ferrari, Ed Rue, John Amos, Lavelle Roby, Ted Hayden.

Le contexte historique - le scénario - le sujet


Il est important de repréciser le contexte historiques du film. Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song est montré pour la première fois au public en 1971, époque marquée aux États-Unis par la fin de la guerre du Vietnam et par les émeutes qui ont enflammé le quartier de Watts à Los Angeles (affrontements inter-ethniques violents qui se sont soldés par une répression sanglante de l’armée). Martin Luther King est mort. Woodstock annonce l’émergence de la culture psychédélique et les bavures policières se multiplient.

C’est dans une Amérique au racisme exacerbé et violent que les responsables des studios hollywoodiens décident de prendre une mesure symbolique en ouvrant leurs portes à trois réalisateurs noirs-américains, avec l’idée de la refermer aussitôt après eux. Ainsi Gordon Park (La colline des potences puis Shaft), Michael Schultz (Car Wash) et Melvin Van Peebles pour Watermelon Man sont les trois seuls à profiter de cette opportunité.

Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song, à sa sortie, fait l’effet d’un coup de tonnerre dans ce pays où peu de films peuvent prétendre avoir changer à la fois le cinéma et la vie. Melvin Van Peebles a réussi à allier dans ce film, langage cinématographique et politique. Il a maîtrisé ce long métrage d'un bout à l'autre de la chaîne de production et de diffusion.


Sweetback, le héros est au début un petit gigolo qui anime des shows pornographiques dans une maison close. Son proxénète le loue à la police pour effectuer un faux témoignage. Pendant un trajet en voiture, les agents de police tombent sur une manifestation pro-black et arrêtent un des leaders du mouvement. Alors qu’ils sont en train de passer à tabac le jeune révolutionnaire, Sweetback qui les accompagne sort de son mutisme et tue ces policiers.

Le film prend alors une autre tournure. Notre héros a fait un grand pas pour sortir de cette immense spirale de passivité. La suite des événements se résume assez bien par l’expression "Running Movie", où Sweetback est en cavale et tente d’échapper à une interminable traque policière. Il va passer dans de multiples micro-sociétés avant d’atteindre la frontière mexicaine.

Le film nous présente une série d’éléments cycliques, du montage au thématique, dans lesquels Sweetback passe et semble s’être libéré.


D'un point de vue technique, Melvin Van Peebles utilise des cadrages non conventionnels avec un montage psychédélique hérité des films pornographiques de l'époque (textures multicolores, pellicule surexposée, splistscreen). Il va d'ailleurs emprunter l'appellation "classé X" pour jouir d'une plus grande liberté de tournage. Son film est ainsi réalisé en dehors de tout syndicat. Les quinze premières minutes sont d'ailleurs une suite de scènes érotiques censées tromper la censure, le contenu politique n'est abordé qu'après.

Le financement s'effectue aussi d'une manière aventureuse. Grâce aux bénéfices de Watermelon Man et 50 000$ empruntés à Bill Cosby, auxquels s'ajoutent diverses arrivées d’argent durant le tournage, le film jouit d’un budget total de 100 000$ pour une recette finale de 10 M$.C’est une énorme réussite financière (parmi les plus grosses réussites du box office américain) qui ne restera pas longtemps inexploitée par les grandes firmes du cinéma (d'ailleurs Shaft sauvera la MGM de la faillite).

Melvin Van Peebles orchestre savamment la publicité de son film en utilisant une méthode très peu usitée à l’époque, celle de la bande originale. Il a pour cela fait appel au groupe de musique Earth, Wind & Fire encore largement inconnu, créant ainsi l’alliance entre musique et cinéma noirs. La B.O. sort sur Stax et est diffusée avant la sortie du film. Rencontrant un succès immédiat, elle joue un grand rôle dans sa promotion.

Initiative qui quelques mois plus tard sera reprise donnant les bandes sons historiques d'Isaac Hayes pour Shaft, de Curtis Mayfield avec Superfly, ou de Willie Hutch et The Mack.

Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song
est une grande aventure humaine, politique et financière. Elle va marquer durablement les mentalités et pas exclusivement celles des populations black, comme certains l’ont pensé.

Ce film n’est en aucun cas une vision dogmatique et Black Panther, il rend simplement compte de manière poétique, de la situation des années 70 aux Etats-Unis et annonce le courant blaxploitation.

Ego6. janvier 2005



Connexions implicites du film avec le pop-art selon Richard Prince (LT)

On peut raccrocher l'art de Van PEEBLES à un art attentif comme celui de Richard Prince (un pop art attentif au tragique ordinaire, qui traite de l'Amérique des motards et des cow-boys, qu'on retrouve inversée ou retournée comme un gant dans le personnage du héros de Melvin Van Peebles. 'Moments d'art contemporain' avait reçu Jeff Rian, artiste et critique d'art, historien du pop art. On peut relire des éléments de sa conférence dans le site ici-même.

Avec "Angels camps" d'Emmanuelle Antille. Une histoire qui est un sujet (voir plus bas)

Emmanuelle Antille s'attache à développer une fiction, à donner vie aux histoires et à l'univers d'Angels Camp, 'dés-accordé' à une musique rock. À la fois un documentaire de l'histoire d'une région et de ses habitants et une saga en quatre épisode, filmée tout au long d'une année, au fil des saisons. Emmanuelle Antille soigne le scénario, si soigné que l'histoire en devient un sujet (en 20 secondes quel est-il, quel est celui de Sweet....?

L'histoire est une tragédie ordinaire d'une famille 'quart monde', en quatre pans, installée magnifiquement à la biennale de venise en 2003, dans le pavillon suisse. il en reste une 'scorie' flash sur internet http://www.angelscamp.ch/, un cd musical de rock d'artiste, un livre trop papier glacé et le récit ici-même qui supplée au film absent.

Ce récit est repris du "Document Emmanuelle Antille, avril 2003, en très larges extraits, librement annotés au passage.

Les quatre pans de l'histoire, ce sont aussi les quatre saisons, les personnages sont aussi les saisons : la Femme à la torche, sa mère et sa soeur imaginaire, Celya et Arantxa, les deux Adolescentes des cabanes, l'homme de la forêt, la jeune fille de la rivière, Marie, Dani, le Chien blanc et les fillettes au poulain. La fiction plonge dans la vie, les rêves et la destinée des personnages. Angels Camp est le territoire de leur imaginaire.
Les décors sont les no man's land des exclus qui se retrouvent dans la périphérie des villes mais qui évoquent la jouissance des espaces libres, le monde de l'enfance, ses rituels, la désinhibition des gestes, la liberté d'établir de nouvelles règles, un espace mental.

1er épisode (16'): By the river,
se déroule en automne dans une maison au coeur du village, ainsi que dans les plantations de maïs autour. Portrait d'une femme d'une cinquantaine d'années séjournant avec sa mère dans la maison familiale. Ayant refusé de grandir, cette femme vit dans un monde imaginaire, un univers d'enfant où elle trouve refuge. Elle s'y est inventé une soeur, un double avec lequel elle communique, et qui l'accompagne dans ses escapades mentales. Le soir venu, cette femme rêve d'une jeune fille près d'une rivière, une sorte d'ange qui ressemble étrangement au tableau qui décore sa chambre. Chaque nuit,, elle se lève, comme une somnambule, va à la fenêtre avec une lampe de poche et fait des signaux à un homme qui, croit-elle, l'attend dehors dans sa voiture pour l'emmener avec lui.

2e épisode (21') : The red cabines
L'action se déroule en janvier sur les rives du lac qui borde le village, dans un complexe de cabanes de vacances abandonnées pour l'hiver. Cet épisode décrit la vie de deux adolescentes occupant l'une des cabanes. Livrées à elles-mêmes dans cet endroit déserté, elles veillent l'une sur l'autre et tentent au jour le jour de survivre seules. Durant la journée, elles apparaissent comme deux filles perdues, occupant leur temps à jouer dans ce no man's land et s'entraînant l'une l'autre à s'endurcir physiquement et psychologiquement. Ainsi elles se créent des rituels souvent tendres, parfois violents et cruels pour devenir plus fortes. La nuit tombée, elles se livrent à d'autres jeux, plus dangereux, qui les entraînent malgré elles dans des situations extrêmes. Leur cabane devient le lieu de rendez-vous des hommes du village qui viennent leur rendre visite..Toute leur histoire est accompagnée par la présence d'un homme vivant dans sa voiture dans la forêt environnante. Cet homme est le même personnage que lors de l'épisode précédent. Celui-ci les observe. Et une nuit, il assiste impuissant au drame qui les perdra.

3e épisode (18') From the woods
est filmé au printemps dans les bois alentour. C'est l'histoire et le point de vue de l'homme que l'on a aperçu dans les deux épisodes précédents. Celui-ci séjourne depuis plusieurs mois dans la forêt, seul dans sa voiture. La nuit, il dort près des grottes dans les bois. Il a des visions, où se mêlent souvenirs et prédictions, humains, anges et animaux. Le jour, il sillonne les environs et épie les habitants du village. L'homme est hanté par l'image des adolescentes des cabanes, de la femme qu'il voit à la fenêtre avec sa lampe de poche, de la jeune fille près de la rivière. Il tente de comprendre la violence et le désespoir de leurs actes, les forces mystérieuses qui les entraînent malgré elles. Cette quête l'égare chaque jour plus profondément. Il semble se perdre toujours un peu plus loin dans la forêt, au coeur de ses propres rêves, à travers les vies des personnages qu'il observe.

4e épisode (21') The creek
se déroule en été dans une crique. Cette dernière partie présente les relations entre un groupe composé d'adultes, d'enfants et d'adolescents venus là pour fuir la forêt et le monde inadapté dans lequel ils vivaient alors. Dans ce groupe, on retrouve la Femme à la torche, la jeune fille de la rivière, l'homme de la forêt, Arantxa, l'adolescente des cabanes qui a survécu et le chien blanc. Ceux-ci sont réunis maintenant tous ensemble sur cette plage, dans cette communauté fonctionnant comme une famille hétéroclite et recomposée, bien définie avec ses règles et rituels.

À VENISE, EMMANUELLE ANTILLE crée une architecture en cinq espaces, l'entrée, la cour intérieure, la grande salle, le couloir et la petite salle...

La grande salle : Into the purple circle
Entièrement investie par une installation vidéo intitulée ainsi. Quatre projections sur écran propose une approche très physique et tactile, plongeant les spectateurs directement dans l'atmosphère et les décors du film. Les visiteurs évoluent dans un paysage enveloppant. Basée sur le dernier épisode du film, ses rituels et la présentation des personnages principaux, l'action se concentre sur un jour et une nuit durant lesquels leurs destins basculeront pour s'unir simultanément. Comme un pivot central, leurs histoires n'en feront qu'une. La bande son est composé par Honey for Petzi. Pendant les trois jours d'ouverture de la biennale, les musiciens sont là et jouent en live.

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La petite salle Angels Camp, le film
C'est ici que se dévoilent les histoires individuelles et les vies de tous les habitants d'ANgels Camp. Transformée en salle de cinéma, cet espace présente le film dans sa totalité, projetés sur grand écran.

Document Emmanuelle Antille, avril 2003.



Avec Omer Fast

Dans le site de fri-art de Fribourg, http://www.fri-art.ch/data/flash.html, on trouve dans l'archive 2003 / 3
5 juillet - 14 septembre 2003, la fiche de l'exposition FICTION OU REALITE? dans laquelle on peut pointer cet art "attentif": l'une de Omer Fast "CNN concatenated (2002)", "montage-démontage de 10'000 mots, démontrant l'aspect unipolaire de l'endocrinement télévisuel.

Son installation intitulée "A Tank Translated" (2003) conte les histoires de quatre soldats israëliens, confinés dans un blindé. Ils monologuent, devant la caméra chacun à la place qu'ils occupent dans le tank, signalée et reprise à l'identique par chacun des moniteurs soclés. Apparaît à l'écoute attentive devant chaque tankiste, de chaque moniteur, la complexité et les paradoxes du quotidien de ces jeunes gens.


Avec même le "Petit soldat" de Godard

"Le Petit Soldat." Sort en 1963. Il y a une histoire ou mieux ...Le Petit Soldat a un sujet : un garçon a l’esprit confus, il s’en aperçoit et cherche à avoir l’esprit plus clair

L'Histoire
1958. La France doit faire face à la guerre d’Algérie. Bruno Forestier, déserteur, travaille en Suisse, pour le compte d’un groupuscule d’extrême-droite. Ses amis le soupçonnent de pratiquer le double jeu et le mettent à l’épreuve en lui ordonnant d’assassiner un journaliste de Radio Suisse... Interdit par la censure française, le Petit Soldat ne sortit qu’en 1963. Godard y donnait sa définition du cinéma : “C’est vingt-quatre fois la vérité par seconde”.

Le sujet
Le sujet est quelque chose de simple et de vaste qu’on peut résumer en vingt secondes : la vengeance, le plaisir... l’histoire, on peut la résumer en vingt minutes.
Le Petit Soldat a un sujet : un garçon a l’esprit confus, il s’en aperçoit et cherche à avoir l’esprit plus clair.

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Entretien (dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard
Les Cahiers du cinéma rencontrent Godard après ses quatre premiers films

Cahiers : Vous êtes venu au cinéma par la critique. Que lui devez-vous?


J-L G : Nous nous considérons tous, aux Cahiers, comme de futurs metteurs en scène. Fréquenter les ciné-clubs et la cinémathèque, c’était déjà penser cinéma et penser au cinéma. Écrire, c’était déjà faire du cinéma, car entre écrire et tourner, il y a une différence quantitative, non qualitative..... En tant que critique, je me considérais déjà comme cinéaste. aujourd’hui je me considère toujours comme critique, et, en un sens, je le suis plus encore qu’avant. Au lieu de faire une critique, je fais un film, quitte à y introduire la dimension critique. Je me considère comme un essayiste, je fais des essais en forme de roman ou des romans en forme d’essais : simplement je les filme au lieu de les écrire. Si le cinéma devait disparaître, je me ferais une raison : je passerais à la télévision, et si la télévision devait disparaître, je reviendrais au papier crayon. pour moi, la continuité est très grande entre toutes les façons de s’exprimer. Tout fait bloc. La question est de savoir prendre ce bloc par le côté qui vous convient le mieux. Nous pensions cinéma, et à un certain moment, nous avons éprouvé le besoin d’approfondir cette pensée.

Le dialogue : Jamais le dialogue de Belmondo (À bout de souffle) n’a été inventé par lui. il était écrit :seulement, les acteurs ne l’apprenaient pas, le film était tourné en muet et je soufflais les répliques.

Nos premiers films ont été purement des films de cinéphiles. On peut se servir même de ce qu’on a déjà vu au cinéma pour en faire délibérément des références.... Je raisonne en fonction d’attitudes purement cinématographiques.

Mon goût de la citation : Les gens dans la vie citent ce qui leur plaît. Nous avons donc le droit de citer ce qui nous plaît. Je montre donc des gens qui font des citations : seulement ce qu’ils citent, je m’arrange pour que ça me plaise aussi à moi. dans les notes où je mets tout ce qui peut servir à mon film, je mets aussi une phrase de Dostoïevski, si elle me plaît. Pourquoi me gêner? Si vous avez envie de dire une chose, il n’y a qu’une solution : la dire.

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Si nous prenons la caméra à la main, c’est pour aller plus vite, tout simplement. Je ne pouvais pas me permettre un matériel normal qui aurait allongé le tournage de trois semaine...Celui de mes films où ce mode de tournage [la caméra à la main] est le plus justifié est Le petit soldat. Les trois-quart des réalisateurs perdent quatre heures avec un plan qui demande cinq minutes de travail de mise en scène proprement dite, moi je préfère qu’il y ait cinq minutes de travail pour l’équipe et me garder trois heures pour réfléchir.

Ce qui m’a demandé du mal, c’est la fin, le héros allait-il mourir? au début, je pensais faire le contraire... je me suis dit à la fin que, puisqu’après tout mes ambitions avouées étaient de faire un film de gangsters normal, je n’avais pas à contredire systématiquement le genre : le type devait mourir.


Comment considérez-vous l’acteur?

Ma position envers eux a toujours été pour moitié celle de l’interviewer face à l’interviewé. Je cours derrière quelqu’un et je lui demande quelque chose. En même temps, c’est moi qui ai organisé la course. S’il est essouflé, s’il est fatigué, je sais qu’il ne dira pas la même chose qu’en d’autres circonstances. Mais j’ai changé dans la façon d’organiser la course.

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Qu’est-ce qui vous a amené au Petit soldat?

j’ai voulu rejoindre le réalisme que j’avais manqué dans À bout de souffle, le concret. Le film part d’une vieille idée : je voulais parler du lavage de cerveau. On disait à un prisonnier : “ça demande vingt minutes ou vingt ans, mais on arrive toujours à faire dire quelque chose à quelqu’un.” Les événements d’Algérie ont fait que j’ai remplacé le lavage de cerveau par la torture qui était devenue la grande question. Mon prisonnier est quelqu’un à qui l’on demande de faire une chose et qui n’a pas envie de la faire. Simplement pas envie, et il se bute, pour le principe. C’est la liberté comme je la vois : d’un point de vue pratique. Être libre, c’est pouvoir faire ce qui vous plaît, au moment qui vous plaît.

Le film doit témoigner sur l’époque. On y parle de politique, mais il n’est pas orienté dans le sens d’une politique. Ma façon de m’engager a été de dire : on reproche à la Nouvelle Vague de ne montrer que des gens dans des lits, je vais en montrer qui font de la politique et qui n’ont pas le temps de coucher. Or la politique, c’était l’Algérie. Mais je devais montrer cela sous l’angle où je le connaissais et de la façon dont je le ressentais. Si Kyrou ou ceux de l’observateur voulaient qu’on en parle autrement, très bien, mais ils n’avaient qu’à se rendre avec une caméra chez le FLN, à Tripoli ou ailleurs. Si Dupont voulait un autre point de vue, il n’avait qu’à filmer Alger du point de vue des paras. Ce sont des choses qui n’ont pas été faites et c’est dommage. Moi, j’ai parlé des choses qui me concernaient, en tant que Parisien de 1960, non incorporé à un parti. Ce qui me concernait, c’était le problème de la guerre et ses répercutions morales. j’ai donc montré un type qui se pose plein de problèmes. Il ne sait pas les résoudre, mais les poser, même avec un esprit confus, c’est déjà tenter de les résoudre. Il vaut peut-être mieux se poser d’abord des questions que refuser de se rien poser ou de se croire capable de tout résoudre.


On a trouvé le film discutable, on a parlé de confusion?

Moi, je trouve cela bien, qu’il prête à discussion. C’est l’intérêt qu’il a, outre le fait d’être un film d’aventures. Après l’avoir vu, on peut discuter sur la torture : j’ai voulu montrer que ce qu’il y a de plus terrible en elle, c’est que ceux qui la pratiquent, eux, ne la trouvent pas discutable du tout. Ils sont tous amenés à la justifier. Or c’est terrible, car au départ, personne ne pense qu’il pourra un jour la pratiquer ou seulement la regarder pratiquer. En montrant comment on est amené à la trouver normale, je montre l’aspect le plus terrible de la chose. De plus, il ne faut pas oublier que je ne suis pas toujours à la même distance des personnages. On doit sentir le moment où je suis très près, celui où je décolle. La première phrase du film est: “Le temps de l’action est passée, celui de la réflexion commence.” Il y a donc un angle critique. Tout le film est un retour en arrière : le présent, on ne le voit pas....cite Pickpoket et la dame de shanghai
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Quant à la confusion

puisque c’est un film sur la confusion, il fallait bien que je la montre. Elle est partout. Elle est aussi bien chez le héros qui voit que l’OAS et le FLN citent tous deux Lénine. De plus mon personnage, souvent théorique, en cherchant d’une certaine façon à simplifier les choses accroît la confusion. L’important est qu’on croit à ce personnage. On doit voir qu’il parle faux, qu’il est faux, et que tout d’un coup il dit un mot juste. On doit se dire alors : ce qu’il disait avant n’était peut-être pas si faux que ça. Ou ce qu’il dit maintenant n’est peut-être pas tout à fait juste. En tout cas, ces choses il les dit de manière touchante.

Donc le spectateur est libre. Il se trouve aussi que, maintenant, il voit mieux la complexité du problème, mais avant elle existait déjà. On pouvait très bien aborder le problème dans l’optique d’un type qui est complètement perdu. L’intéressant n’est pas de discuter des heures pour savoir s’il faut ou non gracier Salan, c’est de savoir si, étant dans cette position de lui tirer dessus, vous le faites ou non. Tant qu’on n’est pas dans cette position, on ne peut décider.
Dans Le petit soldat, c’est la position que j’ai voulu montrer. Tout ce qu’on dit dans le film importe peu si l’on voit que, dans cette situation, ce pouvait être dit. le type est bizarre, confus, mais pas faux. Lui, croit sa solution juste; moi, je ne dis pas qu’elle l’est ou non, je dis seulement qu’elle est possible. Du reste, les événements m’ont donné raison depuis, sur beaucoup de points.

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Le petit soldat est un film policier où l’on vit des aventures dont l’origine est politique... j’ai des intentions morales, psychologiques, qui se définissent à partir de situations nées d’événements politiques. C’est tout. Ces événements sont confus, c’est comme ça. Mes personnages aussi le regrettent. Mon film est celui de la génération qui regrette de n’avoir pas eu vingt ans au moment de la guerre d’espagne.

S’il est important pour Subor de se poser des questions, il est non moins important pour le spectateur de s’en poser, et il est important pour moi qu’il s’en pose. Si, après voir vu le film, on se dit : il a montré ça, mais pas la solution, au lieu d’être furieux contre ce film, on devrait lui en être reconnaissant. Les questions sont mal posées? Mais c’est justement l’histoire d’un type qui se pose mal certaines questions.

Le personnage est un dedans vu du dedans. On doit être avec lui, voir les choses de son point de vue, au fur et à mesure qu’est racontée l’histoire extérieure. Le film est comme un journal intime, un carnet de notes, ou le monologue de quelqu’un qui cherche à se justifier devant une caméra presque accusatrice, comme on fait devant un avocat ou un psychiatre. Là l’acteur apporte beaucoup, il m’aide à préciser mes idées. Subor a apporté son côté un peu fou, perdu, étourdi du personnage, ce sont souvent ses réactions à lui, ses réflexes à lui qui jouent.

J’ai eu beaucoup de peine à tourner Le petit soldat. Nous aurions pu le tourner en quinze jours. Avec les arrêts, cela nous a pris deux mois. Je réfléchissais, j’hésitais? Au contraire d’À bout de souffle, je ne pouvais pas tout dire. Je ne pouvais dire que certaines choses, mais lesquelles? Enfin, c’est déjà quelque chose que de savoir ce qu’il ne faut pas dire : à force d’éliminer, restait ce qu’il fallait dire.

Maintenant, je sais mieux comment je dois faire : j’écris les moments forts du film, ce qui me donne une trame en sept ou huit points. Quand les idées me viennent, je n’ai plus qu’à me demander à quel point, à quelle scène les rattacher. Ce qui m’aide à trouver des idées, c’est le décor. Souvent même, je pars de là. Genève était un décor que je connaissais, j’y avais vécu pendant la guerre. Je me demande comment on peut placer le repérage après la rédaction du scénario. Il faut d’abord penser au décor. Et souvent, quand un type écrit : “Il entra dans une pièce”, et qu’il pense à une pièce qu’il connaît, le film est fait par un autre qui pense à une autre pièce. ça décale tout. on ne vit pas de la même façon dans des décors différents. Nous vivons sur les Champs Elysées. Or, avant À bout de souffle, aucun film ne montrait l’allure que ça a. Mes personnages le voient soixante fois par jour, ce décor, je voulais donc les montrer dedans. On voit rarement l’Arc de triomphe au cinéma.
Mais là aussi, je rejoignais l’improvisation. Or, après Le petit soldat, je me suis dit : c’est fini.

Rossellini
Il est le seul qui ait une vision juste, totale des choses. Il les filme donc de la seule façon possible. Personne ne peut filmer un scénario de Rossellini, on se posera toujours des questions que lui ne se pose pas. Sa vision du monde est si juse que sa vision du détail, formelle ou non, l’est aussi. Chez lui, un plan est beau parce qu’il est juste, chez la plupart des autres, un plan devient juste à force d’être beau. Ils essaient de construire une chose extraordinaire, et si effectivement elle le devien, on voit qu’il y a des raisons de la faire. Rossellini, lui, fait des choses qu’il a d’abord des raisons de faire. C’est beau parce que ça est.

Le cinéma est le seul art, qui “filme la mort au travail”. La personne qu’on filme est en train de vieillir et mourra. On filme donc un moment de la mort au travail. La peinture est immobile; le cinéma est intéressant, car il saisit la vie et le côté mortel de la vie.

Je crois que je pars plutôt du documentaire pour lui donner la vérité de la fiction. C’est pourquoi j’ai toujours travaillé avec des acteurs professionnels, et excellents. Sans eux, mes films seraient moins bons.
Ce qui m’intéresse aussi, c’est le côté théâtre. Dans Le Petit soldat, déjà, où je cherchais à rejoindre le concret, j’ai vu que, plus je me rappprochais du concret, plus je me rapprochais du théâtre.


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La sincérité de la NOUVELLE VAGUE, ç’a a été de parlé bien de ce qu’elle connaissait, plutôt que de parler mal de ce qu’elle ne connaissait pas, et aussi de mélanger tout ce qu’elle connaissait.

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Connexion implicite l'Hypnerotomachia Poliphili | Le songe de Polyphile |

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