van ASSCHE
Christine van ASSCHE • La vidéo n’existe plus: une histoire récente • 24 janvier 2001


Encyclopédie des Nouveaux Médias Centre PompidouOUS
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INTRODUCTIONS

EXTRAIT: Video Synthetizer and TV Cello CollectiblesEarly Color TV Manipulations by Nam June Paik,1965/1968 Video Commune TV Cello Premiere, 1971 1965-1971, 23'25'' , PAL, muet, couleur. Collection Centre Georges Pompidou, Paris (France)

Lorsque nous avons commencé notre projet d’Encyclopédie des Nouveaux Médias, les moyens n’existaient pas. Il a fallu chercher des bourses. Nous avons reçu une bourse européenne qui nous a permis de collaborer avec deux autres institutions et de travailler en trois langues: français, anglais, allemand.
En ouverture, sur le site internet, vous avez la présentation avec les différents partenaires. Nous pensions achever le travail à la fin de l’année 2000, mais il reste 6 000 pages à faire. Nous n’en avons fait que 5 000. Celles-ci sont en trois langues. Nous avons rédigé des articles pour près de 250 artistes et 1000 oeuvres du catalogue, et il en reste autant à rédiger, sachant que chaque année notre collection comme celles de nos deux partenaires s’enrichissent. Dès lors, chaque année, nous devons essayer à la fois de rattraper le retard et d’enrichir le catalogue commun.

Je vais vous montrer ce catalogue que constitue le site de l’Encyclopédie des Nouveaux Médias. Vous disposez de plusieurs entrées possibles: par les noms d’artiste, par le glossaire, par la chronologie d’une histoire des médias que nous avons conçue européenne, puisqu’il s’agit d’un projet européen. Il y a aussi une bibliographie.

Pour l’historique, nous commençons principalement dans les années 60. Nous mentionnons que la vidéo a commencé à peu près vers 1963, avec des artistes-pionniers reconnus comme tels aujourd’hui: Nam June, Paik, Bill Viola, Jean-Luc Godard... La vidéo a acquis véritablement ses lettres de noblesse une vingtaine d’années plus tard, au milieu des années 80. Je pense que c’était vraiment l’apogée des grands artistes vidéo, des grandes oeuvres, des grandes installations, des trajectoires spécifiques et donc des artistes qui travaillaient vraiment sur le médium même.

Peu à peu, dans les années 90, le médium s’est fait contaminer, nous verrons un peu plus tard de quelle manière, pour se désintégrer dans les années 2000. Cette trajectoire, nous aurions pu deviner qu’elle prendrait ce sens-là, qu’il y aurait une progression avec ces artistes-pionniers, une stabilité et ensuite la désintégration. En fait, dès le début, la vidéo était contaminée. La vidéo est née dans le contexte de la performance, avec Fluxus et les artistes comme Nam June Paik, Joseph Beuys, des artistes minimalistes et conceptuels comme Bruce Nauman, Dan Graham, qui s’exprimaient par les performances et les filmaient en vidéo. La vidéo servait à en garder une mémoire. Mais ce domaine est également né dans le contexte de la musique, par exemple. Nam June Paik avant d’être un artiste-plasticien utilisant la vidéo, était un musicien-performer. Donc la vidéo, dès ses débuts n’était déjà pas un médium pur, qui ne s’intéressait qu’à lui-même. Progressivement se sont rajoutés d’autres “domaines perturbateurs”. Il y eu principalement l’installation vidéo qui peut être considérée comme une extension de l’installation des minimalistes. Nous pouvons prendre comme exemple la trajectoire de Bruce Nauman, un artiste qui réalisait des installations sans vidéo et qui peu à peu a rajouté la vidéo. Au début, c’était de la vidéo de surveillance, ensuite de la vidéo/projection, finalement est venue s’ajouter l’informatique parmi les éléments perturbateurs. Chronologiquement, il y eut donc la performance, la littérature, la musiques, l’installation et l’informatique.

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L’EXPRESSION “NOUVEAUX MÉDIAS”


Tant sur le plan esthétique qu’au sein de l’institution, il a fallu réfléchir à la terminologie elle-même, au sens d’avoir un secteur intitulé vidéo, sachant que souvent la vidéo était couplé au son -un autre domaine-dont on ne pouvait la séparer. Progressivement se sont ajoutés, et ce particulièrement dans l’installation, d’autres supports comme la projection de diapositives ou l’informatique pour la synchronisation par exemple. Ensuite est arrivé le CD-Rom, le DVD-rom, mais aussi le CD et actuellement le site internet. Donc, la vidéo, qu’en reste-t-il? Nous la repérons partout, mais rarement comme un médium en soi;

Dès lors, en concertation avec plusieurs conservateurs de musée principalement américains, nous utilisons l’expression “nouveaux media”. En effet, celle-ci nous permettait de commencer cette “histoire” après le cinéma, —car la rupture, même si ce n’est pas une vraie rupture, nous la situions là, au changement de support qu’amène la vidéo—, et d’y intégrer le son et toutes les inventions et les mutations en cours et à venir. Cette expression n’a pas de limites ni dans le temps, ni dans les recherches. Les “nouveaux media” permettent d’envisager un domaine de manière plus globale, de pouvoir poursuivre son élargissement et d’intégrer, dans une même démarche, le multimédia, l’informatique.

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LES MOYENS ET LES LIEUX DE DIFFUSION

Lorsque nous définissons les nouveaux media, nous envisageons les processus et les supports, mais pas encore les moyens et les lieux de diffusion. La vidéo s’est fait connaître dans les années 60 et 70, d’abord dans des festivals, des lieux alternatifs pour se retrouver être l’art adopté par les musées, les galeries, mais aussi les collectionneurs privés. Par ailleurs, nous le retrouvons à la télévision et nous pouvons nous le procurer en éditions-cassettes. Le site internet maîtrise à nouveau tous ces domaines et élargi la diffusion.

Alors, le passage, qui est un passage important, et qui n’est pas tout à fait terminé, de la vidéo à l’installation tridimensionnelle, —nous en verrons quelques exemples—, fut très intéressant. Ce fut le passage, par le biais de l’espace, par le biais de plusieurs combinatoires mêlant l’installation et le multimédia, et parallèlement ce fut aussi son espace critique. C’est au moment où s’est développée l’installation-vidéo que la critique s’est intéressé à ces créations. Les années 80 ont été l’apogée de l’installation, ce furent vraiment les années où se sont développées des théories critiques.

J’en profite pour vous présenter la bibliographie que nous avons constituée dans ce catalogue, qui n’est évidemment pas exhaustive (LIEN) et que nous devrons mettre à jour très régulièrement. Vous y trouvez une liste de revues internationales, les numéros spéciaux, les ouvrages spécialisés dans le domaine mais aussi les ouvrages théoriques permettant une approche élargie, qui ont intéressé les artistes et les critiques des nouveaux media. S’y trouvent aussi les principaux catalogues d’exposition, les catalogues de festivals qui sont parfois difficiles à trouver mais qui restent des outils très intéressants permettant des recherches approfondies sur des périodes données et finalement quelques sites internet documentaires et d’artistes;

les nouveaux media ne concernent pas seulement le domaine de l’art. Ils sont impliqués également par la communication et l’économie. Ce qui signifie que plus que tout autre domaine artistique, l’esthétique des nouveaux media est liée aux moyens de communication et à l’économie. Les artistes mais aussi les conservateurs dépendent beaucoup de l’évolution des machines, des moyens de diffusion qui peuvent être différents des salles de musées et de galeries. Ce qui nous oblige dans notre formation à ne pas simplement connaître l’histoire de l’art mais à connaître aussi l’histoire des techniques, des moyens de communication et surtout à en suivre l’évolution. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui se répartissent ainsi sur plusieurs domaines et qui entrecroisent des domaines très différents.

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QUELQUES CARACTÉRISTIQUES ESSENTIELLES DES NOUVEAUX MÉDIAS

Nous remarquons d’abord une grande instabilité qui découle de l’évolution constante des supports et des machines, évolution liée aux notions de progrès, d’économie et à la société capitaliste. Tenir compte de cette instabilité, est donc un facteur important, dans les différentes étapes du métier. Plutôt que de lutter contre elle, il faut travailler avec elle. Faire en sorte de s’adapter en permanence à cette évolution. Ne pas la considérer comme une instabilité négative, mais plutôt comme un apport positif.
Par ailleurs, nous remarquons que beaucoup de travaux sont liés à la mémoire et à l’histoire. Beaucoup d’artistes choisissent ce médium parce qu’ils désirent travailler sur la mémoire. Mais paradoxalement, plus nous avançons dans le métier, plus nous avançons dans les technologies, plus nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas leur faire confiance. En effet, les technologies sont liées aux processus de copie et de transfert permanents. Chaque fois que nous copions et que nous transférons, nous avons à faire à une perte. C’est donc un grand paradoxe qui devrait être étudié et qu’il est difficile d’accepter, puisque nous pensons malgré tout que les technologies apportent une vision par rapport à l’histoire et à la mémoire et qu’elles vont servir à conserver et à travailler cette histoire. Mais personnellement en vingt ans de conservation, même si nous n’avons rien perdu, nous savons quand même que chaque fois que nous copions, nous assistons à un phénomène de perte.

Nous avons d’autres paradoxes à résoudre. Là, je parle du point de vue des arts plastiques, en général, puisque le contexte dans lequel je travaille est celui d’un musée d’art moderne, ayant des secteurs traditionnels comme la peinture, le dessin, la sculpture, la photographie. Le paradoxe que nous avons à résoudre, est celui de l’inexistence de la notion d’original. Alors même que nous défendons encore des oeuvres, des auteurs, nous avons du mal à défendre un support original. Nous gardons tout puisque c’est notre devoir, mais nous savons que la meilleure version d’une oeuvre n’est pas nécessairement la première que nous ayons achetée à l’artiste. Vous en verrez des exemples parmi les oeuvres que nous allons voir ici. Le processus de copie et de transfert est en quelque sorte une attitude permanente que nous intégrons dans le métier, et en tant qu’artiste, vous devez et devrez l’intégrer également.

Un autre paradoxe à résoudre dans le contexte des arts plastiques et des présentations muséales, c’est celui des installations. D’une part, ces dernières demandent des espaces obscurs; or les musées sont conçus selon le principe des salles blanches, éclairées et nous devons dès lors construire, déconstruire, faire des plafonds, tout ce que détestent en général les administrateurs de musée. Nous sortons du “white cube”. Mais ce qui sera encore plus perturbant, ce seront les espaces virtuels. Nous nous posons la question de savoir si les oeuvres virtuelles doivent être montrées uniquement dans les musées ou au contraire, uniquement à l’extérieur, si nous avons besoin des musées pour les montrer, nous nous posons la question de savoir si nous devons les acheter, nous nous posons un nombre infini de questions auxquelles nous n’allons pas répondre immédiatement.

Un troisième paradoxe, c’est que les musées sont des lieux silencieux, et que lorsque nous y amenons des oeuvres sonores, c’est toujours très mal perçu.Le son continue à perturber les voisins, les peintres. Ce problème persiste. Quand vous visitez le Centre Pompidou, vous constatez que le son des moniteurs est toujours baissé.
—Parfois, les gens ne se doutent pas qu’il y a du son!
Il est vrai que c’est un paradoxe, d’autant que nous avons de plus en plus d’oeuvres sonores.

Je ne pense pas que les nouveaux media soient en état de crise au sein de l’art contemporain. Je pense, que plus que tout autre domaine, nous pouvons souligner un certain nombre de paradoxes, mais malgré tout, lorsque nous parlons de contenu et de recherche théorique, nous constatons que ces oeuvres font vraiment partie de la modernité et qu’elles appartiennent vraiment au domaine des arts plastiques.

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PRÉSENTATION DES OEUVRES À PARTIR DE L’ENCYCLOPÉDIE DES NEWMEDIA-ARTS.ORG

Je vais commencer par vous montrer les oeuvres les plus contemporaines, donc je vais faire une histoire à l’envers, pour vous présenter d’abord des artistes qui ne sont pas dans la collection mais qui y entrent ou sont près d’y entrer.

Voici présentés en parallèle, le travail de MAJIDA KATTHARI, artiste marocaine, née à Casablanca en 1964 et celui de GHAZEL, artiste iranienne, née à la fin des années 60 à Téhéran. Ce sont deux artistes qui réfléchissent à la question de l’identité par le biais du vêtement mais aussi par l’audiovisuel, par le semi-reportage, se situant entre documentaire et réflexion sur l’image et le son. Elles travaillent à la fois sur des notions très traditionnelles, c’est-à-dire sur des notions qui appartiennent à leur propre culture et à la fois sur une modernité de type occidental.

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LE DÉFILÉ/PERFORMANCE DE MAJIDA KATTHARI

C’est son travail de fin d’étude à l’École des Beaux-Arts de Paris. Ceci peut paraître étonnant de commencer une présentation par un telle pièce, car il s’agit d’un enregistrement d’une performance. C’est une artiste qui veut poursuivre son travail en utilisant l’audiovisuel et en mêlant le travail du tissu, du vêtement, de remise en question de la condition de femme dans la société islamique par le moyen de la vidéo et le son.

Elle est en train de chercher le moyen de combiner ces deux aspects, le moyen de conserver son travail d’aspect traditionnel et en même temps déjà moderne et de le combiner avec les moyens d’aujourd’hui. Elle ira ensuite, en courant d’année, faire un tournage au Maroc. Elle crée des vêtements pour des scènes qu’elle reconstitue et qui se situent entre documentaire et fiction artistique. C’est un travail qu’on montrera en juillet 2001 au Centre Pompidou.

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LE TRAVAIL VIDÉO DE GHAZEL

Dans la même lignée, je vais vous montrer le travail de cette artiste iranienne mais vivant en France, à Montpellier. Ghazel effectue aussi un travail sur la condition de la femme plutôt en Iran. Elle réalise ceci uniquement en vidéo. On retrouve des liens avec un certain nombre de performances réalisées uniquement pour la vidéo. Même si elle vit en France, elle retourne filmer chez elle, en Iran. J’insiste là-dessus car ce n’est pas toujours le cas des artistes de ces pays-là. Contrairement à Majida qui demande à d’autres personnes de défiler avec ses vêtements, Ghazel réalise elle-même ses performances, et souvent elle film sans intermédiaire.

Il y a plusieurs séquences. ici, vous voyez des séquences d’une version linéaire, mais normalement ces petite saynètes sont faites pour être montrées sur trois écrans, donc on en voit trois simultanément. Voilà donc une artiste dont c’est le premier travail, elle a fait une cinquantaine de saynètes tragi-comiques qui pourraient être des documentaires tant elles sont le reflet de la réalité iranienne. Elle veut continuer à travailler le thème de l’exil pas seulement en vidéo, mais aussi en photo, elle veut aussi mettre des annonces dans les journaux, dans la rue, etc. Il s’agit bien d’une réflexion sur la question de l’identité pour une femme musulmane vivant à la fois dans la société iranienne et ici en France. Cette oeuvre n’est pas encore dans la collection.

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DIAL H-I-S-T-O-R-Y DE JOHAN GRIMONPREZ

Voici le travail de Johan Grimonprez, qui a été enseignant à Paris 8, au moment des grèves de 1995! Comme il est dit dans l’Encyclopédie, il est né à Gand en 1962. Il y a aussi une courte biographie ainsi que des informations sur l’artiste lui-même et des extraits de vidéo et des photos. Voici un extrait de sa première bande vidéo. Johan a pris une position intermédiaire se situant comme documentariste, documentariste-anthropologue, mais il reste bien un artiste. Sa subjectivité l’emporte!

Comme vous le voyez, dans l’Encyclopédie, nous avons mis des extraits des travaux eux-mêmes, en général de moins d’une minute, ceci pour deux raisons: premièrement pour des raisons de droits — cet extrait est considéré comme un document issu de l’oeuvre et non comme l’oeuvre elle-même — et pour des raisons techniques — les extraits plus longs alourdiraient le site. Les artistes qui ont voulu choisir l’extrait ont pu le faire eux-mêmes. S’ils n’ont pas répondu ou n’avaient pas le désir de le faire, nous avons choisi pour eux.

La deuxième bande de Johan, DIAL H-I-S-T-O-R-Y, (68 minutes),1997, a été réalisée à partir d’un texte de l’écrivain De Lillo, le livre White Noise. L’exposition Bruit de fond de François Perron, en 2001, au Centre National de la Photographie s’y réfère aussi. DIAL H-I-S-T-O-R-Y fut l’occasion pour Grimonprez de faire un travail critique des médias, en utilisant les mêmes moyens que les médias, en essayant ainsi de piéger le spectateur. Il a travaillé cette mise à distance du spectateur en tentant de le piéger par les moyens d’aujourd’hui, les moyens de la télévision.

La musique a été réalisée par David Shea, spécialement pour cette oeuvre, à partir d’éléments trouvés et réappropriés. Mais il ne s’agit pas, comme dans les années 70, dans le cinéma expérimental d’un travail de “found footage”. Johan a vraiment recherché dans les archives de différentes télévisions, des éléments très précis qui correspondaient à un discours qu’il voulait soutenir. Ce ne sont certes pas des éléments trouvés dans la poubelle ou au marché au puces, il s’agit vraiment d’un travail de recherche précis, en fonction d’un texte et d’un propos à défendre.

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INTO THE SUN DE DOUG AITKEN

Doug Aitken n’est pas encore dans la collection. Il est né en Californie en 1968 et travaille plutôt la forme installation. Il est réalisateur de vidéo-clips. Il a toutefois évolué, sauté le pas et il est rentré dans les arts plastiques. Par rapport à d’autres artistes, il a une maîtrise parfaite du tournage, du montage et du mixage. Il vient en effet de la “profession”. Je vous présente une version linéaire de Into the sun qu’il a réalisée pour montrer précisément, en projection dans des conférences. Évidemment, c’est une installation qui comprend quatre projections dans une salle obscure.

Doug Aitken tente de travailler sur une espace à la fois perceptif, donc retour pour ainsi dire aux années 70-début des années 80, (comme par exemple Bill Viola sur la Côte Ouest), mais en même temps avec une forte tendance narrative ou para-narrative. Ce travail relève tant de la phénoménologie que du narratif. Il a créé un univers visuel très spécifique, il nous parle d’un monde mutant et dans lequel apparaissent des êtres humains assez disloqués. Il travaille sur ce contraste entre un certain univers en mutation et des hommes qui ont mal vécu cette mutation. Il a eu une grande reconnaissance à la Biennale de Venise, où il avait présenté une installation spectaculaire se construisant au gré de quatre salles.

Cette bande, elle, donne plutôt une idée de sa méthode de travail, de ses processus, du type d’image qui l’intéresse, du type de montage, de la relation à la musique. Ce film a été tourné en Inde, c’est un travail sur le cinéma indien. Le cinéma est une dominante de son travail, mais qui n’est pas soutenue, comme chez Grimonprez par un texte, un objectif aussi précis.
Nous produisons avec Doug Aitken une installation qui sera montrée au centre Pompidou dans un an et qui donnera cette dimension de travail narratif dans l’espace, qui n’est pas perceptible dans une projection unique.

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THE POETICS PROJECT DE MIKE KELLEY ET TONY OURSLER

Nous restons sur la côte Ouest, pour vous montrer un document sur l’installation de Mike Kelley et Tony Oursler. Mike Kelley est né à Détroit en 1954 et Tony Oursler à New-York en 1957. Ils se sont associés pour faire un travail commun: une lecture d’une micro-histoire, celle d’un groupe punk-rock/performance, groupe que ces deux artistes avaient monté lorsqu’ils étaient étudiants à l’université de Californie (UCLA). Dans cette installation, ils nous montrent des documents d’époque, enfin quelques vestiges. Ils ont refait un certain nombre d’éléments: peintures, projections sur les peintures, sculptures. C’est pour ainsi dire l’installation la plus multimédia que nous ayons dans la collection. C’est la première fois que des artistes osent vraiment utiliser la peinture, la sculpture, pour la mettre en abîme par le son et l’image.

L’oeuvre a été présentée en janvier/février 2000 au Centre Pompidou, pour la réouverture. C’est une très grande pièce. Vous verrez les artistes eux-mêmes filmés en train de monter la pièce. Ce qui est intéressant ici, c’est que ce sont les artistes eux-mêmes qui ont décidé de refaire l’histoire. Ils n’ont pas laissé aux critiques, aux historiens l’occasion de la faire et en outre on utilisé pour ce faire, des modes d’expression qui leur sont propres: la peinture, la vidéo, l’écrit, la parole etc.

On voit Tony Oursler en train de dessiner le plan de l’installation afin que le public se repère parmi tous les éléments. On voit un ensemble de peintures reprenant différents styles, des pages de carnet de notes agrandi qu’ils avaient gardés, de sculptures, de projections de certains documents dont certains sont d’époque et d’autres refaits. L’ambiance sonore est impressionnante. Il y a différents styles, des parodies d’autres artistes, parfois on reconnaît le style de Tony Oursler, parfois il y a un mix de leurs styles. L’ensemble est présenté dans un espace obscur. Là, c’est Tony Oursler qui a agrandi une page de carnet de notes et une lettre à ses parents où il décrit ce qu’il faisait à l’université. Là, c’est leur sigle les “X-Catholiques”. Là ce sont des sculptures de Mike Kelley, celle-ci est la métaphore d’un dieu. c’est la troisième fois que cet ensemble est présenté. 

C’est la version définitive... pour le moment. Ceci est un tournage d’époque, vous voyez Glenn Branca, un musicien minimaliste interviewé par eux, c’est un document d’époque. Évidemment aucune peinture, aucune sculpture n’est présentée dans une situation normale. Là c’est Mike Kelley qui imite Tony Oursler. Ceci est une reconstitution d’une performance de l’époque, qu’ils faisaient à l’université. Dans la salle contiguë, Tony Oursler et Mike Kelley ont réalisé des interviews d’autres musiciens: David Byrne, mais aussi Kim Gordon, Allan Vega. Ils parlent de cette époque-là, de ce qui s’y passait, entre la musique et les arts plastiques. Il y a aussi Laurie Anderson.

Tous venaient du milieu de l’art, alors qu’ils sont connus actuellement dans le monde de la musique. Ils sont tous passés par des écoles d’art, et ils parlent ici de leurs formation et évolution. The Poetics Project a été commencé en 1977 et terminé en 1997. Vous voyez cette facture punk-trash de 1977 et en même temps cette relecture critique de 1997. C’est aussi une volonté pour ces activistes d’introduire la musique dans les arts plastiques et d’introduire la musique comme un art intelligent. Ils voyaient des potentialités théoriques sur cette forme de création qu’est la musique punk autant que sur la musique minimaliste. Ils avaient un objectif avec cette installation. The Poetic Project n’est pas encore dans l’Encyclopédie, mais y sera bientôt. L’oeuvre a été achetée par le Centre Pompidou.

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ZAPPING ZONE ET IMMEMORY DE CHRIS MARKER

Dans la collection, il y a des installations, des bandes vidéos, des CD-Roms de cinéastes qui sont, me semble-t-il, des modèles pour les arts plastiques. Il y a Chris Marker, Jean-Luc Godard mais aussi Chantal Ackerman, une oeuvre inconnue de Gus van Sant...

Chris Marker est écrivain, photographe, cinéaste.. né en 1921. Il y a dans l’Encyclopédie une bibliographie importante. Ici, nous n’avons pas comme oeuvre La Jetée, film qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, ni des oeuvres cinématographiques ou documentaires qu’il a réalisées dans les années 60, 70, 80. Nous avons choisi, parmi les oeuvres de Chris Marker celles qui avaient un rapport avec les arts plastiques, avec un certain travail de langage, de montage-vidéo, de mixage. Je vais d’abord vous montrer une installation à travers ce document. Nous l’avions invité en 1990 à réaliser une installation pour l’exposition Passages de l’Image et en même temps pour la Collection du Centre. Il nous a fait une proposition pour une télévision alternative, proposition qu’il a intitulée Zapping Zone.

En fait, Chris Marker a mis en espace, à sa manière, à la manière d’un cinéaste, différents éléments de son travail, éléments qu’il n’arrive pas à diffuser à la télévision. Pour lui, le musée est devenu un espace alternatif. Il a reçu une sorte de salle, et chaque fois que nous présentons cette oeuvre, nous devons la compléter de documents récents qu’il nous fournit. C’est en quelque sorte une sorte d’oeuvre ouverte. donc, par exemple, lorsque nous allons au Japon avec Zapping Zone, Chris Marker monte un document sur le Japon. Zapping Zone est un amas de téléviseurs et d’ordinateurs, de bandes sonores et de diapositives, présentant ses pays préférés, ses amis tels que Tarkovsky le cinéaste, Matta le peintre, son chat, etc., ses zones géographiques et villes privilégiés etc.

Ensuite, il a eu envie de continuer à travailler dans cette direction, mais désormais sous la forme de CD-Rom. Il a poursuivi ce travail de mémoire pour Immemory. Ce sont ses mémoires, mettant en forme les images de sa vie, de ses films, ses lectures, ses écrits, ses pensées, sa vision du monde. Le CD-Rom existe sous deux formes: une forme installation, configuration dans l’espace, et la forme édition que vous pouvez acheter en librairie. Immemory comprend plusieurs sections.

La navigation peut paraître simple aujourd’hui: nous entrons dans une section, rencontrons quelques ramifications, nous nous perdons de temps en temps, ensuite nous revenons au sommaire. Toutefois, cette forme-biographie est originale pour un écrivain, cinéaste, photographe etc. Ce CD-Rom représente à peu près 10 heures de navigation/lecture. Pour Chris Marker, le CD-Rom était l’outil idéal pour passer à ce travail autobiographique respectant la logique du cerveau humain. Vous voyez en image de fond une carte de neurones, la madeleine de Proust, Hitchcock. Chris Marker se situe entre Proust et Hitchcock, l’écrivain et le cinéaste.

Dans l’Encyclopédie, nous allons devoir rendre compte de l’interactivité d’un CD-Rom par l’intermédiaire d’une séquence. Ce sera un prochain travail: rendre compte d’un plan de navigation en quelques secondes.

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SANS SOLEIL DE CHRIS MARKER


Par ailleurs, nous avons acquis “Sans soleil”, film dans lequel il y a pas mal d’éléments déjà tournés en vidéo et travaillés sur ordinateur. Ce film nous a paru intéressant pour des artistes plasticiens. Car, très tôt, avant Grimonprez et Aitken, Chris Marker s’est intéressé à un type de montage précis, à l’intégration du langage écrit dans le langage visuel, au rapport du son à l’image.

Je vais vous montrer un extrait un peu plus long de” Sans Soleil” que vous pouvez vous procurer en édition dans le commerce. Chris Marker a filmé au Japon et en Guinée-Bissau. Il met en parallèle, pour être brève, ces deux pays, ces deux continents, ces deux civilisations. Chris Marker a cherché à préserver, dans le cinéma et dans la vidéo, cette attitude d’écrivain. il a publié des livres, puis réalisé des films, mais a gardé une attitude d’écrivain.

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HISTOIRE (S) DE CINÉMA DE JEAN-LUC GODARD


Jean-Luc Godard a réalisé en vidéo de nombreuses oeuvres dont“Histoire (s) du cinéma”. Il a commencé en 1976, au moment où personne ne s’intéressait à la vidéo, ou du moins très peu de gens en France. Il a commencé à se servir de l’outil vidéo comme d’un carnet de notes, d’essais, ensuite comme d’un scénario. Vous pouvez visionner au Centre Pompidou, la série “Sur et Sur la communication”, où il aborde un peu un travail critique de la télévision. France Tour Détour, un travail critique de l’image par l’image. Et ensuite “Histoire (s) du cinéma”, un travail analytique et critique du cinéma. Cette histoire du cinéma est déclinée par cette série en vidéo qu’il a présentées en projection, ensuite il l’a édité en cassettes VHS. Puis il a publié les livres qui s’y rapportent, puis finalement les CD. Il a donc bouclé la chaîne. Ces “Histoire (s) du cinéma” ont été aussi diffusées dans des festivals, à la télévision, ont été achetées par les musées, etc.

Godard ne livre pas les sources des images, constituant son “Histoire”
— C’est un peu l’histoire du cinéma autour de lui.
Alors que Chris Marker fait un travail biographique au moyen d’éléments issus des films, Jean-Luc Godard compose une histoire générale autour de la sienne. Ces huit épisodes sont analysés de manière très détaillée dans l’Encyclopédie.
Je vous invite évidemment à visionner toutes ces oeuvres et d’autres dans l’espace Nouveaux Médias du Centre Pompidou, au quatrième étage, au Musée et à consulter l’Encyclopédi newmedia-arts.org.

C. v A. (janvier-avril 2001)